Une nouvelle loi interdit depuis le 1er janvier 2016 toute domiciliation définitive dans les zones de loisirs. Pratiques dissuasives des communes, recours payants, perte de valeur des biens… les temps sont durs pour ceux qui résident en habitat permanent en Wallonie. Pourtant, avec la crise du logement, ils n’ont jamais été aussi nombreux. Un rapport du parlement wallon est attendu à la rentrée.
De prime abord, l’endroit est bucolique. «Eau: OK. Électricité: coupure ce mercredi.» À l’entrée du camping, un panneau défraîchi avertit les résidents de l’état des installations. Au jour le jour. «Dans les années 1970, ‘la Gueule de loup’ était un camping modèle, précise Karl Bondroit en charge du plan «Habitat permanent» et de la cohésion sociale à la commune de Philippeville. Aujourd’hui, on n’y trouve plus que de l’habitat léger précaire, limite bidonville à certains endroits, avec une mixité importante entre les résidents permanents et ceux qui y passent leurs vacances.»
Pour certains, résider dans ces zones dites «de loisirs», c’est un peu ça ou la rue. Une nécessité. Comme Aurore, qui a quitté Charleroi et qui vit seule avec ses cinq enfants dans deux caravanes. «Le terrain appartient à mon père. J’espérais offrir quelque chose de mieux à mes enfants.» Pour d’autres, l’habitat permanent est un véritable choix de vie.
Comme au domaine La Forêt, sorte de version de luxe de l’habitat permanent, situé à quelques encablures de Philippeville. «On cherchait un nouveau projet de vie, proche de la nature. Quand on a trouvé le chalet, ç’a été un coup de foudre», raconte André, pensionné originaire d’Asse qui vit là depuis trois ans. Ici, le contraste est saisissant. Sous les arbres, le défilé des chalets et des caravanes résidentielles cède progressivement du terrain aux villas «4 façades» avec jardin.
En Wallonie, 12.000 personnes résident en «habitat permanent». Derrière ce terme se cachent des réalités multiples. D’un parc à l’autre, on rencontre des situations parfois très différentes. Des disparités importantes existent parfois au sein d’un même domaine. Il n’empêche, si on tente de regrouper les domaines ou les parcs, il est possible de dégager trois grandes catégories.
Premier cas de figure: les zones où il est difficile de laisser les personnes, soit pour des questions d’insalubrité, soit parce que leur habitat est situé en zone inondable.
Deuxième catégorie: des «zones mixtes» où existent de l’habitat permanent et une activité touristique (des domaines comptent 300 à 400 personnes à l’année et 400 à 500 personnes de plus en saison touristique). Là se pose la question de la cohabitation.
Enfin, troisième cas de figure, des zones comme celles du bois de Roly ou du domaine La Forêt où on se retrouve avec des hameaux, parfois même de véritables villages qui demandent à être reconnus en zone d’habitat. Là se pose la question de la façon dont les biens vont être «réévalués».
Ceci n’est pas un habitat
À Philippeville, 1.300 personnes se répartissent en 6 implantations: 2 campings et 4 parcs dont le domaine de La Forêt et le bois de Roly juste en face. «Pour vous donner une idée, le village de Roly compte moins d’habitants que le domaine du même nom situé juste à côté avec ses 500 résidents en habitat permanent», ajoute Karl Bondroit. Des zones privées organisées en asbl qui s’occupent elles-mêmes de l’entretien des voiries. Pour l’eau, il y a des puits. Et en matière d’électricité, chaque zone possède sa propre installation, plus ou moins aux normes en fonction des domaines.
Depuis le début de l’année, une question revient sur toutes les lèvres dans les parcs et domaines: «Quelles seront les conséquences de la nouvelle loi adoptée par le fédéral en matière de domiciliation?» Cette loi interdit depuis le 1er janvier 2016 toute domiciliation définitive dans les zones de loisirs. Dans ces zones, une domiciliation devenait «définitive» après trois mois, sauf procédure intentée par la commune contre le résident. Ce qui était le cas la plupart du temps. Mais, pour les nouveaux arrivants, on parle désormais de domiciliation «définitivement provisoire» ou «provisoire à durée indéterminée». «On n’est pas au pays de Magritte et du surréalisme pour rien, explique Nicolas Bernard, professeur de droit à l’université Saint-Louis et spécialiste des questions de logement. Beaucoup de désinformation et de rumeur circulent autour de cette loi. En théorie, elle ne devrait rien changer. Mais posez la question aux principaux intéressés et vous verrez leurs réactions.»
