Depuis le 1er janvier 2017, le statut d’étudiant-indépendant existe désormais pour les jeunes voulant lancer une activité entrepreneuriale. Élaboré par le ministre des Indépendants Willy Borsus, il offre une alternative au statut d’indépendant complémentaire utilisé jusqu’ici. Ce statut, attendu par beaucoup, crée cependant quelques incertitudes.
Approuvé par le Parlement en fin d’année 2016, le statut social et fiscal d’étudiant-indépendant est entré en vigueur ce 1er janvier 2017. Développé par Willy Borsus, ministre fédéral des Indépendants, il vise à stimuler l’esprit d’entreprendre chez les étudiants. Jusqu’ici, les étudiants voulant se lancer comme indépendants étaient soumis au régime d’indépendant complémentaire. Ce nouveau statut, en plus de remonter le plafond du chiffre d’affaires autorisé avant d’être considéré comme indépendant à titre principal, offre des cotisations réduites, voire nulles pour toute une tranche de revenu. Cette mesure s’adresse aux jeunes entre 18 et 25 ans suivant des cours de manière régulière. Concrètement, l’étudiant-indépendant ne devra payer aucune cotisation si son revenu net est inférieur à 6.648,12 euros et des cotisations réduites à 21% si son revenu dépasse ce montant tout en restant inférieur à 13.296,25 euros. À noter que dans ce cas il ne devra payer des cotisations que sur la tranche de revenu dépassant les 6.648,12 euros. Enfin, s’il dépasse les 13.296,25 euros, il sera alors considéré comme indépendant à titre principal. «L’objectif est de stimuler la dynamique de l’entrepreneuriat chez les jeunes tout en assurant une concurrence avec les acteurs indépendants», explique Stéphane Schutz, collaborateur de Willy Borsus. Pour le cabinet, rendre plus attractif le travail indépendant est une priorité, «c’est un gisement de travail en dehors du salariat, c’est une tendance qui se développe», ajoute le collaborateur. Derrière tout cela, l’objectif est aussi d’entrer dans la moyenne européenne en termes de jeunes indépendants. En effet, selon Eurostat, la Belgique enregistre 5,9% de jeunes indépendants contre une moyenne de 7,5% dans le reste de l’UE.
Un statut qui fait mouche
Émile, 22 ans, désormais étudiant-indépendant dans la communication/marketing, se dit très satisfait de cette mesure. Il n’avait pas souhaité passer sous le régime d’indépendant complémentaire car, dans ce cas, il n’aurait plus été considéré comme à charge et ses parents auraient perdu les allocations familiales. «Je voulais avoir mon travail sans impliquer mes parents», explique-t-il. «J’ai obtenu le statut le 6 février,…, j’avais déjà lancé mon activité avant mais ce statut me permet de facturer mes heures. Avant d’avoir ce statut, à chaque fois je devais faire un contrat étudiant», ajoute Émile. Il pointe néanmoins les difficultés rencontrées dans la procédure d’obtention de son statut d’étudiant-indépendant. «J’ai eu de la chance, mon père travaille au Groupe S, ça a facilité la demande du statut. Sans lui ça aurait été beaucoup plus difficile», explique-t-il. Détail amusant, quand il a commencé les démarches pour obtenir le statut auprès de sa caisse d’assurance sociale, celle-ci n’avait pas encore connaissance de son existence!
«Il a un revenu assez bas pendant ses études, il a voulu se consacrer à ses études, il y a la pression des parents, un projet qui vivote,… Puis tu n’as plus droit au statut, dans une phase de transition ce n’est pas évident. Pour moi, la loi a loupé le moment crucial» Sopjoe Joris, Venture Lab
Cette nouvelle loi réjouit les acteurs du secteur, notamment au sein des incubateurs étudiants universitaires. Sophie Joris, directrice du VentureLab (l’incubateur de Liège), se dit satisfaite de cette mesure qui vient compléter le statut d’étudiant-entrepreneur académique, mis en place par les universités et hautes écoles. «Le statut s’est amélioré, il est plus global et plus cohérent pour le fiscal, les allocations,… C’est clairement amélioré», explique la responsable qui y voit aussi une preuve d’un changement culturel. Un sentiment partagé par l’association Les Jeunes Entrepreneurs. La structure note un frémissement dans l’esprit d’entrepreneuriat chez les jeunes. Mais la directrice de l’incubateur émet néanmoins quelques doutes à propos de l’accompagnement et de la transition entre le statut d’étudiant-indépendant et la vie professionnelle du jeune à la fin de ses études. «Il n’y a pas encore beaucoup de jeunes avec ce statut, ceux qui en bénéficient arrivent avec une demande d’accompagnement.» En effet, en dehors d’une brochure publiée par le ministère de Willy Borsus reprenant une liste de vérification indicative pour les jeunes qui veulent se lancer, il n’est pas prévu d’accompagnement spécifique. Un bémol confirmé par Émile, qui reconnaît l’importance des incubateurs, «ça apporte une expérience qu’on ne peut pas avoir seul, on ne connaît rien à la vie, avoir un incubateur, c’est une aide». Concernant la transition, pour Sophie Joris, c’est là que le plus gros problème se pose car, dès la fin de ses études, au 30 septembre, le jeune perd son statut d’étudiant-indépendant. «Il a un revenu assez bas pendant ses études, il a voulu se consacrer à ses études, il y a la pression des parents, un projet qui vivote,… Puis tu n’as plus droit au statut, dans une phase de transition ce n’est pas évident. Pour moi, la loi a loupé le moment crucial», explique la directrice du VenturLab. Elle rappelle aussi que l’étudiant perd son statut le jour de ses 25 ans, même s’il est toujours étudiant. À ce sujet le cabinet se défend, «puisqu’il y a un contrôle périodique, la caisse d’assurance sociale va examiner avec lui si les conditions sont bonnes, elle va lui proposer de continuer comme indépendant à titre principal».
