Le Centre hospitalier régional de la Citadelle, à Liège s’est muni de trois robots «humanisés». Ils divertissent les enfants et les personnes âgées mais sont aussi considérés par le personnel soignant comme des «aides thérapeutiques». Reportage.
Sirius, Pollux et Véga. Les trois robots du CHR de la Citadelle, à Liège, ont des noms d’étoiles. C’est certainement parce que ce sont les «stars» incontestées de l’hôpital. En déambulant dans les couloirs du service de pédiatrie, on le remarque d’emblée: Pollux fait le pitre. Du haut de ses 58 centimètres, il se lance dans une Macarena endiablée devant les yeux ébahis de quelques enfants et adolescents qui s’attroupent sous l’œil rigolard des adultes.
Sans transition, le petit robot, au regard espiègle et aux yeux clignotants, enchaîne sur un twist débridé, puis sur une histoire en lien avec saint Nicolas. «À l’accueil, Pollux montre ce qu’il sait faire, il danse, il chante, il est super-attachant et il guide l’enfant vers la suite du chemin», raconte Angela Del Giudice, responsable de la polyclinique de pédiatrie.
Mais attention, n’allez surtout pas dire au personnel soignant du CHR que leur robot est un joli jouet au prix modique de 15.000 euros. Avec ses caméras, ses capteurs d’émotions, ses mains préhensiles, ses articulations et son ordinateur embarqué, bref, toute sa technologie de pointe, Pollux est bien plus qu’un gadget. «C’est une aide pour les soins, une aide pour la rééducation, une aide thérapeutique», affirme Mylène Maigray, kinésithérapeute en chef.
Ces robots à la chaleur «humaine»
Les robots du CHR sont répartis entre trois services. La gériatrie, la revalidation et la pédiatrie. En pédiatrie, Pollux est régulièrement amené à filer des coups de main lors des soins, par exemple pour les prises de sang. C’est ce que décrit Angela Del Giudice: «Le robot explique à l’enfant le déroulement d’une prise de sang. Il aide à dédramatiser. Il aide à comprendre les séquences du soin.»
Curieusement certains membres du personnel semblent penser que le robot donne de meilleures explications qu’eux-mêmes et que son intervention leur permet de se focaliser sur le volet purement technique du soin. «Le robot est ludique, ça marche bien avec les enfants, résume Angela Del Giudice. Et il a un regard super-attachant. Ce que l’infirmière n’a pas forcément [sic]. Le robot a une plus-value. Il apporte cette chaleur, cette distraction qui permettent à l’enfant d’entrer dans une relation de jeu en dépassant les barrières que créent nos blouses blanches. C’est donc un travail en complémentarité.»
Ce qui interpelle, c’est qu’au CHR on semble compter sur le robot pour distiller un peu de «chaleur» que l’on qualifie généralement «d’humaine». Et c’est vrai que Pollux est attachant. On passerait bien la journée avec lui (ou elle? le robot standard s’appelle Zora, NDLR) pour réviser les bases des danses de salon les yeux dans les yeux.
Le léger problème, c’est que Pollux, à l’instar de ses deux compères, n’est pas très réactif. Ce robot n’est pas autonome. Le personnel hospitalier (du moins ceux qui ont été formés) programme des «compositions» plus ou moins longues, en fonction de ses besoins. Un membre du personnel peut le guider à distance ou programmer des «séquences plus longues et le laisser travailler tout seul».
Un exemple de séquence plus longue: la gymnastique en revalidation. Là, c’est carrément le robot qui gère toute la séance de gym, en gériatrie, pour 4 à 6 personnes, pendant que les kinés ont «les deux mains libres», pour s’occuper des personnes âgées. «Cela nous permet d’optimaliser la dynamique de groupe, explique Mylène Maigray. Sans les robots, le kiné est limité, il doit montrer les exercices, les interrompre pour corriger un patient puis reprendre. Là, cela nous permet d’être véritablement derrière les patients. Le robot est une aide et en plus il est sympathique, il motive les gens.» «Et cela évite aux kinés d’avoir à chanter ‘La vie en rose’», ajoute Nathalie Evrard, la porte-parole de l’hôpital.
