À l’heure de la rentrée scolaire et politique, l’enseignement de promotion sociale semble s’interroger. Ses spécificités sont-elles en danger?
L’enseignement de promotion sociale cherche-t-il sa place? Ou craint-il pour celle qu’il occupe déjà? Dans la déclaration de politique communautaire du nouveau gouvernement de la Communauté française, un certain espace lui est en tout cas ménagé. Deux pages, et plusieurs pistes d’action «classiques». Orienter la promotion sociale de niveau secondaire vers les publics infrascolarisés. Favoriser les sections formant aux métiers en pénurie…
Pourtant, on sent le secteur quelque peu inquiet. Pas vraiment pour ce qui touche à ces deux pages. Mais plutôt concernant certains enjeux, plus globaux, évoqués dans cette déclaration de politique communautaire, voire dans les déclarations de politique régionale, notamment en Wallonie.
Au sud du pays, le gouvernement entend ainsi «soutenir la certification pour la formation professionnelle». Il s’agirait notamment de s’orienter «vers la délivrance d’une véritable certification des apprenants de l’Institut wallon de formation en alternance et des indépendants et petites et moyennes entreprises (Ifapme) débouchant sur des effets de droit équivalents à ceux liés aux certifications délivrées par la Communauté française». Autrement dit, les certificats attribués en fin de formation auraient la même valeur que ceux obtenus au sein d’un établissement de la Communauté française. Rappelons que l’établissement d’une équivalence entre les certificats décernés par certains opérateurs de formation et les titres-certificats-dipômes décernés par la Communauté française est un sujet qui flotte dans l’éther depuis des années. Il met toutefois la promotion sociale quelque peu mal à l’aise. «L’enseignement de promotion sociale permet et propose des outils qui font la passerelle entre la formation et l’enseignement – donc la certification», explique à ce propos Hervé Pétré, président du Conseil général de l’enseignement de promotion sociale.
L’enseignement de promotion sociale est un enseignement pour adultes. Il offre un éventail large de cours organisés d’une manière permanente ou occasionnelle, de niveau secondaire ou supérieur.
À l’heure actuelle, un processus de validation permet à certaines personnes de faire reconnaître une partie de ce qu’elles ont acquis au sein de centres de formation pour accéder à l’enseignement de promotion sociale ou pour y obtenir une certification en bonne et due forme. Depuis 2011, ce processus de validation a même été «automatisé» dans certains cas. Une convention a été passée dans ce sens avec… l’Ifapme pour les études de bachelier en comptabilité. Elle permet à tous les établissements de promotion sociale de reconnaître de la même manière et automatiquement les compétences des étudiants en provenance de l’Institut. Un atout, même s’«il ne s’agit pas de transformer la promotion sociale en boîte à certifications», explique Nelly Mingels, secrétaire générale ad interim de la Feprosoc (Fédération de l’enseignement de promotion sociale catholique). Il n’empêche, ce fonctionnement amène du monde au sein de l’enseignement de promotion sociale… Si d’aventure certains opérateurs de formation devaient accéder à la certification, cela pourrait constituer une petite épine dans le pied de la «Promsoc». Dans un document publié dans le cadre de la législature 2014-2019 et intitulé «10 priorités, 24 mesures», la Feprosoc est d’ailleurs claire: elle propose de maintenir la diplomation comme compétence exclusive de l’enseignement.
Une crainte supérieure
Un autre sujet de préoccupation de la promotion sociale concerne l’enseignement supérieur de plein exercice. Hervé Pétré et Nelly Mingels font remarquer qu’un nombre grandissant de hautes écoles organisent des cours en horaires décalés en visant le même public que celui de la promotion sociale. Et depuis peu, la validation des acquis de l’expérience (VAE) permet à une personne de faire reconnaître son expérience dans le cadre d’une reprise d’études en haute école. «Tout ce qui fait la spécificité de la promotion sociale», explique Hervé Pétré.
