Jouer du trombone avec un bras? C’est désormais possible grâce à l’initiative Design for (every)one (D4E1). Étudiants en design et en ergothérapie s’associent pour adapter des objets aux besoins des personnes handicapées.
«Que vais-je encore pouvoir faire? Cette question me trottait dans la tête après mon accident. C’est beau de faire de la musique, c’est injuste de ne plus pouvoir en jouer, raconte Simeon, père de trois enfants qui a perdu son bras droit à la suite d’un accident de la route. Avant, je jouais un peu de piano, de la guitare et du trombone. Je n’arrive plus à faire de guitare, je suis limité à une main au piano. Je savais que ça devait être possible de jouer du trombone, mais je ne pouvais plus tenir l’instrument droit…», poursuit cet amateur de musique.
Même s’il avait une prothèse de qualité, Simon ne pouvait plus pratiquer sa passion. Il avait de grandes difficultés à maintenir l’instrument et ça devenait douloureux au bout de quelques minutes. «Apparemment, je tenais ma tête trop en avant. C’était vraiment très inconfortable et en plus les notes ne ressemblaient à rien. C’était très frustrant.»
Il a alors répondu à un appel lancé par Design for (every)one (D4E1), une initiative organisée par la Haute École de Flandre occidentale (Howest) depuis 2009. Il a présenté son cas et a été sélectionné. Quatre étudiants en deuxième année d’ergothérapie et de design l’ont ensuite rencontré pour envisager de lui permettre de jouer du trombone à une main. Ils disposaient de 12 semaines pour concevoir un produit ergonomique adapté à son handicap.
Bienvenue aux hackers
Lieven De Couvreur, initiateur de Design for (every)one, revient sur les origines du projet: «D4E1 s’est créé de manière organique. Nous avons un centre de design à l’Howest où on organise de nombreuses formations. À un moment, un ergothérapeute est venu avec une question spécifique pour créer un produit sur mesure, c’était un sujet passionnant qu’il fallait développer. Ça a démarré comme ça.»
Petit à petit, le projet D4E1 a été intégré de manière plus structurelle dans un cours qui faisait partie de la formation en conception de produits industriels. Les étudiants ont pour mission de concevoir des gadgets créatifs pour aider les personnes handicapées ou âgées dans leur quotidien.
«Pendant des semaines, nous avons construit prototype après prototype, une quête ultime vers l’accessoire qui fait la différence.», Arne Malfait, étudiante en design
Le client joue un rôle crucial dans ce processus de conception participative: les étudiants partent à la rencontre de la personne pour analyser son profil et mieux comprendre ses besoins. Ils créent ensuite un prototype, l’apportent au bénéficiaire afin qu’il le teste et l’adapte. Les patients ont d’ailleurs toujours le dernier mot.
«On n’utilise pas de croquis, nous allons directement ‘hacker’ de petites choses. De cette manière, on collabore avec les gens depuis le début et ils peuvent fournir leurs commentaires», commente Lieven De Couvreur, également auteur d’une thèse de doctorat sur l’adaptation de produits grâce au «hacking» des produits.
A priori, quand on parle de «hackers», on pense aux experts informatiques qui piratent des ordinateurs ou des systèmes. Or, dans la définition d’origine, un hacker est une personne «qui utilise son ingéniosité pour créer un résultat intelligent à l’aide de moyens non conventionnels».
Production de masse vs sur mesure
La tendance actuelle en matière de conception de produits suit la logique de la production en masse qui répond aux besoins d’une grande partie du marché. Les articles développés ne répondent ainsi pas à une demande spécifique, comme c’est nécessaire pour certains profils, comme celui Simeon.
Le principe de «conception universelle» entre dans ce contexte. Il s’agit de la conception de tout aménagement, produit, équipement qui peut être utilisé par toute personne, sans nécessiter ni d’adaptation ni de conception spéciale, et ce quels que soient son sexe, son âge, sa situation ou son handicap.
«Notre philosophie est de fabriquer des produits sur mesure en design libre (open design). Il est donc possible de modifier les pièces séparément», Lieven De Couvreur
«L’inconvénient de la conception universelle, c’est que, si un produit est cassé, il faut le ramener au fabricant. Notre philosophie est de fabriquer des produits sur mesure en design libre (open design). Il est donc possible de modifier les pièces séparément», détaille Lieven De Couvreur.
Une fois qu’un projet est terminé, tous les plans de construction sont mis en ligne et sont libres d’accès. L’idée est de permettre à tout le monde de recopier et/ou adapter son propre environnement. C’est un peu le pendant des logiciels développés en open source sur Internet.
Les produits conçus dans le cadre du projet D4E1 concernent tous les domaines. Cela va d’un lance-balles pour chien intégré à un fauteuil roulant à un porte-bouteilles pour servir plus facilement en passant par un appareil photo avec un bouton déclencheur à gauche… En tout, près d’une centaine d’objets ont été créés depuis le début du projet D4E1.
Dans le cas de Simeon, il a fallu plus de 40 prototypes avant d’arriver à une aide-trombone qui réponde complètement à ses attentes. Au final, les étudiants ont créé un accessoire simple, facile à ranger dans la housse du trombone. Ce système de soutien, composé d’une tige métallique, d’un support et de lanières, permet de maintenir l’instrument en bonne position.
«Pendant des semaines, nous avons construit prototype après prototype, une quête ultime vers l’accessoire qui fait la différence.», Arne Malfait, étudiante
Ce trombone amélioré a par ailleurs reçu un prix en 2013 dans le cadre de «Bricoleur du cœur» organisé par Handicap International. Ce prix récompense des inventions astucieuses qui facilitent la vie quotidienne de personnes handicapées ou âgées.
Différents obstacles peuvent parfois se dresser sur la route des étudiants. «Une réussite à 100% n’est pas garantie, témoigne Lieven De Couvreur. Les étudiants ont parfois des difficultés à comprendre les attentes des gens. Ou les gens ne se rendent pas compte de la difficulté de concevoir ce type de produit; leurs attentes peuvent être trop élevées. Les deux parties doivent toujours accorder leurs violons.»
Mais une fois le produit fini, étudiants et patients sont généralement satisfaits du travail accompli. Arne Malfait, l’un des quatre étudiants actifs dans le projet dévolu à Simeon, raconte: «Cela donne beaucoup de satisfaction quand on peut aider quelqu’un de cette manière. Je joue moi-même de la guitare et je me rends compte à quel point la musique est importante pour les individus. Quand, d’un coup, tu ne peux plus jouer, c’est comme une énorme claque. Pendant des semaines, nous avons construit prototype après prototype, une quête ultime vers l’accessoire qui fait la différence.»
En savoir plus
«Le mobilier urbain, objet de cohésion ou de dissuasion», Alter Échos n° 450, Marinette Mormont et Manon Legrand, 12 septembre 2017
«Les fab labs de la discorde», Alter Échos n° 450, Julien Winkel, 12 septembre 2017
« Olivier Gilson: le design social, «pas là pour faire du beau, mais pour faire du juste» », Alter Échos n° 450, Cédric Vallet, 24 août 2017
«Le beau banc du Vautour», Alter Échos n° 450, 24 août 2017, Cédric Vallet