L’hiver dernier, des mineurs étrangers non accompagnés sont arrivés par centaines en Belgique, prenant de court le réseau d’accueil. Des places ont été créées à toute vitesse pour les héberger. Les Mena font face à bien des difficultés: certains sont accueillis dans des structures pour adultes, beaucoup n’ont ni tuteur ni interprète.
Article initialement publié le 3 février 2016.
Fin du mois de janvier. L’accalmie arrive enfin sur le front de l’accueil des mineurs étrangers non accompagnés (Mena). Après la déferlante de la fin de l’année 2015, le personnel des structures d’accueil pour demandeurs d’asile souffle un peu avant la prochaine vague de migrants et de réfugiés, attendue pour le printemps. Si la tendance se confirme, le nombre d’enfants ou d’adolescents seuls qui viendront demander l’asile continuera à être important.
C’était le grand étonnement de la fin de l’année passée. L’augmentation du nombre de demandeurs d’asile de moins de 18 ans avait été soudaine, au point de prendre de court les autorités.
Les chiffres impressionnent: 5.047 Mena sont arrivés en Belgique en 2015, dont 3.099 demandeurs d’asile, en majorité afghans, syriens, irakiens.
Ils n’étaient que 1.732 en 2014. Les arrivées en décembre 2015 représentaient une augmentation de 1.575% par rapport au mois de décembre 2014. «L’augmentation du nombre de Mena était exponentielle, reconnaît Benoît Mansy, porte-parole de Fedasil, l’Agence fédérale pour l’accueil des demandeurs d’asile. En novembre, et décembre, nous avons dû accueillir jusqu’à 60 mineurs par jour, contre 2 ou 3 l’an passé.»
Des mineurs de plus en plus jeunes
Des mineurs par milliers qui échouent en Belgique, abîmés par les années de guerre et par la longue route de l’exil, semée d’embûches, et parfois, de violences. Leur vulnérabilité est à fleur de peau. D’autant que ces jeunes sont de plus en plus jeunes. «20% ont moins de 15 ans», nous dit-on chez Fedasil.
Une tendance que tente d’expliquer Katja Fournier, de la plate-forme Mineurs en exil: «Certains viennent de zones de guerre où l’enrôlement de force de mineurs est monnaie courante, mais les 15-17 ans ont déjà été enrôlés. Les plus jeunes préfèrent fuir avant que cela ne soit leur tour. Dans d’autres cas, les familles syriennes en exil dans des camps de réfugiés sont souvent composées de la mère et de ses enfants. Le plus âgé d’entre eux reste pour s’occuper de la famille. Les plus petits sont parfois envoyés en ‘éclaireurs’ en Europe.»
Comment ces mineurs ont-ils été accueillis ces derniers mois? Assez mal, si l’on en croit le communiqué du Délégué général aux droits de l’enfant qui tentait d’alerter, le 16 décembre, sur la situation de ces «centaines» de Mena contraints de «dormir à la rue sans aucune protection».
Certes, l’estimation de «plusieurs centaines» avancée par Bernard De Vos est marquée par l’emphase. Mais il aura attiré l’attention sur le débordement intégral de l’accueil pour Mena pendant l’hiver. «On m’a signalé, une nuit, qu’une trentaine de Mena n’avaient pas de toit», témoigne ainsi Katja Fournier. Côté Fedasil, on assure que les Mena étaient le public prioritaire dans l’octroi de places d’accueil. «Notre défi a été d’offrir une place à tout le monde, avance Benoît Mansy. Je pense que la mission a été accomplie.»
Une chose est sûre, le nombre de places dans l’ensemble du réseau d’accueil a considérablement augmenté. Les autorités ont tenté de rattraper le mouvement migratoire. En juillet, le réseau d’accueil comptait 800 places spécialisées pour les mineurs. Il en compte aujourd’hui 2.300.
Que certains mineurs aient pu dormir gare du Nord ou au centre de Bruxelles, à l’hôtel Mozart, le porte-parole de Fedasil ne l’exclut pas. «Mais ces mineurs n’avaient pas encore introduit de demande», ajoute-t-il.
Fin janvier, on compte six centres qui participent aux missions d’orientation et d’observation (COO) des Mena.
Le centre de Neder-over-Heembeek, spécialisé dans l’accueil des Mena les plus vulnérables; sa capacité est passée de 55 à 80 places. Le COO de Steenokkerzeel a suivi la même évolution: 80 places aujourd’hui. Le COO de Sugny, qui reçoit des Mena non-demandeurs d’asile, est doté de 50 places contre seulement 30 il y a quelques mois.
Le centre de transit de Woluwe-Saint-Pierre a 80 lits alors que celui d’Holsbeek en a 60.
Enfin, le Petit-Château, au centre de Bruxelles, a 40 lits d’observation et d’orientation.
Préaccueil: repérer les vulnérabilités
En temps normal, lorsqu’un mineur se présente à l’Office des étrangers pour demander l’asile, il est conduit à la cellule dispatching de Fedasil. Celle-ci l’envoie dans l’un des centres d’orientation et d’observation pour Mena.