Risque de faux indépendants
Ces interrogations sont partagées par Jean Faniel, directeur du Crisp. «Ce système ne peut être performant que s’il y a une forme d’accompagnement et si la transition entre le statut d’étudiant-indépendant et d’indépendant est envisagée», confirme-t-il. Il ajoute aussi que, malheureusement, ce statut pourrait être la porte ouverte pour des faux indépendants. Des entreprises pourraient être tentées de recourir à des étudiants indépendants tout en leur imposant une relation salarié-employeur dans les faits. Le statut d’étudiant-indépendant permet en effet d’éviter les contraintes liées au statut d’étudiant jobiste. Ce dernier pose des limites, comme l’interdiction de dépasser 475 heures par an, l’interdiction de prester moins de 3 heures dans la même journée, l’interdiction de travail à certains horaires, les barèmes de paiement…
«Ce système ne peut être performant que s’il y a une forme d’accompagnement et si la transition entre le statut d’étudiant-indépendant et d’indépendant est envisagée» Jean Faniel, Crisp
Le statut d’étudiant-indépendant peut aussi être détourné pour profiter des avantages fiscaux qu’il entraîne pour l’entreprise. Si le travailleur est indépendant, celle-ci n’est plus responsable des cotisations sociales, etc. Cette situation est apparue clairement en France quand les livreurs de Deliveroo, une entreprise de livraison de plats préparés, se sont plaints d’être soumis aux contraintes du salariat tout en étant obligés de prendre le statut d’indépendants. Chez nous, des structures comme Deliveroo ou My Sherpa, qui emploient des professeurs particuliers, ne s’en cachent pas. Ils embauchent des jeunes en leur demandant de prendre ce statut. Questionné à ce sujet, Deliveroo n’a pas souhaité s’exprimer en dehors d’un mail: «Nous essayons continuellement de trouver de nouvelles façons d’offrir plus d’opportunités de travail en tant qu’indépendant aux livreurs, en particulier aux étudiants […]. Par ailleurs, selon une enquête récemment menée auprès de plus de 880 livreurs […], plus de 9 livreurs sur 10 sont satisfaits par leur collaboration avec Deliveroo. Pour 8 livreurs sur 10, l’avantage principal de ce travail est la flexibilité, ce qui n’est pas surprenant sachant que plus de 85% de l’ensemble des livreurs Deliveroo sont des étudiants. Enfin, 7 sur 10 pensent qu’ils continueront à collaborer avec Deliveroo d’ici un an.»
Du côté de MySherpa, on se défend de vouloir abuser de ce statut: il serait utilisé pour des raisons inhérentes à la fonction et dans un esprit d’autonomie. «Cette mesure permet aux étudiants de travailler sous un autre statut, parce que le statut de jobiste impose certaines contraintes, comme une contrainte de temps», explique un porte-parole de MySherpa, se référant à la loi sur le travail des étudiants salariés qui ne peuvent pas prester moins de trois heures par jour. «Un cours particulier donné par un étudiant, par exemple, ne dure généralement pas plus de deux heures. Ce n’est donc pas possible à effectuer sous statut de jobiste.» Le porte-parole insiste aussi sur la réelle indépendance donnée aux étudiants. «C’est eux qui décident s’ils prennent un élève, s’ils le font le mardi ou le jeudi, comment ils vont faire…» Des propos que confirme Benoît, engagé comme professeur particulier. «On reçoit des contrats d’élèves, et c’est à nous d’accepter ou pas suivant les horaires, le type de cours, les lieux, etc. Si tu ne prends aucun contrat, ils ne te disent rien, c’est vraiment à toi de faire comme il te plaît.» Néanmoins, certaines clauses du contrat peuvent porter à confusion en ce qui concerne la relation entre les travailleurs et l’entreprise. Par exemple, un point du contrat stipule que «le collaborateur s’interdit à titre personnel ou pour compte de tiers de prester […] à des entreprises ou à des personnes ayant des activités similaires». Questionné à ce sujet, le porte-parole affirme que ce point a été supprimé en début d’année mais, dans un contrat datant d’avril que nous avons pu consulter, il était toujours présent. Confronté, le porte-parole a réaffirmé que cette clause avait bel et bien été supprimée depuis.
Déjà 2.585 dossiers acceptés
Pour le collaborateur de Willy Borsus, ministre des Indépendants, il ne peut pas y avoir d’abus. «Il y a toute une série de règles claires pour éviter les abus, assurer une concurrence saine et développer une certaine expérience.» Il rappelle aussi qu’en cas de soupçons d’abus, il existe des organes de contrôle et que les tribunaux du travail peuvent être saisis par les étudiants-indépendants pour assurer le respect des règles du jeu.
Depuis la mise en place de ce statut, 2.585 dossiers ont été approuvés pour 203 refusés. Si le cabinet ne donne pas d’objectif chiffré en dehors du fait de recoller à la moyenne européenne, il insiste sur la volonté de dynamiser l’entrepreneuriat, tout en reconnaissant le risque entrepreneurial. La loi, quant à elle, pourrait se voir modifiée dans les prochaines années. «Une évolution est toujours possible en fonction des résultats», conclut Stéphane Schutz, collaborateur du ministre des Indépendants Willy Borsus.
En savoir plus
Lire «Smart: la cannibalisation du salariat», Alter Échos n°431, Cédric Vallet, 24 octobre 2016.