Et bientôt «Pepper» à l’accueil
S’ils le pouvaient, nos trois robots rougiraient devant tant de louanges. Surtout que les «craintes» qui ont pu s’exprimer au sein du personnel quant à la venue de ce petit gang robotique se seraient apaisées. C’est du moins ce qu’on nous affirme à l’hôpital. «Aujourd’hui, le personnel soignant considère ces robots comme autant de soutiens, affirme Angela Del Giudice. L’idée n’est pas qu’ils prennent la place des humains. D’ailleurs, il y a toujours du personnel soignant qui prend les décisions pour chaque robot.» «Les robots font partie de la société, complète Mylène Maigray. Ils peuvent être utiles tant qu’ils restent des outils à notre disposition.»
Le CHR de la Citadelle est convaincu de l’utilité de ces robots. Dans un carton bien caché, on peut trouver un quatrième larron. Il s’appelle «Pepper». Il est plus grand que les autres (1,40 mètre) et il attend que les travaux de rénovation du hall d’entrée de l’hôpital soient terminés.
Lorsque cela sera le cas, Pepper entrera en scène et, muni de sa tablette tactile, il accueillera les nouveaux arrivants. Il aidera à les orienter et même à les guider à travers les kilomètres de couloirs du CHR. «Et c’est la première fois au monde que l’on verra ça dans un hôpital», lâche, non sans fierté, la porte-parole de la Citadelle.
Robotique et soins: une nécessaire régulation
Bernard Ars est docteur en médecine et professeur à l’Université de Namur. Il étudie les dimensions éthiques de la robotique dans le domaine de la santé. Selon lui, le domaine de l’aide aux personnes et des soins n’échappe pas à la tendance mondiale à l’accroissement de l’utilisation de robots «humanisés», ou humanoïdes. «Cette tendance est bénéfique, estime-t-il. Les technologies et la science évoluent, et il faut épouser cette évolution, tout en mettant des balises pour rester maître de la technologie. Il faut réguler et non pas refuser.»
Si la robotique humanoïde en est à ses balbutiements, elle évolue à la vitesse grand V. En Asie, et plus particulièrement au Japon, on trouve des robots autonomes au chevet des patients, ou en compagnie de personnes âgées. Des robots qui lisent les émotions des humains et adaptent leur comportement à celles-ci. «La présence de tels robots dans les hôpitaux pose plusieurs problèmes, pense Bernard Ars. Tout d’abord pourquoi remplacer la relation humaine par la robotique? Car la relation n’est pas sans risque. Des personnes âgées ont vite tendance à s’attacher aux robots comme à des animaux de compagnie. Le danger est réel que cela infantilise les patients. Et les robots enregistrent toutes ces données relatives aux émotions. Des données qui peuvent être exploitées à des fins commerciales. Mais le risque principal est que l’on substitue le robot à des humains et que cela fasse perdre des emplois.»
Enfin, Bernard Ars met en garde contre la possibilité d’isolement des personnes assistées par un robot. Comme une dérive progressive vers une «suppression de la relation humaine». «C’est un risque réel, qui peut arriver très vite, sans que l’on s’en rende compte.» Toutefois, le robot peut être très utile dans certaines circonstances. «Il peut prodiguer de l’information de manière plus systématique que les hommes, dans un langage adapté à la personne. De plus, on remarque qu’ils aident très positivement les enfants autistes.»
Pour le professeur, le robot est utile tant qu’il reste «un outil» au service de l’homme. «Car, même lorsque les modèles de robots humanisés seront beaucoup plus performants, ils ne seront jamais une personne, mais toujours une copie, une grimace calquée sur les comportements humains.»