Crise de l’accueil oblige, de nombreux Mena, à l’instar des adultes, ont dû se contenter d’un premier passage à l’Office des étrangers pour obtenir une convocation quelques jours plus tard. Leur inscription n’étant pas encore officielle ils devaient faire avec l’hébergement d’urgence au World Trade Center, leur évitant de dormir à la rue. C’est ce que l’on nomme le «préaccueil».
Plus rares étaient les mineurs qui n’avaient pas réussi à pénétrer dans l’Office des étrangers pour ce premier contact. Ils ont aussi dû se rabattre sur le World Trade Center, dont les conditions de vie ne sont pas vraiment adaptées aux mineurs.
L’un des objectifs de l’équipe de la Croix-Rouge, qui gère le World Trade Center, est de dépister les vulnérabilités, afin d’accélérer la prise en charge du mineur dans des lieux adéquats. La plus évidente des vulnérabilités est l’âge des jeunes. «Nous faisons ce travail avec beaucoup d’énergie et de volonté, affirme Robert Ghosn, directeur du centre de préaccueil de la Croix-Rouge au WTC III, mais lorsqu’on doit travailler sur le trottoir de l’Office des étrangers ou sur notre trottoir, détecter des vulnérabilités devient assez complexe.»
Ce problème se pose avec acuité lorsque le centre est plein à craquer comme ce fut le cas en novembre pendant 20 jours. «Si 400 personnes attendent dehors, pour 100 places dedans, la question du repérage des vulnérabilités devient essentielle, insiste Robert Ghosn. Peut-être faudrait-il un système de préenregistrement, tenu soit par les autorités, soit par les associations, permettant d’aiguiller au plus vite les demandeurs d’asile, dans des conditions dignes et humaines.» Il est très probable que dans les longues files devant l’office des étrangers ou devant le centre de préaccueil du World Trade Center, des jeunes aien
t pu chercher des solutions alternatives, pour une ou quelques nuits, afin d’échapper à l’attente interminable, à l’humidité et au froid, et se retrouvant finalement à errer dans les rues de Bruxelles en quête d’une solution.
En octobre, 103 Mena étaient passés par le centre de préaccueil du World Trade Center, ils étaient 236 en novembre et 292 en décembre. La durée de leur passage en préaccueil est aujourd’hui de deux ou trois jours. Elle était de huit jours deux mois auparavant.
Fin janvier, on compte encore une centaine de Mena hébergés dans le centre d’urgence. Mais ceux-ci sont considérés comme étant en «accueil», et non plus en «préaccueil», car ils ont été reçus par l’Office des étrangers. La minorité de ces jeunes est contestée par l’administration. Ils restent au World Trade Center le temps de réaliser les tests visant à déterminer leur âge.
Places d’adultes occupées par des enfants
L’organisation de l’accueil des Mena est chamboulé à tous les étages. Il a fallu augmenter la capacité des centres d’observation et d’orientation (cfr encadré), convertir des centres pour adultes ou familles en centres pour Mena et créer de nouveaux centres, comme à Overijse, qui devrait accueillir 70 mineurs.
Cet effort de création de places est reconnu par les ONG, comme la plate-forme Mineurs en exil, «mais les conditions, la qualité de cet accueil posent problème», affirme Katja Fournier. Ce que reconnaît Benoit Mansy: «L’accueil offert à l’heure actuelle n’est pas forcément le plus adapté à tous.»
Le passage obligé, pour chaque Mena, c’est le centre d’orientation et d’observation (COO). Ceux-ci sont évidemment proches de la saturation. «Nos centres se sont très vite remplis à partir du mois de juillet», témoigne Géraldine Renauld, directrice du COO de Neder-over-Heembeek. La durée du passage en COO commence à augmenter mais ne dépasse que rarement le mois légalement prévu.
Aujourd’hui une partie non négligeable des mineurs est directement envoyée depuis le dispatching de Fedasil ou depuis le World Trade Center vers un centre d’accueil dit de «deuxième phase». Exit donc cette étape de l’observation où les jeunes, selon Géraldine Renauld, sont «orientés, écoutés et soignés» pendant quelques jours, le temps de leur trouver la structure la plus adaptée à leurs besoins.
Mais le problème principal que soulignent les associations de droits de l’enfant, c’est que de nombreux Mena sont accueillis dans des sections pour adultes de centres Fedasil, par manque de places dans les ailes ou structures spécialisées. «Il est vrai que nous n’étions pas prêts à faire face à une telle crise humanitaire, du coup, il a fallu aller vite au risque de diminuer la qualité de l’accueil», explique Géraldine Renauld.
Le 25 janvier, Fedasil comptait «entre 300 et 400 Mena» qui occupaient des places pour adultes. Tous sont en attente du résultat de leurs tests osseux et dentaire. Il existe un doute sur leur âge (cf. encadré). «Septante pour cent des tests révèlent que le jeune est majeur», affirme Benoît Mansy.
