Un peu plus de 3.000 personnes porteuses de handicap auraient dû voir leurs allocations d’insertion prendre fin au 1er janvier 2017. Un prolongement d’un an leur a été accordé par Kris Peeters (CD&V), le ministre fédéral de l’Emploi. Le temps de réfléchir à une solution «durable et structurelle». Mais laquelle?
Un an. C’est le temps qu’il reste à un peu plus de 3.000 personnes handicapées avant de voir leurs allocations d’insertion se tarir. Et de se retrouver peut-être sans revenus. La situation aurait cependant pu être pire. Initialement, c’est au 1er janvier 2017 que le robinet aurait dû se fermer. Avant que Kris Peeters ne décide très récemment de prolonger le suspense pour douze mois. Un nouvel épisode dans une véritable saga. Voilà en effet près de cinq ans que le couperet menace de tomber et qu’on le retient vaille que vaille dans l’espoir de trouver une solution structurelle…
«Il y a eu des sorties positives mais aussi de grandes catastrophes.» Véronique Havaux, Actiris
Les origines de ce dossier remontent au début de la décennie. À cette époque, on parle encore d’allocations d’attente. Un système qui permet – et permet toujours – à une personne sortant des études de bénéficier d’une allocation sans avoir travaillé ni cotisé. En 2011, le gouvernement Di Rupo décide de limiter ces allocations dans le temps. Et de changer leur nom. Dorénavant, on dira allocations d’insertion. Et elles seront limitées à trois ans à partir du 1er janvier 2012. Au début, on pense que cette mesure va affecter principalement les jeunes. Mais très vite, on se rend compte qu’elle brasse un public bien plus varié. En son sein, on trouve notamment des personnes handicapées. Et pas toutes jeunes… On parle de bénéficiaires âgés de 40 à 50 ans. L’«apparition» de ces personnes porteuses de handicap n’est pas étonnante. Inscrites à l’Onem depuis de longues années, elles n’auraient jamais ouvert leur droit au chômage sur la base du travail. Et seraient restées en allocation d’attente pendant parfois très longtemps. Jusqu’à cette limitation à trois ans.
«Aller à la Vierge noire, c’est une insulte»
Trente-six mois à compter du 1er janvier 2012, cela nous amène donc au 1er janvier 2015. C’est à cette date que les premières fins de droit aux allocations d’insertion sont censées se produire. À l’époque, l’inquiétude est grande dans le secteur de l’aide aux personnes handicapées. Mais le temps passe. Et on trouve une solution provisoire par le biais d’un arrêté royal – déposé par Monica De Coninck (SP.A), alors ministre fédérale de l’Emploi – daté du 28 mars 2014. Le texte prévoit une «rallonge» de deux ans pour les personnes handicapées «à 33% et plus» (voir encadré) et ce qu’on appelle alors les MMPP. Un acronyme désignant les personnes ayant des problèmes sérieux, aigus et chroniques de nature médicale, mentale, psychique ou psychiatrique. Il y a cependant une condition: il faudra que ces personnes participent «positivement» à un accompagnement spécifique organisé ou reconnu par les services régionaux de l’emploi – VDAB, Actiris ou Forem.
33% et plus
Une personne handicapée de 33 à 65% reste capable d’exercer une activité professionnelle de façon régulière. Elle connaît cependant des difficultés importantes mais pas majeures à exercer une activité professionnelle de façon rentable et régulière.
On est donc reparti jusqu’au 1er janvier 2017. Dès fin 2016, Kris Peeters (CD&V) – ministre fédéral de l’Emploi – se fait pourtant sonner les cloches par la CSC, qui s’inquiète. Début 2017, les personnes handicapées risquent à nouveau de perdre leurs allocations d’insertion… Les revendications du syndicat sont claires: il faut trouver une solution temporaire ET structurelle. Kris Peeters y consent. Il dépose un arrêté royal prolongeant le sursis d’un an. Tout en affirmant qu’il travaillera à une solution «durable et structurelle» pour ce public, d’après son cabinet. Une solution qui impliquera de mettre le fédéral, les Régions et les Communautés autour de la table.
