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Regard critique · Justice sociale

Enquête

Emploi et discrimination: le handicap en tête

Quand on est en situation de handicap à Bruxelles, accéder à l’emploi et s’y maintenir constitue parfois un parcours du combattant. Parcours scolaire tout tracé, accès à l’emploi et accompagnement difficile, maintien au travail teinté de discrimination, la liste des obstacles est longue. Aujourd’hui pourtant, des structures travaillent à l’insertion des personnes porteuses de handicap sur le marché du travail et Actiris s’empare de la question. Reste à savoir si tout cela va fonctionner correctement…

Pierre Jassogne et Julien Winkel 04-07-2024 Alter Échos n° 518
(c) Mélanie Utzmann-North

Quand il a été embauché à la STIB, la société bruxelloise des transports en commun, Wassime Amnir avait derrière lui un parcours d’études «compliqué». Malvoyant, il avait pu expérimenter tout ce que sa condition pouvait signifier en termes de problèmes dans un environnement scolaire toujours aussi mal adapté et perclus de clichés. «On a toujours tendance à orienter les non-voyants vers des choses comme la kinésithérapie, le métier de réceptionniste, masseur, ce qu’on faisait il y a 20 ou 30 ans quand la technologie n’existait pas», explique-t-il. Or Wassime, son truc, c’est la technologie justement. Pas question pour lui de se laisser enfermer «dans une bulle» ou dans une forme d’orientation qui à sa manière peut être vue comme discriminatoire. «Dans certains organismes, on se retrouve notamment face à des conseillers qui sont incapables de nous dire si certains logiciels utilisés lors des formations sont accessibles pour les non-voyants», détaille-t-il. Un constat appuyé par Gisèle Marlière, présidente du Conseil supérieur national des personnes handicapées, pour qui l’enseignement constitue «le premier écueil pour les personnes porteuses de handicap». «Si vous n’avez pas accès à un enseignement qualifiant à cause de problèmes d’accessibilité, vous risquez de vous retrouver à 21 ans sans formation. À partir de ce moment, la voie vers la DG Personnes handicapées – en charge des allocations de remplacement de revenus et/ou d’intégration, NDLR – est royale.» Ce constat en tête, Wassime Amnir tente donc plusieurs choses, avant d’abandonner l’idée du «grand diplôme» et de se décider à se former lui-même à l’IT, un domaine «où on est plus jugé sur ses compétences que sur le bout de papier que l’on possède. J’ai vite compris que dans le domaine du handicap, si on ne se gère pas soi-même, on se retrouve prisonnier de cocons de surprotection, sans perspective».

Après un parcours dans l’associatif, il finit par postuler à la STIB. Ici aussi, sa manière de procéder témoigne d’une expérience façonnée au contact des difficultés rencontrées par les personnes porteuses de handicap sur le marché du travail. Plutôt que de contacter la cellule RH, il envoie sa candidature à la cellule inclusion de l’organisme… Et ça marche: aujourd’hui, le voici testeur en accessibilité. Son job: vérifier que les outils numériques de la société sont accessibles aux non-voyants. Pourtant, malgré ce happy ending, Wassime ne se fait pas d’illusions. Pour lui, nombre d’employeurs ont encore peur du handicap. «Il est très difficile d’être embauché directement, sauf si on dispose d’une expérience professionnelle. Quand il s’agit du premier emploi, le postulant est obligé de passer par une phase de stage où il va arriver à convaincre l’employeur qu’il est apte à travailler et atténuer ses appréhensions, qui sont légion: comment cet employé porteur de handicap va-t-il faire pour se déplacer? Va-t-il être capable de m’envoyer un mail?», liste-t-il.

«Il est très difficile d’être embauché directement, sauf si on dispose d’une expérience professionnelle. Quand il s’agit du premier emploi, le postulant est obligé de passer par une phase de stage où il va arriver à convaincre l’employeur qu’il est apte à travailler et atténuer ses appréhensions, qui sont légion: comment cet employé porteur de handicap va-t-il faire pour se déplacer? Va-t-il être capable de m’envoyer un mail?»