Et puis il y a ce fameux «décret paysage» entré en vigueur récemment. Son objectif? Harmoniser le paysage de l’enseignement supérieur en Communauté française. Pour ce faire, l’Ares (Académie de recherche et d’enseignement supérieur) a été créée. Elle réunit l’ensemble des établissements supérieurs: universités, hautes écoles, écoles supérieures des arts, enseignement supérieur de promotion sociale. Son rôle sera notamment de piloter le système d’enseignement supérieur et de susciter des collaborations entre les établissements.
Dans ce cadre, les nouvelles habilitations (voir encadré) accordées aux établissements seront bien spécifiques: soit que ce seront des «cohabilitations», soit qu’elles s’inscriront dans un projet de collaboration ou de coorganisation entre plusieurs établissements. Dans tous les cas, plusieurs établissements devront donc collaborer entre eux. Une autre source de crainte pour la promotion sociale. «Les hautes écoles ont tendance à revendiquer le fait que les coorganisations ne se fassent pas qu’entre établissements de promotion sociale. Ce qui sera difficile. Ce serait nier notre spécificité», déplore Nelly Mingels. Hervé Pétré poursuit. «Il pourrait y avoir à terme des rapprochements entre établissements de promotion sociale et hautes écoles, notamment au niveau des statuts du personnel. Ce qui pourrait amener à des distorsions entre promotion sociale du secondaire et promotion sociale du supérieur. Or, nous sommes très attentifs à l’unicité, au continuum pédagogique de la promotion sociale. Cela alors que, dans ce contexte de cohabilitation ou coorganisation, on n’a toujours pas défini les publics de chacun.»
Une habilitation est une capacité accordée par décret à un établissement d’enseignement supérieur d’organiser un programme d’études sur un territoire géographique déterminé, de conférer un grade académique et de délivrer les certificats et diplômes associés.
Le Petit Poucet
Face à cesd’inquiétudes, n’y a-t-il pas un risque pour la promotion sociale de passer pour un secteur corporatiste? «Nous sommes le Petit Poucet de l’enseignement, explique Selma Bellal, conseillère à la Feprosoc. Or le contexte actuel de difficultés budgétaires pousse au regroupement. L’environnement est assez concurrentiel, les opérateurs cherchent à prendre position sur un quasi-marché de l’enseignement. Il est difficile de défendre sa spécificité et son identité…» Une identité complexe et parfois compliquée à expliquer aux partenaires. «Nous nous trouvons à la croisée de plusieurs formes d’enseignement. La promotion sociale va de l’alphabétisation jusqu’aux masters. Cela a tendance à brouiller son image», note Hervé Pétré. Dans ce contexte, une phrase contenue dans la DPC – mettre «en place un réel pilotage pour ce niveau d’enseignement» – et qui aurait fait tiquer bon nombre de secteurs est presque accueillie avec intérêt par Nelly Mingels. «Je pense qu’il s’agit surtout de l’idée de donner une meilleure visibilité de la promotion sociale, de mieux montrer ce que nous sommes. Notamment sur la base de chiffres. Cela pourrait nous aider à nous positionner par rapport aux autres opérateurs», explique la secrétaire générale. «Notre propos n’est pas tant de défendre un ‘pré carré’, mais bien d’insister sur l’accès à l’enseignement secondaire et supérieur d’un public qui, parce qu’adulte, rejoindrait difficilement l’enseignement de plein exercice», ajoute-t-elle avant d’insister sur la complémentarité entre promotion sociale et autres opérateurs d’enseignement.
Nous avons tenté d’obtenir l’avis d’Isabelle Simonis (PS), la nouvelle ministre de l’Enseignement de promotion sociale. Sans succès, pour cause d’élaboration des budgets. Nous y reviendrons.
Aller plus loin
Alter Échos n°389 du 25 septembre 2014: «L’école réussira-t-elle sa seconde sess?»
Alter Échos n°382-383 du 18 avril 2014: «De l’expérience à revendre? Reprenez vos études!»