Au Québec, les centres résidentiels communautaires (CRC) offrent une voie aux personnes judiciarisées les plus vulnérables. Une alternative à la récidive. En collaboration avec les services correctionnels (équivalent de l’administration pénitentiaire), des organismes privés à but non lucratif chapeautent un réseau de services à travers la province depuis les années 80. Un modèle de partenariat unique au Canada, qui a fait ses preuves malgré les défis. Et qui pourrait essaimer chez nous.
Cet article a été publié dans Alter Échos n°423 du 18 mai
Par Sophie Mangado
Pour comprendre comment secteurs correctionnel et communautaire ont tissé des liens, il faut remonter à la fin du XIXe, alors que des mouvements citoyens (souvent issus de groupes religieux) prônaient la réhabilitation plutôt que le châtiment. L’aide aux personnes incarcérées s’organise alors. En 1956, un comité d’enquête sur le Service des pardons recommande de maintenir autant que possible les délinquants hors les murs. Les organismes issus de la communauté deviennent des alliés de choix pour le gouvernement, qui s’en assure la collaboration moyennant finance. Souvent sans le sou, voilà pour eux l’opportunité de développer et de pérenniser les services. L’enjeu devient alors de garder leur indépendance.
«L’emprisonnement contribue davantage à accroître la récidive qu’à la réduire», Commission de réforme du droit du Canada
«La collaboration avec le communautaire s’inscrit aussi dans un contexte de mouvement social des années soixante et soixante-dix», précise Christine Tremblay, directrice des programmes à la direction centrale des Services correctionnels du Québec. À cette époque, la Commission de réforme du droit du Canada déclare que «l’emprisonnement contribue davantage à accroître la récidive qu’à la réduire».
La première entente tripartite entre réseau communautaire et services correctionnels provinciaux et fédéraux est signée en 1981. Regroupés au sein de l’Association des services de réhabilitation sociale du Québec (ASRSQ), les organismes déplorent cette même année que les bénévoles et ex-détenus à l’origine des CRC s’en voient écartés, compte tenu des exigences de qualification. Au milieu des années 1980, un vent sécuritaire souffle sur le milieu correctionnel. L’ASRSQ joue les chiens de garde. «Nous rappelons la réalité du terrain, explique David Henry, coordonnateur aux programmes et aux communications. Les services correctionnels sont de grosses machines, mais l’espace laissé aux CRC leur permet néanmoins d’innover.»
Le Québec compte une trentaine de CRC, dont le nombre de lits représente autour d’un dixième du nombre de personnes détenues. Pour y accéder, il faut être référé par les services correctionnels. Les travailleurs sociaux des CRC évaluent les demandes puis adressent une recommandation à la Commission des libérations conditionnelles, qui tranche. «Le passage par un CRC n’est pas pertinent pour tous les contrevenants, estime Christine Tremblay. Ça s’adresse à ceux dont le niveau de risque et de besoins est élevé.»
Gérées par un conseil d’administration, ces maisons de transition élaborent leurs règlements et cadre d’intervention, «qui doivent être approuvés par les services correctionnels, pour assurer la cohérence avec nos obligations», ajoute Christine Tremblay. Y a-t-il ingérence de la part des autorités envers les organismes? «Cela se pourrait, si les maisons ne faisaient pas respecter le cadre de l’entente tripartite en rappelant que l’intervention, l’essence du travail d’accompagnement leur reviennent», croit David Henry.
Les CRC sont aujourd’hui confrontés à un nouvel écueil. Alourdissement des peines, allongement des sentences et du temps à purger avant de pouvoir prétendre à une libération conditionnelle… «Ces dernières années, le mandat de sécurité et de prévention a pris le pas sur celui de la réinsertion», observe David Henry. Du côté des services correctionnels, Christine Tremblay estime que «la réinsertion sociale est un défi qui ne peut être relevé par une seule entité. Sans l’apport du communautaire, il aurait été difficile de maintenir une philosophie de réinsertion sociale au Québec». Un équilibre probablement jamais acquis, toujours à défendre.
Et en Belgique?
Lors d’un voyage réalisé fin 2015, Rachid Madrane a eu l’occasion de découvrir le modèle québécois des maisons de transition. On n’en est qu’au stade des réflexions préliminaires, mais un projet pilote pourrait voir le jour en Fédération Wallonie-Bruxelles. Le cabinet a commandé à l’administration une étude de faisabilité. «Lorsqu’on analyse le parcours judiciaire des personnes en Belgique, on se rend compte qu’une série de dispositifs existent pendant et après la détention, précisait le ministre des Maisons de justice à cette occasion. Je pense notamment au soutien offert par les services d’aide aux détenus, les services psychosociaux des prisons, les services d’aide aux justiciables. Mais un maillon important de cette chaîne judiciaire est absent, c’est celui qui se situe juste à la sortie de prison, au seuil de la reprise de la vie en société, qui est pourtant une période cruciale pour le justiciable.»
Il convient de distinguer les maisons de transition des maisons de détention, petites unités ancrées dans le tissu urbain qui ont pour ambition d’offrir une alternative au gigantisme des établissements pénitentiaires pour permettre à chaque détenu de bénéficier d’un accompagnement individualisé sur mesure. En Belgique, ce modèle est promu par l’asbl Les Maisons en collaboration avec la Liga voor Mensenrechten. Koen Geens, le ministre fédéral de la Justice, a inscrit l’ouverture de deux maisons de détention, une en Flandre et une en Fédération Wallonie-Bruxelles, dans le Masterplan prison. Le bourgmestre de Genk, Wim Dries, est prêt à accueillir un projet pilote dans sa ville (lire Alter Échos n°420: «Inventer un autre enfermement», 23 mars 2016).
À la différence des maisons de transition, qui forment un sas entre la prison et le retour en société, les maisons de détention constituent une modalité d’exécution de la peine. Le premier projet relève des compétences communautaires, le second s’inscrit dans la politique carcérale fédérale. Par S.W.
Alter Échos n°420, «Inventer un autre enfermement», Pierre Jassogne, mars 2016
Alter Échos n°413, «Sortir de prison, pas si facile», Marinette Mormont, décembre 2015
Aller plus loin
Fil infos, «Prisons: des services pour la réinsertion des détenus totalement insuffisants», Manon Legrand, avril 2015