Wassime Amnir, testeur en accessibilité à la STIB

Plus loin, la longue liste des petits soucis rencontrés lors de ses premiers jours à la STIB, un employeur pourtant disposé et motivé à l’idée de l’accueillir, montre que le chemin vers un emploi pour les personnes porteuses de handicap est souvent semé d’embûches. «J’étais la première personne non voyante engagée. À la réception, la dame m’a demandé d’inscrire mon nom sur une feuille de papier. Et quand on a distribué les ordinateurs, j’avais beau expliquer qu’il me fallait un logiciel spécifique, on me répondait qu’on ne pouvait pas en installer sur les ordinateurs de l’entreprise», explique-t-il sur un ton amusé.

À la première place

Si l’histoire de Wassime Amnir se termine bien, ce n’est pas forcément le cas pour tout le monde. D’après le rapport régional bruxellois 2022 d’Unia, l’ex-Centre fédéral pour l’égalité des chances, le handicap était le premier critère de discrimination (28,8% des cas) à l’emploi à Bruxelles cette année-là, loin devant les critères «raciaux» (24,4%) ou les convictions religieuses ou philosophiques (12,2%). Notons également que l’état de santé se situait à la quatrième position avec 11,5%, creusant encore un peu plus le sillon des discriminations sur la base de l’état physique d’une personne.

Marie-Ange Vandecandelaere travaille pour le service Politique et Monitoring d’Unia. Si elle note que le handicap a toujours été un facteur de discrimination important, elle s’étonne que celui-ci soit aujourd’hui passé à la première place, devant les critères raciaux, à la baisse. Avant d’avancer tout de même une explication plausible: moins «délicate» que celle liée au critère racial, la discrimination liée au handicap ferait l’objet de moins d’attention et donc d’efforts de prévention de la part des employeurs. «Beaucoup de cas de discrimination ne sont pas intentionnels, souligne-t-elle. Les employeurs ne connaissent tout simplement pas le droit en matière d’aménagement raisonnable.»

C’est une autre caractéristique des cas de discrimination liés au handicap recensés par Unia: ils se situent davantage dans le champ du maintien à l’emploi, et donc du refus d’aménagement raisonnable des conditions de travail des employé(e)s porteurs/porteuses de handicap, que dans celui de la discrimination à l’embauche. Un phénomène qui pourrait s’expliquer de la manière suivante: les discriminations à l’embauche sont beaucoup plus difficiles à prouver et puis, moins sûres d’elles, les personnes porteuses de handicap auraient tendance à s’autocensurer, rechignant ainsi à introduire un dossier pour discrimination à l’embauche. «Nous remarquons clairement un phénomène de sous-rapportage, témoigne Wendy Nicol, du Service d’inclusion des chercheurs d’emploi discriminés à l’embauche d’Actiris, le service bruxellois de l’emploi. Les candidats ne vont pas rapporter cette discrimination, ils l’intériorisent et se disent ‘Je ne suis pas le bon candidat.’»

D’après le rapport régional bruxellois 2022 d’Unia, l’ex-Centre fédéral pour l’égalité des chances, le handicap était le premier critère de discrimination (28,8% des cas) à l’emploi à Bruxelles cette année-là, loin devant les critères «raciaux» (24,4%) ou les convictions religieuses ou philosophiques (12,2%).

Reste que la prééminence du refus d’aménagement raisonnable dans la statistique d’Unia peut aussi s’expliquer par le fait que 80% des handicaps surgissent au cours de la vie et qu’un employeur ayant engagé un salarié «valide» peut donc voir la condition de celui-ci s’altérer avec les années et lui refuser les aménagements nécessaires. «Le refus d’aménagement raisonnable peut se matérialiser par un refus de temps partiel médical ou d’adaptation d’un poste de travail, par exemple», détaille Marie-Ange Vandecandelaere.