L’accueil dans des sections pour adultes n’est pas adapté à des mineurs. Pendant la phase du test osseux, les jeunes doivent pourtant être considérés comme tels. Les moins de 18 ans ont besoin d’éducateurs, de soutien, de présence et de cadre, comme l’explique Farid Khali, directeur d’un centre d’accueil Croix-Rouge à Uccle qui est en passe de convertir toutes ses places en places pour Mena: «C’est un gros travail que nous devons mener avec eux. Nous aurons bientôt, en permanence, 72 adolescents extrêmement fragiles qui ont connu la guerre et l’exil, dans un trajet parfois horrible. Ils ont beaucoup d’impulsivité, de frustrations, voire de colère. Il faut être à l’écoute et créer un cadre. Les faire se coucher tôt, assurer un suivi scolaire, les faire aller à l’école.»
Lorsqu’ils sont dans des sections pour adultes, les Mena ne sont pas toujours à la fête. Katja Fournier évoque des témoignages d’éducateurs de centres «qui sont très inquiets, car certains de ces jeunes ont des problèmes psychologiques, des traumatismes, et ils décompensent. Sans forcément l’accompagnement adéquat et dans un contexte de cohabitation qui peut être dangereux.» «Dans les places pour adultes, les jeunes n’ont pas de suivi, renchérit Léon Janssen, vice-président de l’association des tuteurs francophones. Dans les sections pour adultes ça boit, ça fume jusqu’à pas d’heure, ce n’est pas une ambiance bonne pour eux.»
La situation est insatisfaisante. Selon Fedasil, elle devrait cesser avec la chute spectaculaire du nombre d’arrivées de Mena (10 par jour en janvier) conjuguée à la création de places.
Depuis qu’ils existent, les tests d’âge ordonnés par l’Office des étrangers font débat. D’abord parce que la fiabilité des tests osseux et dentaires pour estimer l’âge d’une personne est remise en cause.
Dès 2010, le Conseil national de l’ordre des médecins rappelait que la méthode utilisée n’était pas «infaillible». Un exemple: le test osseux. «Les tables de maturation osseuse servant de référence sont établies sur la base d’une population déterminée, les plus utilisées reposent sur des populations blanches occidentales. (…) Le sujet auquel elles sont appliquées doit appartenir à la même population.»
Les résultats des tests osseux donnent généralement une estimation de l’âge avec une marge d’erreur. Même si ces marges sont elles-mêmes considérées comme peu fiables par les spécialistes, le doute bénéficie au mineur. Lorsqu’on estime qu’une personne a 18 ans et 10 mois avec une marge d’erreur de deux ans, cette personne sera bien déclarée mineure.
Ce qui dérange aujourd’hui les associations et les avocats qui suivent des dossiers de Mena, c’est le «doute presque systématique sur la minorité des jeunes qui se présentent à l’office des étrangers, et particulièrement avec certaines nationalités, comme les Afghans», explique l’avocate Cécile Ghymers, spécialiste des Mena. Doute systématique, pas de prise en compte de documents d’identité et non-motivation des décisions d’effectuer un test sont autant de bâtons dans les roues de l’intégration des Mena.
Des centaines de Mena sans tuteur
Les difficultés à trouver une place d’accueil ne sont pas les seules qu’affrontent les Mena.
Il en est une qui inquiète: à l’heure d’écrire cet article, des centaines de Mena n’avaient pas de tuteur. «900», selon le service des tutelles.
Le tuteur a un rôle clé. Sans tuteur, pas d’entretien dans le cadre de la procédure d’asile. Pas de démarches administratives. Pas d’avocat. Le tuteur, c’est le représentant légal du mineur. Pour Léon Janssen, «il y a aujourd’hui assez de tuteurs; de nouveaux entrent en fonction cette semaine. C’est au niveau du service des tutelles que
le traitement des dossiers coince». Et en effet, 26 nouveaux tuteurs côté francophone viendront s’ajouter aux 261 tuteurs déjà agréés. On peut additionner à ce chiffre 46 personnes, côté flamand, qui viendront grossir les rangs des tuteurs à l’issue de la formation qu’ils suivent fin janvier. C’est donc du côté du service des tutelles, qui croule sous les demandes, que cela traîne aujourd’hui.
La saturation ne concerne pas que le service des tutelles. Tous les services aux Mena sont surchargés, comme en témoigne Léon Janssen: «Les classes passerelles pour primoarrivants sont complètement pleines. Les services d’interprétariat sont aussi saturés. Il faut attendre de trois semaines à un mois pour un interprète en pachtoune.»
Et même si tous les Mena ont désormais un toit, on sait que l’accalmie est de courte durée. Les exilés franchissent moins la mer à la fin de l’automne. Ils devraient reprendre leur route au printemps. «Il y a un besoin d’anticiper, plaide Katja Fournier. On s’attend à une recrudescence des arrivées en mars ou en avril. Si on se dit ‘tout va bien, on en reste là’, il y aura une prochaine crise de l’accueil.»
«Des Mena à la rue : des solutions naîtront-elles du froid?», déjà une question posée par SOS Jeunes le… 17 février 2012.