Le Conseil communautaire de l’aide à la jeunesse a remis sa copie concernant le projet de réforme de Rachid Madrane, ministre compétent en ce domaine. Un avis plus nuancé qu’attendu mais qui n’épargne pas certaines orientations majeures du projet du ministre.
Octobre 2015. Rachid Madrane, ministre en charge de l’Aide à la jeunesse, surprend le monde de l’aide à la jeunesse par l’ampleur de la réforme qu’il propose pour le secteur.
Après six mois de travail, le Conseil communautaire de l’aide à la jeunesse (CCAJ) a rendu en avril son avis au sujet de cette réforme.
C’est Françoise Raoult qui a présidé le CCAJ et planché, avec les autres représentants du secteur, sur ce texte.
Elle est aujourd’hui fière de sa dernière mission menée avant la pension. Elle se dit satisfaite «de la teneur des débats, qui furent très riches. L’avis rendu est explicite, constructif et contient des propositions».
Au vu des bruissements parfois acerbes que l’on percevait ces derniers mois, on aurait pu s’attendre à un avis écrit au vitriol. Tel n’a pas été le cas.
Bien sûr, les représentants du secteur «regrettent l’absence d’évaluation préalable au lancement d’un tel chantier». Dans le même temps, la majorité des membres du CCAJ «souligne l’intérêt du renforcement des droits des jeunes» dans ce projet. L’avis est donc plutôt équilibré même s’il écorne souvent les grandes orientations du ministre.
Un CCAJ qui expose ses divisions…
Sur certains points majeurs de la réforme, le CCAJ n’a pas pu dépasser ses propres divisions. L’instance d’avis ne s’en cache pas et, au contraire, décide d’alimenter le débat démocratique en les exposant.
La proposition concernant l’âge du consentement à un programme d’aide négociée auprès du conseiller de l’aide à la jeunesse en est un bon exemple. Le projet de code prévoit que le mineur de 12 ans signe le programme d’aide qui le concerne.
Pour les partisans de cette réforme, considérée comme «une avancée du droit des jeunes», le mineur de 12 ans disposerait du «discernement nécessaire» pour signer un tel programme. Mais la grande majorité du CCAJ s’oppose à cette diminution de l’âge. Selon eux, l’enfant se retrouverait à porter «la responsabilité de la situation familiale, notamment en termes de culpabilité».
Faut-il étendre la prévention aux jeunes de moins de 26 ans, contre 18 actuellement? Tel fut l’autre grand débat interne au CCAJ. Une mesure qui changerait radicalement le travail des services d’aide en milieu ouvert (AMO). Deux des trois fédérations d’AMO sont opposées à un tel changement.
Elles craignent que leur travail ne se déplace vers des missions destinées aux «adultes» qui devraient être assumées par d’autres secteurs. Quant à ceux qui approuvent cette mesure, ils rappellent que les difficultés spécifiques liées à la transition entre minorité et majorité méritent bien une aide adaptée.
… et qui s’affirme collectivement
Sur d’autres sujets, les membres du CCAJ sont unanimes, ou presque. Ils critiquent la «nouvelle architecture» du secteur que propose ce code. Une architecture où l’administration est «omniprésente», via un nouveau personnage, le «coordinateur d’arrondissement», qui ferait office de coordinateur des relations entre SAJ, SPJ et magistrature ainsi que de «chargé de prévention».
Pour le ministre, la prévention est une priorité. À tel point que le nombre d’instances qui lui seront consacrées va croître de manière spectaculaire. Dans le «livre» consacré à la prévention, l’équipe du ministre imagine des commissions locales de prévention, des conseils d’arrondissement, des conseils de participation, un collège des chargés de prévention. Autant de nouvelles instances qui poussent le CCAJ à dénoncer la «lourdeur» du système (tout en critiquant leur composition).
Une déjudiciarisation à double tranchant
L’une des lignes directrices de la réforme de l’aide à la jeunesse est de poursuivre la déjudiciarisation.
Deux exemples: un comité de conciliation est proposé pour contester les décisions du conseiller de l’aide à la jeunesse, afin d’éviter le recours au tribunal.