Pour les employeurs, outre la méconnaissance du droit, la peur de créer un précédent au sein de l’entreprise et d’inciter d’autres employé(e)s à faire valoir ces mêmes droits peut les amener à se montrer hésitants. Face à ces situations, Unia peut intervenir. L’organisation privilégie toujours la conciliation avec l’employeur qui, d’après Marie-Ange Vandecandelaere, se montre en général plus coopératif lorsqu’on lui expose ses obligations. Il ne peut effectivement pas refuser d’aménagement sans justification. «Il s’agit d’un jeu d’équilibriste. Demander l’installation d’un ascenseur à une entreprise, est-ce raisonnable?», illustre-t-elle. Dans le cas où l’employeur continuerait à se montrer réticent malgré le bien-fondé de la demande, une action en justice peut être envisagée. Notons à ce propos qu’Unia n’est pas la seule structure à pouvoir agir. Au niveau bruxellois, la direction de l’Inspection régionale de l’emploi est compétente pour tout ce qui a trait à la discrimination à l’embauche dans certains pans de l’économie bruxelloise comme l’économie sociale, les titres-services ou les offres d’emploi ayant transité par Actiris. Elle peut mener des tests anti-discrimination, ce qu’elle fait quasi exclusivement pour des cas relatifs aux critères raciaux, ceux liés au handicap étant exceptionnels, d’après Grégory Franck, directeur du service Emploi au Service public régional de Bruxelles.

«Nous remarquons clairement un phénomène de sous-rapportage. Les candidats ne vont pas rapporter cette discrimination, ils l’intériorisent et se disent ‘Je ne suis pas le bon candidat.’»

Wendy Nicol, Service d’inclusion des chercheurs d’emploi discriminés à l’embauche d’Actiris

Un constat qui tend à appuyer les relevés effectués par Unia: dès lors que l’on parle de handicap, la discrimination a tendance à s’effectuer au niveau des refus d’aménagement raisonnable, pas à l’embauche. Dix-sept dossiers, toutes origines de discrimination confondues, ont été ouverts en 2023 par la direction de l’Inspection régionale et seuls deux d’entre eux ont mené à des avertissements. Quant aux poursuites, elles seraient «rarissimes».

Au niveau fédéral, c’est l’inspection du travail, DG contrôle des lois sociales, qui est à la barre. Elle organise des enquêtes en entreprise, sur initiative ou sur la base de signalement, afin de constater l’existence d’une discrimination potentielle. Elle peut intervenir pour des cas de discrimination dans le cadre de la relation de travail: à l’embauche, durant l’exécution du contrat ou lors de la rupture de celui-ci. Lorsqu’on lui soumet les chiffres d’Unia, l’Inspection souligne qu’elle ne peut commenter ceux-ci, sa vision du problème se limitant aux cas qui lui sont signalés. Un constat effectué par l’ensemble de nos intervenants, qui soulignent que les cas recensés ne sont sûrement que la pointe émergée de l’iceberg…

(c) Mélanie Utzmann-North

L’ascenseur social

 

«Tu savais qu’il y avait des travaux sur la ligne 51?», lance André en montant dans l’ascenseur. L’homme présente un trouble du spectre autistique (TSA) et a rendez-vous chez DiversiCom. L’asbl facilite depuis dix ans la mise à l’emploi des personnes en situation de handicap sur la base de leurs compétences, dans l’entreprise ordinaire. Elle accompagne donc des chercheurs d’emploi, tout en offrant des conseils aux entreprises ouvertes à la diversité. Une manière de créer du lien entre eux et de partager leurs pratiques pour qu’elles servent à d’autres.

Depuis son lancement en 2014, l’asbl a accompagné 500 personnes dont près de 60% sont actuellement au travail. C’est le cas d’André qui a besoin d’un accompagnement dans la durée. Il est arrivé en 2016 dans les bureaux de l’asbl fondée par Marie-Laure Jonet. «Il voulait travailler dans un seul endroit: la STIB», se souvient-elle. À l’entendre, Bernard est intarissable en ce qui concerne la société de transports publics bruxellois: de l’historique aux horaires. «Avec lui, la STIB a l’employé le plus fidèle, loyal qui soit. Mais on doit parfois l’arrêter tant il est passionné.» Pour DiversiCom, il a fallu mener un travail de cinq années pour qu’André décroche un CDI à la STIB. «Il est désormais bien intégré, mais il reste toutefois à risques, car une entreprise comme la STIB, par nature, évolue. Or la personne autiste, le plus souvent, n’aime pas le changement. Il faut donc rester vigilant pour l’accompagner dans ses évolutions.»

