Les cellules locales d’accompagnement scolaire (Clas) et le dispositif d’accrochage scolaire (Das) œuvrent à l’accrochage des jeunes élèves bruxellois. Quel est le travail concret de ces dispositifs financés par la région ?
Face au décrochage scolaire, les communes bruxelloises, ainsi que la Région, jouent un rôle de prévention. A Ixelles, la Cellule locale d’accompagnement scolaire (Clas)1 est composée de six personnes, dont la plupart se coltinent chaque jour la réalité de terrain. Vincent Berhin en fait partie. Il lui arrive de « prendre son balluchon » et de parcourir les rues de Bruxelles à la recherche d’un élève qui aurait disparu de l’école. Un numéro de téléphone ou une adresse en poche, il tente de nouer le contact. « Face à des jeunes sur la défensive, je crée la surprise, c’est ma force », dit-il, et d’ajouter « c’est à ce moment-là que je les accroche ». Une approche simple, en douceur : « Je leur dis, “on ne se connaît pas, je travaille pour la Commune, l’école m’a appelé car elle est inquiète pour ta scolarité. Est-ce que tu peux me rencontrer, juste cinq minutes pour voir ce que je peux répondre à l’école”. » Une première rencontre qui se déroule parfois dans des lieux insolites : un parc, un banc public, une cage d’escalier ou au coin de la rue.
L’absentéisme, vu de loin, ne fait pas de ravages. En 2010-2011, l’administration a recensé 10 916 élèves absents sur plus de 850 000 élèves. Un chiffre relativement stable depuis quelques années.
Attention, reste à voir ce que l’on compte. Dans l’enseignement fondamental, les chefs d’établissement ont l’obligation de signaler les élèves qui s’absentent sans justification pendant au moins 9 demi-jours, alors que dans le secondaire, cette obligation de signalement ne concerne que les élèves qui se sont absentés plus de 30 demi-journées.
Sur les 10 916 élèves qui ont brillé par leur absence, 6 083 l’ont été plus de 20 demi-jours. Bruxelles se taille la part du lion avec 4 513 élèves absents.
Ces chiffres cachent bien des disparités. Prenons l’exemple d’Ixelles. Lorsqu’on se penche sur les filières d’enseignement de technique de qualification ou l’enseignement professionnel, certains taux crèvent les plafonds. En 2009, 22,88 % des élèves inscrits au troisième degré de l’enseignement de technique de qualification se sont absentés plus de trente demi-journées. Ce taux était de 16,87 % dans le second degré de l’enseignement professionnel.
Pour Vincent Berhin, le travail de la Clas révèle « le besoin pour certains jeunes d’avoir un adulte qui n’est pas un professeur, pas un parent, qui lui demande comment sa semaine s’est passée, qui l’aide à avoir du recul par rapport à sa situation familiale. » Un travail vaste et multiforme, à l’image du décrochage scolaire. Une notion qui n’a pas de définition précise mais que les acteurs divisent en deux catégories. Le décrochage « passif », lorsque les élèves sont présents en cours mais y font de la figuration. Ils ne suivent pas et se désengagent de l’enseignement qui leur est prodigué. Et le décrochage actif qui concerne les élèves qui s’absentent souvent, qui ont été exclus ou ont quitté l’école.
Le plus souvent, c’est l’école qui met en relation l’élève et la cellule locale. Parfois, ce sont les parents. Qu’il s’agisse d’absentéisme, d’élèves qui ne suivent plus ou de problèmes de comportement, Vincent Berhin en fait son affaire. « En fonction des premiers contacts avec le jeune, on veut savoir quel est son problème, pourquoi il est en décrochage », détaille-t-il. Les premières réponses qu’il obtient sont généralement assez vagues : « Je suis pas motivé, j’en ai marre ». S’ensuit un travail de longue haleine : « A partie de là, le contact est noué, je travaille beaucoup par téléphone. Les suivis durent souvent plusieurs mois. C’est là qu’on touche à des questions existentielles qui n’ont pas été menées à terme. On évoque des problèmes familiaux, des tensions à la maison, un manque de soutien. » Un dernier aspect qui, selon notre intervenant social, « colle parfaitement avec l’enquête régionale (cfr encadré) qui montre que le risque de décrochage varie en fonction du sens que l’élève va attribuer à son parcours. » Un sens qui dépend largement de l’accompagnement des parents. « Si des parents ont un message enthousiaste sur l’école, cela a un gros impact », dit-il.