«Sur certains publics fragilisés, nous sommes en difficulté.» Rosa Montagner, Forem
Alors, tout est bien qui finit bien? Pas vraiment. Car tout le monde en convient: les «33%» et les MMPP – dites maintenant PMS pour psycho-médico-social – sont parfois constitués de personnes fortement fragilisées. Et difficiles à «placer». Au Forem, un accompagnement adapté a été mis en place pour les «33% et plus». Il est effectué par un référent «classique» dont l’objectif est «d’aller chercher quelles sont les compétences du demandeur d’emploi», d’après Rosa Montagner, de l’équipe accompagnement des publics fragilisés et recours au partenariat. Pour les MMPP, ce sont des assistants sociaux – au nombre de trente aujourd’hui – qui réalisent un accompagnement spécifique. «Le but n’est pas de psychiatriser, mais de trouver un juste milieu entre l’emploi et le fait de s’en sortir au niveau de ses difficultés. Il s’agit de lever leurs problèmes», continue Rosa Montagner. Chez Actiris, c’est la consultation sociale et ses dix assistants sociaux qui sont chargés de prendre en main les «33%» et les MMPP pour un accompagnement «actif et adapté», d’après Véronique Havaux, directrice des services spécifiques aux chercheurs d’emploi. Malgré cela, mettre ce public à l’emploi reste compliqué. Suite à la «rallonge» de deux ans décrétée en 2014, 950 accompagnements adaptés ont été ouverts chez Actiris. De ce chiffre de départ, il en resterait aujourd’hui entre 300 et 350. Certaines personnes sorties de ces chiffres auraient trouvé un emploi. Pour d’autres par contre, cela s’est révélé plus compliqué. «Il y a eu des sorties positives mais aussi de grandes catastrophes», explique Véronique Havaux. Même son de cloche du côté du Forem où Rosa Montagner admet que, «sur certains publics fragilisés, nous sommes en difficulté. Nous offrons un accompagnement à chacun mais nous savons que nous allons avoir des soucis pour un certain nombre de personnes. Pour les MMPP, par exemple, ce n’est pas en un an que nous allons pouvoir réduire les problèmes».
Face à cette situation, les solutions ne sont pas légion. Un transfert vers l’Inami est possible mais compliqué. Une autre solution, plus souvent citée, peut être d’orienter la personne vers la DG personnes handicapées – appelée autrefois «Vierge noire», du nom de la rue où l’organisme résidait – afin d’introduire une demande d’allocation de remplacement de revenus ou une allocation d’intégration. Mais les problèmes sont nombreux. Premièrement, il s’agit d’un droit résiduaire. Il n’est octroyé que si la personne a d’abord fait valoir ses droits aux autres régimes de la sécurité sociale. Enfin, un grand nombre de personnes handicapées ne souhaiteraient tout simplement pas effectuer cette demande. «Ces personnes se considèrent comme des travailleurs auxquels on ne trouve pas de travail, explique Khadija Khourcha, responsable des travailleurs sans emploi à la CSC. Pour elles, aller à la Vierge noire, c’est une insulte.» Une opinion partagée par Véronique Havaux, qui va un pas plus loin. «Les personnes porteuses de handicap sont souvent très motivées. Elles ont d’ailleurs un meilleur taux de présence aux rendez-vous chez nous que les publics ‘classiques’.»
«En voulant les protéger, on retombe dans l’assistanat.» Véronique Gailly, directrice de «Phare»
Malgré cela, les services régionaux de l’Emploi admettent qu’ils n’hésitent pas à aider ces mêmes personnes à remplir un dossier pour la Vierge noire quand il le faut. «Nous pourrions bien sûr nous dire ‘On laisse courir’. Mais que va-t-il advenir de ce public que nous n’arrivons pas à placer au bout des trois ans, s’interroge Véronique Havaux. Nous ne pouvons pas laisser les gens végéter, nous les accompagnons alors vers d’autres solutions.» Un argumentaire qui ne convainc pas tout le monde. Véronique Gailly est directrice de «Phare», un service de la Cocof censé apporter «information, conseils et interventions financières aux personnes handicapées en Région bruxelloise». Pour elle, renvoyer ces demandeurs d’emploi vers la Vierge noire constitue un paradoxe absolu. «D’un côté on prône de plus en plus l’inclusion des personnes handicapées. Et de l’autre on les renvoie vers la Vierge noire. En voulant les protéger, on retombe en fait dans l’assistanat. D’autant plus qu’une fois à la Vierge noire, les personnes handicapées vont avoir tendance à y rester. Ce sont des allocations très compliquées à obtenir. Elles n’oseront donc pas accepter un travail de peur de ne plus pouvoir les récupérer en cas de problème.»