L’accompagnement que propose l’asbl peut donc prendre du temps. «Chaque personne a un rapport avec sa propre réalité qui peut être très variable, rappelle Marie-Laure Jonet. Certains arrivent dans un déni partiel ou dans l’incapacité d’objectiver les difficultés. Pourtant, tester et évaluer ses compétences, mais aussi ses limites, peut prendre du temps pour une personne porteuse de handicap. Il y a ce que l’on sait faire, ce que l’on peut faire, et ce qu’on ne peut pas. Notre travail est d’objectiver autant les atouts que les compensations nécessaires dans un cadre professionnel.»

«Chaque personne a un rapport avec sa propre réalité qui peut être très variable. Certains arrivent dans un déni partiel ou dans l’incapacité d’objectiver
les difficultés. Pourtant, tester et évaluer ses compétences, mais aussi ses limites, peut prendre du temps pour une personne porteuse de handicap. Il y a ce que l’on sait faire, ce que l’on peut faire, et ce qu’on ne peut pas. Notre travail est d’objectiver autant les atouts que les compensations nécessaires dans un cadre professionnel.»

Marie-Laure Jonet, DiversiCom

Qu’importe la situation rencontrée, le travail mené par DiversiCom débute toujours par un accompagnement en jobcoaching des personnes en situation de handicap. Mandaté par Actiris, DiversiCom suit ainsi près de 150 demandeurs d’emploi inscrits chez l’opérateur public chaque année. Elle accompagne également in situ une cinquantaine de ses talents mis à l’emploi. «Ce qu’Actiris vient chercher chez nous, c’est notre approche ‘sur mesure’. Pour comprendre le parcours, les limites et les besoins de chaque candidat, on leur offre de passer du statut de chercheur d’emploi lambda à celui d’une personne connue, reconnue et comprise par un service spécialisé.»

À côté de ce coaching, l’asbl propose du conseil aux entreprises. Une centaine par an, ce qui permet de sensibiliser près de 2.500 personnes chaque année. DiversiCom vient leur fournir le socle de compétences, de connaissances et d’envies nécessaire pour renforcer leur capacité inclusive, notamment à travers des formations ciblées et des sensibilisations du personnel. «Généralement, les premières questions sont liées à l’accessibilité du bâtiment. Or, statistiquement, le fauteuil roulant concerne 3% des personnes en situation de handicap. Dans ce cas, la perception d’un défaut d’accessibilité risque de fermer la porte à la démarche inclusive dans sa globalité et aux autres types de handicap moins visibles (mental, sensoriel, maladie invalidante…). Notre objectif est donc de lever ce type de préjugés, les peurs et les doutes liés au handicap.»

Depuis dix ans, l’asbl a travaillé avec près de 280 entreprises – dont 75% issues du secteur privé, 25% issues du secteur public. Chez DiversiCom, on n’a pas peur de l’échec, notamment au moment du matching entre le projet du demandeur d’emploi et les besoins d’une entreprise. L’asbl sait que cela fait partie du jeu. «Les succès comme les échecs sont instructifs. Cela permet aussi de sortir d’une perception extrême de la personne handicapée, quand elle est coincée entre la super-victime et le super-héros… Car entre les deux, il y a la vie, le quotidien», ajoute Marie-Laure Jonet qui constate sur le terrain une «belle» évolution ces dix dernières années en matière d’embauche de personnes porteuses de handicap à Bruxelles.

Reste un enjeu de taille auquel DiversiCom s’attelle, celui du maintien à l’emploi: «Une fois le bon job trouvé, il faut en assurer le maintien. Dans certains cas, le vrai facteur de succès sera de rester attentif aux évolutions du handicap et des conditions de l’emploi occupé, cela tout au long de la carrière. Aujourd’hui, cet enjeu n’est pas assez pris en compte dans la réflexion et l’investissement des pouvoirs publics. Or il est crucial pour éviter le décrochage en cours de carrière.»