Épée de Damoclès
Beaucoup de bruit pour rien? «Oui et non», tempère Pierre-Yves Dermagne parlementaire wallon (PS) à la tête de la mission d’évaluation du plan «Habitat permanent» (plan HP). «S’il est vrai que cette loi ne change pas grand-chose dans la reconnaissance des droits, il ne faut pas sous-estimer le caractère stigmatisant de ce type de mesure. Elle renforce un sentiment d’insécurité chez des personnes qui vivent déjà avec une épée de Damoclès au-dessus de leur tête.»
«C’est un sale coup, estime Sébastien Bodart. Les gens se sentent de nouveau piégés. C’est une façon supplémentaire de faire pression sur les résidents permanents.» Pour ce permanent au MOC et agent de concertation dans des zones de loisirs du côté d’Yvoir, ceux qui tombent sous le régime des domiciliations provisoires rencontrent des difficultés pour leur emprunt à la banque. «Les banques se réveillent. À cause de l’incertitude que crée cette mesure, elles ne prêtent plus. Le flou actuel pose aussi des problèmes pour la vente des biens, le paiement des pensions, la mutuelle ou les allocations sociales.» Pourtant, cette loi ne peut en théorie pas avoir d’impact sur le droit aux allocations sociales. Nicolas Bernard est clair. «Quelle que soit l’infraction urbanistique, à partir du moment où la personne réside effectivement là, les CPAS doivent intervenir! Et si certaines communes s’appuient sur cette loi pour faire pression sur les personnes qui résident en habitat permanent, ce n’est pas légal.»
Autre nouveauté avec cette loi que peu de monde a vu venir: les modifications dans les recours que le citoyen a la possibilité d’introduire en cas de refus de domiciliation. Auparavant, le résident permanent qui voyait sa demande refusée pour cause d’infraction urbanistique pouvait écrire un simple courrier au ministère de l’Intérieur. Après enquête, celui-ci accordait généralement la domiciliation pour peu que la personne réside effectivement sur place et que les lieux ne soient pas insalubres. Mais depuis le 1er janvier 2016, le nouvel arrivant est obligé d’introduire un recours devant le Conseil d’État. «Avec tout ce que ça implique en termes de frais de justice et d’avocats», explique Karl Bondroit, qui pointe clairement un effet pervers de cette loi. Un avis partagé par Pierre-Yves Dermagne pour qui «c’est là que réside la vraie restriction. Qui plus est avec la réforme des indemnités de procédure devant le Conseil d’État. Le risque est de devoir payer des ‘frais de justice’ à l’issue d’une procédure dont la personne aurait été déboutée.»
Yves Richet en a marre d’être considéré comme «un citoyen de seconde zone». «Je paie mes impôts comme tout le monde!», insiste-t-il. Pour cet habitant du bois de Roly, c’est déjà la troisième fois depuis le début de l’année que des acheteurs potentiels renoncent à leur projet d’achat à cause de la domiciliation provisoire. «Comment voulez-vous qu’il en soit autrement? Vous êtes acquéreur et on vous dit que vous pouvez acheter un bien mais pas vous y domicilier.» Depuis l’entrée en vigueur de la mesure, il tente de rassurer ses voisins. «J’ai vu des personnes pleurer. Notamment un couple de personnes âgées qui doivent vendre leur chalet pour s’installer en maison de repos. Elles ont investi toutes leurs économies dans cet habitat qui aujourd’hui a perdu une bonne partie de sa valeur.»
Pratiques dissuasives
Vivre en habitat permanent, c’était aussi un choix de vie pour Bruno Alfieri. «Quand je me réveille le matin, j’ai besoin d’entendre le chant des oiseaux. J’en avais marre d’habiter en ville.» Cet ancien carrossier-peintre à la retraite vient d’emménager au domaine La Forêt. Il déplore le flou total qui règne à la commune de Philippeville. «Un jour on nous dit ‘blanc’ et le lendemain on nous dit ‘noir’, dénonce-t-il. Ça fait deux mois que j’attends des nouvelles.»
Des difficultés au niveau des communes qui, dans les faits, découragent les habitants des zones de loisirs et dissuadent les nouveaux de s’y installer. Certains mandataires locaux ne voient pas nécessairement d’un bon œil ces zones d’habitat permanent qui posent des problèmes en termes d’infractions urbanistiques, de voirie, de déchets ou de ramassage scolaire… «Avec les zones d’habitat permanent, les communes doivent généralement faire le deuil de la vocation touristique initiale de ces zones de loisirs. Sans compter le fait qu’elles n’ont pas envie de voir cette population considérée comme pauvre et marginale s’implanter de manière pérenne», déplore Nicolas Bernard.