Juste un peu de paix en plus?
C’est dit: les conditions d’octroi des allocations pour personnes handicapées sont strictes. Un certain nombre de personnes fragilisées arrivant en fin d’allocations d’insertion n’y auront donc pas droit. Elles n’auront alors pas d’autre choix que de se diriger vers les CPAS. C’est pour elles que Kris Peeters entend chercher une solution structurelle. De même que pour les personnes «qui ont très peu (ou n’ont pas) la possibilité de trouver un emploi», d’après son cabinet.
Cela dit, cette solution sera compliquée à trouver. À vrai dire, on a parfois l’impression que personne ne sait vraiment dans quelle direction chercher. Du côté du Conseil national supérieur des personnes handicapées – chargé de l’examen de toutes les matières qui, au niveau fédéral, sont susceptibles d’avoir des conséquences sur la vie des personnes handicapées –, on déclare ne pas avoir travaillé sur la question. Et on renvoie vers deux avis émis fin 2014, relatifs au dossier des allocations d’insertion. Ceux-ci déplorent bien la situation, remettent en cause la Belgique dans sa politique d’inclusion des personnes handicapées et regrettent que le dossier «ait été traité dans l’urgence avec une synergie réduite des organismes concernés». Mais ils ne proposent pas de pistes de solution. Du côté de la CSC, Khadija Khourcha affirme que le syndicat a commandé une étude à la KUL à ce sujet. But de l’opération: objectiver les chiffres à propos des personnes handicapées concernées par la prolongation des allocations d’insertion. Pour la CSC, elles étaient environ 3.300 en juillet 2016, même s’il s’agit d’une estimation difficile à vérifier. Et proposer des pistes de sortie par le haut. L’une d’elles, toute simple, serait de maintenir ces personnes dans le régime des allocations d’insertion et de chômage, avec un statut adapté.
«Je ne pense pas qu’il y aura une solution structurelle.» Ouiam Messaoudi, Association socialiste pour la personne handicapée
D’autres opérateurs versent dans le réalisme. «Il faudrait au moins que le politique se rende compte que certaines personnes ne sont pas prêtes à l’emploi», souligne Véronique Havaux. Rosa Montagner note quant à elle «qu’il serait bien que les personnes handicapées ne soient pas confrontées à des obligations auxquelles elles ne sont pas en mesure de répondre».
Enfin, certaines structures tentent également de prendre un peu de hauteur. C’est le cas de l’Association socialiste pour la personne handicapée. Pour Ouiam Messaoudi, assistante sociale, le problème est plus global. «Il n’y a pas de politique spécifique pour la personne handicapée en Belgique, déplore-t-elle. Cela commence avec l’enseignement. Et se finit avec l’emploi. Ici on active des personnes handicapées, on fait peser une responsabilité sur leur dos, alors qu’il n’y a pas de vraie politique d’emploi inclusive et qu’on ne leur donne pas les moyens de trouver un emploi. Il faut évaluer l’efficacité des aides existantes et renforcer les aides aux employeurs pour susciter l’engagement des personnes en situation de handicap.»
Sévère, la travailleuse estime qu’en prolongeant les allocations d’insertion d’un an, Kris Peeters «s’est juste acheté un peu de paix en plus». «Je ne pense pas qu’il y aura une solution structurelle. On avait déjà eu deux ans de prolongation avant, et rien ne s’est passé. Pourquoi se passerait-il quelque chose maintenant?», conclut-elle.
Aller plus loin
Alter Échos n°399 du 24 mars 2015: «Allocations d’insertion: il faudra étudier vite», Julien Winkel.
Alter Échos n°366 du 27 septembre 2013: «Chômage, le péril jeune?», Julien Winkel.
Alter Échos n°365 du 13 septembre 2013 : «Chômage: les personnes handicapées en ligne de mire?», Julien Winkel.