Pour limiter ce décrochage, il reste d’ailleurs du travail: le taux d’emploi des personnes handicapées dépasse péniblement les 35% en Belgique contre 50% en moyenne dans d’autres pays européens comme la Suède, le Luxembourg, la Finlande ou encore l’Autriche.

Changement de donne

«Je ne dirais pourtant pas qu’on est en retard au niveau de la mise à l’emploi des personnes porteuses de handicap, lance Wendy Nicol chez Actiris, qui compte 860 personnes en situation de handicap inscrites auprès de ses services sur les 15.800 que compte Bruxelles. Car quand les personnes porteuses de handicap viennent chez nous, ce n’est pas pour faire le constat d’une discrimination, mais en priorité pour la mise à l’emploi.» Une enquête récente concernant l’emploi des personnes en situation de handicap en Belgique, réalisée par la Fondation Roi Baudouin, indique qu’à Bruxelles, en matière d’emploi et d’accompagnement des personnes porteuses de handicap, 76% des Bruxellois interrogés ont fait appel en priorité à l’opérateur régional dans leur recherche d’emploi. Toutefois, ceux-ci pointent que «les organismes dédiés à la recherche d’emploi sont perçus comme trop généralistes et non adaptés à leurs besoins». «Actiris est consciente de cette situation et c’est la raison pour laquelle nous nous basons désormais sur le ‘handistreaming’, c’est-à-dire que nous avons intégré une dimension ‘handicap’ dans notre accompagnement», affirme Wendy Nicol.

Un changement de perspective, passant d’une logique de protection à une logique d’émancipation pour laquelle la Région bruxelloise a deux objectifs précis: développer une offre de services visant à améliorer l’accompagnement des personnes en situation de handicap vers un travail dans le secteur ordinaire, hors ETA (entreprises de travail adapté, destinées aux personnes en situation de handicap, NLDR); et offrir aux employeurs un incitant à la mise à l’emploi des personnes en situation de handicap. Avec Actiris aux premières loges, dont l’objectif consiste à relancer le Pool H qui vise en son sein à stimuler l’emploi des personnes handicapées auprès des employeurs. Ce pool, lancé en 2014, n’a – aux yeux des interlocuteurs rencontrés – jamais vraiment fonctionné. Cette réforme est l’occasion d’y parvenir, en développant à travers lui une offre de services destinés aux entreprises ordinaires. «Dans ce cadre, les employeurs seront sensibilisés au handicap et seront épaulés dans leurs démarches pour employer les personnes en situation de handicap», explique encore Wendy Nicol. Un Pool H dont les missions devraient être relancées progressivement dès la fin de cette année 2024 en veillant à l’avenir à augmenter le matching et la mise à l’emploi des personnes en situation de handicap grâce à des offres d’emploi provisoirement réservées à ce public.

La Région bruxelloise a deux objectifs précis: développer une offre de services visant à améliorer l’accompagnement des personnes en situation
de handicap vers un travail dans le secteur ordinaire; et offrir aux employeurs un incitant à la mise à l’emploi des personnes en situation de handicap.

 

En parallèle, et c’est le second objectif régional, une prime d’insertion de 5.000 euros a été lancée depuis le 1er juillet. Gérée par Actiris, cette prime a pour objectif de financer diverses dépenses (aménagements du poste de travail, achat de matériel spécifique, formation sur le handicap, etc.) afin de favoriser l’inclusion du travailleur au sein de l’entreprise, dans sa fonction et en relation avec ses collègues. Quant aux conditions pour en bénéficier, il doit s’agir d’un contrat de travail au minimum à mi-temps pour une durée indéterminée ou pour une durée déterminée de minimum six mois.

Une nouvelle prime qui s’inscrit dans un changement plus large, celui d’une régionalisation des aides à l’emploi gérées jusqu’alors par la Cocof et son service PHARE, dédié aux personnes porteuses de handicap à Bruxelles. Huit aides concernant l’emploi ordinaire ont été transférées à Actiris, allant du stage de découverte, au contrat d’adaptation professionnelle, en passant par la prime d’insertion, l’adaptation du poste de travail et de l’environnement de travail ou encore l’intervention dans les frais de déplacement.