Dans un autre registre, lorsqu’un fait qualifié infraction est commis, le directeur de l’aide à la jeunesse serait en capacité de décider de la mesure adéquate lorsque celle-ci est d’ordre psychosocial. Le rôle du directeur, donc de l’autorité administrative de la Fédération Wallonie-Bruxelles, serait étendu au détriment des prérogatives des juges.
Le CCAJ accueille favorablement la proposition d’un comité de conciliation. Mais il remet en cause la lourdeur de la procédure et la composition de ce comité qui comprendrait deux représentants de l’administration, qui seraient à la fois juge et partie.
La tonalité des commentaires est bien plus sévère lorsqu’on aborde la répartition des pouvoirs entre directeur de l’aide à la jeunesse et juge. «Les rôles respectifs des directeurs et des juges paraissent incohérents, contradictoires et incompréhensibles», peut-on lire dans l’avis. Le CCAJ recommande donc de laisser tomber cette tentative de pousser un peu plus loin la déjudiciarisation. «L’idée était plutôt portée par les directeurs eux-mêmes, retrace Françoise Raoult. Mais, dans les faits, le CCAJ a plutôt pensé que le jeune se perdrait un peu en cas de double gestion du dossier.» Conséquence: le CCAJ recommande de ne pas toucher à l’équilibre fragile des attributions entre le judiciaire et l’administratif. Entre le fédéral et la Communauté.
Léger malaise autour du dessaisissement
Concernant le sujet sensible du dessaisissement, qui permet au tribunal de la jeunesse de se dessaisir au profit de la justice pour adultes dans des cas d’infractions graves, le CCAJ regrette que celui-ci ait toujours une quelconque existence légale. Mais il soutient l’idée du ministre qui est de rendre ses conditions d’utilisation plus strictes.
Le dessaisissement, très critiqué par les instances internationales de protection des droits de l’enfant, ne serait plus possible que si le jeune concerné «a déjà fait l’objet d’une mesure de placement en IPPJ en régime fermé pour des faits antérieurs» de violence grave.
Pour le CCAJ, une telle proposition induirait des «effets pervers». Des juges pourraient être tentés de prononcer plus légèrement des mesures d’enfermement en IPPJ, afin de favoriser, ensuite et en cas de récidive, le dessaisissement. Une majorité des membres du CCAJ suggère de rendre possible le dessaisissement mais «après avoir tenté des mesures éducatives». Une formulation bien plus large que cette proposée par Rachid Madrane et qui, paradoxalement, ouvrirait bien davantage les possibilités de dessaisissement que le texte initial.
Octobre: un texte au parlement?
Le directeur adjoint du cabinet de Rachid Madrane, Alberto Mulas, se dit «heureux des débats». Il affirme que cet avis ne restera pas lettre morte: «Nous suivrons de nombreux points exprimés dans l’avis. Ce travail de fond aura servi. C’est une véritable concertation.» Le conseiller du ministre donne quelques exemples de ce qui pourrait changer: «Nous prendrons en considération les remarques concernant la simplification de l’architecture de la prévention. Au sujet du comité de conciliation, nos formulations ne sont peut-être pas les meilleures. Idem concernant la position du directeur de l’aide à la jeunesse dans le cadre des faits qualifiés infractions.» Difficile de savoir exactement ce qui sortira de la prochaine mouture du texte. Dans quelle mesure l’avis sera-t-il suivi?
Une chose est sûre: il n’y aura pas d’allers-retours entre le CCAJ et le cabinet du ministre. Le nouveau texte sera révisé puis discuté avec le «partenaire de la majorité». Envoyé au Conseil d’État et présenté au parlement. Probablement en octobre.
Aller plus loin
«L’aide à la jeunesse sens dessus dessous», Alter Échos n°412, novembre 2015, Cédric Vallet
«Les AMO divisées face aux propositions de Rachid Madrane», Alter Échos n°416, janvier 2016, Cédric Vallet
«Amaury de Terwangne :«Le projet de Rachid Madrane est illisible»», Alter Échos n°420, mars 2016, Cédric Vallet