Pour Karl Bondroit, cette nouvelle loi sur les domiciliations est au départ une revendication des bourgmestres qui demandaient de casser le paradoxe «entre la possibilité de se domicilier et l’interdiction de s’installer». Mais Yves Richet va plus loin. «Les bourgmestres prétendent qu’ils ont été mis devant le fait accompli par le fédéral. Mais c’est faux! C’est eux qui ont demandé l’adoption de ce type de mesures!» Il ne tourne pas autour du pot. Pour lui, cette domiciliation provisoire n’est rien d’autre qu’une façon supplémentaire de «limiter les nouvelles entrées dans les domaines».
Habitat permanent: bilan
Si l’on en croit les acteurs de terrain, le plan Habitat permanent lancé en 2003 et déjà actualisé en 2012 a montré ses limites. Il n’a pas permis d’inverser la tendance. Même si Sébastien Bodart y voit des avancées en matière de concertation notamment, son constat est sans appel: «Ce plan ne marche pas! Alors qu’un des objectifs affichés était de limiter les nouveaux habitants dans ces zones, la population a augmenté de 9% en quatre ans.» L’autre objectif du plan HP était le relogement en priorité d’une partie des résidents permanents, notamment ceux qui vivent en zones inondables ou dans des logements insalubres. «Mais là aussi, on est très loin du compte. Et vu le nombre de personnes en liste d’attente pour un logement social ou en agences immobilières sociales en Wallonie, les choses ne sont pas près de s’arranger.»
Un constat que partage Karl Bondroit. «L’habitat permanent est un phénomène social qui a pris de l’ampleur, c’est le corollaire de la crise du logement. Douze mille personnes en tout sont concernées par la situation.» Pour lui, se cantonner à geler les entrées n’est pas une option. Le calcul est simple: moins de propriétaires signifie moins de personnes pour payer les charges et pour participer aux frais de copropriété. «Avec à terme le risque pour ceux qui restent de voir leurs charges exploser et d’engendrer des problèmes de paiement pour les factures d’eau, d’électricité ou l’entretien des voiries.» Il met en garde: «Si on laisse la situation pourrir, le plan HP mènera au chaos à certains endroits!»
En Wallonie, 12.000 personnes vivent dans ces zones de loisirs. La province de Namur est concernée au premier plan puisqu’elle concentre à elle seule plus de 65% des résidents permanents que compte le sud du pays. Quatre communes sont particulièrement touchées: Hastière par exemple avec plus de 20% de la population, 13% à Philippeville, 11% à Couvin et à Somme-Leuze. Dans cette dernière, la bourgmestre Valérie Lecomte a annoncé qu’elle n’appliquerait pas la loi et que la commune continuerait à accorder des domiciliations définitives. «C’est stigmatisant pour ceux qui vivent en zones de loisirs. À partir du moment où l’habitation est correcte et où il n’y a pas de problèmes de sécurité ou de salubrité, je ne vois pas pourquoi on devrait domicilier les gens à titre provisoire.»
Un rapport de plus?
Face à l’urgence et à la nécessité d’apporter des réponses adéquates à des situations parfois anciennes, Pierre-Yves Dermagne planche avec deux autres parlementaires, Savine Moucheron (cdH) et Philippe Dodrimont (MR) sur un rapport d’évaluation du plan HP en Wallonie. Initialement prévu avant l’été, ce rapport ne sera présenté qu’à la rentrée. Avant d’aboutir sur la table du gouvernement wallon accompagné d’un projet de décret sur l’aménagement du territoire et des recommandations en matière fiscale ou d’accompagnement social spécifique des personnes qui résident dans les zones d’habitat permanent.
«Clairement, la question de l’aménagement du territoire est centrale, insiste Pierre-Yves Dermagne. Si on règle le problème de l’infraction urbanistique engendrée par le fait de résider de manière permanente dans ces parcs, on règle de facto une bonne partie des problèmes, dont celui de la domiciliation provisoire.» Mais face à une multitude de situations, impossible d’apporter une réponse unique. «On va arriver avec une série de propositions très concrètes comme la reconversion pure et simple de certains domaines en zones d’habitat et, à d’autres endroits, la cohabitation de zones d’habitat permanent et de zones de loisirs, explique le député wallon. On doit pouvoir apporter une réponse en clarifiant la situation de ceux qui y résident actuellement.» Avant de poursuivre: «Il faut figer la situation dans le temps et dans l’espace sans créer demain un appel d’air dans ces zones.»
En savoir plus
Lire le Focales «Spirales. Tours, détours et retours de l’habitat permanent», Martine Vandemeulebroucke, juillet 2014.
Alter Échos n°398, «L’habitat léger: en finir avec la brique dans le ventre», Amélie Mouton, mars 2015.