Mais comme rien n’est simple dès qu’on évoque un transfert de compétences, notamment à Bruxelles, une convention entre Actiris et la COCOF permet toutefois depuis 2023 au service PHARE de continuer à gérer les aides transférées, jusqu’à la reprise effective par Actiris. «Une fois qu’une base légale suffisante sera mise en œuvre», précise Romain Adam, porte-parole d’Actiris. «Du personnel devra certainement être formé et recruté. Le service Pool H pourrait endosser des missions supplémentaires liées à la promotion et la gestion de certaines mesures instaurées, mais rien n’est encore décidé. La façon dont les mesures seront gérées est encore à l’étude», poursuit-il.

L’entrée en vigueur opérationnelle du régime d’aides à l’emploi dans le giron régional est prévue au plus tôt fin 2025. Outre la préparation de l’opérationnalisation, la reprise par Actiris demandera encore un long travail réglementaire. «Une nouvelle ordonnance spécifique sur les aides à l’emploi en lien avec le handicap devra être promulguée, ainsi que tous les arrêtés d’exécution définissant les modalités pratiques d’application pour chaque dispositif», admet Romain Adam. Pour l’opérateur régional, ce régime d’aides doit s’articuler en cohérence aux différentes étapes de l’accompagnement des chercheurs d’emploi en situation de handicap, voire au-delà en fonction des besoins lors de leur mise à l’emploi…

Un secteur dans le doute

Face à cette régionalisation et à la mise en place d’un ensemble régional qui se veut cohérent, le secteur du handicap devrait se réjouir. Il n’en est rien. On le trouve même contrarié qu’une telle réforme, annoncée depuis plusieurs années, aboutisse en fin de législature, un peu à la va-vite, nous dit-on. Il est inquiet surtout parce que les modalités pratiques de ce transfert n’ont pas encore été fixées et que les conséquences sur le terrain pour les travailleurs comme les employeurs ne semblent pas avoir été suffisamment prises en compte par la Région.

«D’un côté, c’est positif: c’est clairement du handistreaming –, il est logique qu’Actiris s’occupe des personnes porteuses de handicap chercheuses d’emplo, nous explique Stéphanie Herman, présidente du Conseil bruxellois des personnes en situation de handicap, mis en place en 2019, et ayant pour vocation d’être un outil d’aide au handistreaming pour tous les ministres et secrétaires d’État bruxellois dans leurs politiques respectives. «Par contre, toutes les compétences acquises au niveau du PHARE dans l’accompagnement des personnes handicapées vers l’emploi n’existent pas actuellement au sein d’Actiris, qui n’est pas pensé pour le maintien à l’emploi. On détricote quelque chose qui fonctionnait, on repart à zéro avec cette réforme, ce qui est dommage…» Par rapport à ce constat, le Conseil bruxellois a eu l’occasion d’en discuter avec Actiris et «tout laisse à penser que l’organisme régional n’est pas encore prêt à ce changement».

«Toutes les compétences acquises au niveau du PHARE dans l’accompagnement des personnes handicapées vers l’emploi n’existent pas actuellement au sein d’Actiris, qui n’est pas pensé pour le maintien à l’emploi. On détricote quelque chose qui fonctionnait, on repart à zéro avec cette réforme, ce qui est dommage…»

Stéphanie Herman, présidente du Conseil bruxellois des personnes en situation de handicap

En décembre 2023, l’avis du Conseil a été demandé par Bernard Clerfayt (Défi), le ministre bruxellois de l’Emploi, non pas sur ce transfert directement, mais pour analyser le nouveau dispositif d’aide à l’emploi de 5.000 euros. Un avis rendu en janvier 2024. «Le projet d’arrêté instituant le dispositif d’aide était déjà prêt quand l’avis du Conseil a été demandé. On aurait aimé être consultés en amont, et pas aussi tard dans le processus législatif, reconnaît Stéphanie Herman. Depuis le début, on s’interrogeait sur la façon dont cette prime allait être envisagée, estimant que cela ne tenait pas forcément compte de la réalité, ni des travailleurs ni des employeurs.»