Le décrochage scolaire ne serait que peu lié à des facteurs sociaux. C’est l’une des conclusions d’une étude réalisée par les cellules de veille de lutte contre le décrochage scolaire de 15 communes bruxelloises, en partenariat avec l’Institut de psychologie de l’Université catholique de Louvain.
Pour parvenir à cette conclusion, 3 716 élèves de 3e secondaire, toutes filières confondues ont répondu l’an passé à un questionnaire sur la question du décrochage.
Selon les résultats de cette étude, le décrochage scolaire puiserait ses origines dans des éléments directement associés à l’expérience scolaire. Quatre facteurs de risque se dégagent : la valeur attribuée aux apprentissages scolaires (l’importance et l’utilité que l’élève accorde à l’école), le retrait en classe (participation), les intentions nourries par les amis de l’élève d’abandonner l’école et la consommation d’alcool, de cigarettes ou de cannabis.
C’est surtout le cumul de ces quatre facteurs qui créerait du décrochage. Ce vécu scolaire serait largement influencé par des facteurs liés à la santé de l’élève (dépression par exemple) ou à sa trajectoire scolaire (résultats, sanctions, exclusions). Deux facteurs eux-mêmes influencés par les conditions sociales dans lesquelles évolue l’enfant.
Les auteurs de l’étude en déduisent donc que l’effet direct des facteurs sociaux sur le décrochage est « presque négligeable ». Selon eux, « cette étude s’oppose à une lecture déterministe du décrochage scolaire » car, ont-ils noté, « le décrochage scolaire relève d’un processus qui apparaît de manière progressive et dont les signaux avant-coureurs se manifestent par le désengagement scolaire et l’absentéisme. »
Enfin, l’étude ajoute une nouvelle pierre à l’édifice de la lutte contre les inégalités du système scolaire belge en rappelant que « la manière dont les élèves sont distribués au sein des écoles et des classes, via le recours au redoublement et l’orientation dans différentes filières, a une incidence sur le risque de décrochage. »
Extrait du fil info d’Alter échos du 15 décembre 2011
Une machine à trier
Le décrochage scolaire est surtout répandu dans l’enseignement qualifiant ou professionnel. « Un échec », aux yeux de Vincent Berhin qui unit sa voix aux nombreuses autres qui regrettent que l’enseignement en Communauté française soit devenu « une machine à trier, où des élèves sont orientés dans des sections fourre-tout. Les élèves ne voient pas le sens de leur présence à l’école. »
Les Clas sont des dispositifs communaux financés par le plan bruxellois de prévention et de proximité. Elles ont donc pour vocation d’oeuvrer à la prévention du décrochage scolaire. Pour ce faire, la Clas d’Ixelles, intégrée dans le dispositif « Ixelles prévention », aide les écoles à mettre en oeuvre des projets. « Nous avons mis en place, cette année, une dizaine de projets dans les écoles », affirme Vincent Berhin. Des projets ciblés sur des besoins précis. Il peut s’agir de l’organisation d’un tournoi de foot sur le temps de midi, afin d’éviter que des élèves ne prennent la poudre d’escampette durant cette tranche horaire, ou de tutorat d’élèves en difficultés avec l’asbl Schola de l’ULB. Du « ludique au pédagogique », résume Vincent Berhin. La Clas fournit parfois son aide à des projets d’éducation aux médias. Les discussions permettent d’aborder le thème des réseaux sociaux en général, et de Facebook en particulier. Car ce dernier peut être à l’origine d’absences injustifiées : « Les moqueries ridicules qu’on peut se faire à l’adolescence sont désormais postées sur Internet. 300 à 400 personnes les voient, ce qui crée de réels malaises », déplore-t-il. Une bonne partie des projets soutenus par la Clas sont des réponses à des appels d’offres du dispositif d’accrochage scolaire bruxellois.
Was ist Das ?
Le dispositif d’accrochage scolaire (Das2) bruxellois ne coordonne pas le travail des Clas des 19 communes de la capitale, mais « tisse la relation entre les communes, les écoles et le Das ». Das et Clas sont des partenaires privilégiés dans la lutte pour l’accrochage.