Dans son avis, le Conseil insistait d’ailleurs sur le fait que la prime était avant tout un incitant à l’embauche, mais pas forcément au maintien à l’emploi. En pointant parmi les limites de cette aide, son montant qui ne constitue pas aux yeux du Conseil un «incitatif financier adéquat»: «Les besoins en accompagnement, en aménagements raisonnables, en accessibilité, en adaptation mobilière et immobilière ainsi qu’en formation – tant de l’avenir du travailleur que de celui de l’employeur (ainsi que ses managers, employés) –, ne peuvent être satisfaits avec une somme aussi modeste.»

Du côté de la Région, on se justifie notamment sur les montants convoqués. «On mobilise un budget de 1,5 million par an rien que pour le paiement de cette prime. Les primes PHARE bénéficient d’un budget moyen annuel de 2,3 millions, explique-t-on au cabinet du ministre Clerfayt. On peut entendre que cette prime de 5.000 euros n’est pas assez élevée. Mais il s’agit d’une nouvelle aide, qui de plus est cumulable avec les aides du PHARE ainsi qu’avec l’Activa, dit ‘aptitude réduite’, qui s’élève à 23.400 € sur deux ans.»

Parmi ses recommandations, le Conseil proposait notamment de prolonger à toute la durée du contrat la période pendant laquelle la prime pourrait être utilisée afin de soutenir ce maintien à l’emploi. Or, la demande doit être faite dans les deux mois après le début du contrat et les justificatifs des dépenses doivent être rentrés 12 mois après le paiement de la prime.

Sur ce point, il reviendra au prochain gouvernement bruxellois de reprendre ce dossier, et vite même, au risque de mettre à mal les ambitions de la Région en matière de mise à l’emploi des personnes porteuses de handicap dans le secteur ordinaire. En évitant aussi les dérives nées de réformes similaires dans les autres régions du pays. Car cette régionalisation ne concerne pas uniquement Bruxelles. La Flandre y est déjà passée, la Wallonie y va aussi de son lot de réformes, notamment en matière de formation. «Et les retours ne sont pas bons, constate Gisèle Marlière, du Conseil supérieur national des personnes handicapées. En Flandre, les personnes en situation de handicap sont assimilées au public fragile, mais sans une politique spécifique. Notre crainte pour Bruxelles, c’est que sous le même couvert d’inclusion, on ne prévoie pas un accompagnement spécifique pour ce public au-delà de sa mise à l’emploi. Des expériences multiples prouvent que l’accompagnement et l’encadrement de ce public ne sont pas si simples. Cela ne veut pas dire que ce n’est pas réalisable, mais il faut un soutien continu, soutien qui doit être financé sur le long terme.» Au-delà de minimum six mois, donc…

Le résumé

– D’après le rapport régional bruxellois 2022 d’Unia, l’ex-Centre fédéral pour l’égalité des chances, le handicap était le premier critère de discrimination (28,8% des cas) à l’emploi à Bruxelles cette année-là, loin devant les critères «raciaux» (24,4%) ou les convictions religieuses ou philosophiques (12,2%).

– Dès lors que l’on parle de handicap, la discrimination a tendance à s’effectuer au niveau des refus d’aménagement raisonnable, pas à l’embauche.

– Au-delà de la mise à l’emploi, l’un des défis concerne le maintien à l’emploi des personnes porteuses de handicap. Il reste d’ailleurs du travail: le taux d’emploi des personnes handicapées dépasse péniblement les 35% en Belgique contre 50% en moyenne dans d’autres pays européens comme la Suède, le Luxembourg, la Finlande ou encore l’Autriche.

– Pour éviter ce décrochage, la Région bruxelloise a deux objectifs précis: développer une offre de services visant à améliorer l’accompagnement des personnes en situation de handicap vers un travail dans le secteur ordinaire; et offrir aux employeurs un incitant à la mise à l’emploi des personnes en situation de handicap.

Une enquête réalisée avec le soutien d’equal.brussels

 

 

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