Le Das est né en l’an 2000. Il fut conçu comme une réponse au décrochage scolaire et à son corollaire : la présence de jeunes en rue. Pour Pascale Labiau, la coordinatrice du Das, « le fait que notre mission soit préventive implique logiquement de ne pas travailler avec les jeunes en rue, mais plutôt de voir ce dont les écoles ont besoin face au désintérêt des élèves, pour éviter le décrochage ». La réponse que propose le Das : la mise sur pied de projets qui répondent à des besoins spécifiques des écoles. L’an passé, le Das a financé 340 projets. « Ces projets, ce sont les écoles qui les conçoivent avec les cellules locales d’accrochage scolaire », précise la coordinatrice. Comme l’exemple ixellois l’a illustré, les projets sont très variés. Des ateliers théâtres, de percussion, de sport ou traitant de la communication non violente. « Des projets éducatifs, pas de loisirs », assène Pascale Labiau. Mais la demande vise de plus en plus des projets sur l’enseignement, la remédiation. « Nous travaillons aussi sur l’apprentissage de la langue, qui est une cause de décrochage, par exemple chez les primo-arrivants », ajoute Pascale Labiau. Elle estime que le Das « essaie de créer une cohésion dans l’école, de pallier les difficultés des jeunes ». Tous ces projets ont permis, l’an passé, de toucher environ 22 000 jeunes.
Ces ateliers sont, la plupart du temps, obligatoires pour les élèves. C’est notamment le cas des cours de remédiation. Ils ont lieu en dehors des heures de cours. Pour la coordinatrice du Das, ils sont réellement bénéfiques, « quand il y a une bonne coordination entre le professeur, l’intervenant ou le tuteur. Le professeur a une autre façon de voir le jeune, il voit qu’il s’investit ». A l’occasion des 10 ans du Das, les écoles ont évalué le dispositif. Cette évaluation sera disponible dans quelques semaines. Pascle Labiau nous en dévoile quelques éléments : « Nous avons de bons résultats auprès des écoles. Car les projets impulsent de nouvelles dynamiques. Dans certaines écoles, c’est la bulle d’oxygène. Certains ateliers du Das font partie intégrante du projet pédagogique. »
Un enseignement handicapé ?
Le Das est financé par la Région bruxelloise. Ce qui inspire à Pascale Labiau une réflexion, en guise de conclusion : « La Communauté française n’a pas les moyens financiers pour l’enseignement. La Région a pris de plus en plus en charge des problèmes que les Communautés n’ont su prendre en charge. » Néanmoins, il n’est pas interdit de s’interroger. Pourquoi faut-il autant de « béquilles » au système scolaire belge francophone ?
L’échec scolaire fait couler beaucoup d’encre. Une flopée d’ouvrages, d’études et autres notes vient de sortir. On notera trois documents particulièrement intéressants.
L’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) a sorti une étude intitulée « Equité et qualité dans l’éducation – Comment soutenir les élèves et les établissements défavorisés ? » Quelques constats : « De nombreux élèves ne maîtrisent pas les compétences élémentaires (…) Les élèves qui viennent de familles défavorisées ou immigrées (…) encourent plus de risques d’avoir des résultats médiocres. » Et quelques recommandations qui, pour certaines, font échos à la situation belge : supprimer le redoublement, éviter l’orientation précoce, gérer le choix de l’établissement afin d’éviter la ségrégation, allouer des financements en fonction des besoins des élèves. L’OCDE insiste sur la nécessité d’investir dans « les services d’accueil et d’éducation des jeunes enfants ».
Dans le même temps, l’association Changements pour l’égalité publie un livre dont le titre est « A l’école des familles populaires. Pour se comprendre et apprendre ». On peut y lire, à propos des enfants issus de milieux populaires qui réussissent moins bien à l’école : « Il semble qu’il y ait un lien direct entre les résultats scolaires des enfants et le type de relations qui existent entre les parents et l’école. Si on veut réussir l’école pour tous, il faudra donc passer par une transformation des relations entre les familles populaires et les acteurs scolaires. »
Enfin, une étude de la Fondation Roi Baudouin s’attarde sur la remédiation en Communauté française. La « mosaïque d’aides » hétéroclites y est décrite. Des pistes d’action sont proposées pour rendre la remédiation plus efficace.
1. Clas Ixelles :
– adresse : rue Gray, 221, à 1050 Bruxelles
– tél. : 02 643 65 63
– courriel : clas@gmail.com
2. Dispositif d’accrochage scolaire de la Région de Bruxelles-Capitale :
– adresse : avenue Maelbeek, 18 à 1040 Bruxelles
– tél. : 02 230 99 62
– courriel : das.rbc@skynet.be
– site : http://www.das-rbc.irisnet.be