Dans le cadre des Journées internationales francophones en Prévention du Suicide se tenait mardi 10 février à Tour & Taxi une conférence organisée par le Centre de Prévention du Suicide au sujet des sources du malaise sur le lieu de travail. Vincent de Gaulejac était l’invité du jour.
Dans un contexte où le chômage est devenu un risque potentiel pour tous, nombreux sont ceux pour qui le travail est devenu une source de malaise menant in fine au burn-out. Selon une étude publiée en 2013 par l’Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail, 66% des belges estimeraient que la première source de stress au travail viendrait de l’insécurité quant au maintien de l’emploi. La deuxième raison serait, pour 60%, la quantité de travail à fournir ainsi que le nombre d’heures prestées.
Vincent de Gaulejac, sociologue clinicien et professeur à l’UFR de Sciences Sociales de l’Université Paris Diderot, s’est longuement penché sur ce constat. Il pose une question : «Alors que les conditions objectives de travail se sont améliorées depuis un siècle (naissance de syndicats, sécurité du travailleur, etc.), comment se fait-il que les conditions subjectives ne font que se dégrader ?»
Selon lui, la tension sur le lieu de travail serait due à un nouveau système d’organisation qui oublierait la dimension humaine du travailleur. Il dénonce «l’émergence d’un remplacement du Moi par un Moi dédié au travail». Bien que la direction des ressources humaines devrait mettre de côté le système bureaucratique et sa hiérarchie afin de se concentrer sur l’humain, c’est l’inverse qui se produirait. L’humain serait ici perçu comme une ressource, un moyen de développer l’entreprise. Le personnel serait motivé par celle-ci à aller toujours plus loin et de façon toujours plus efficace. «On a remplacé la lutte des classes par la lutte des places, explique M. de Gaulejac. C’est l’individu qui devient fautif s’il ne trouve pas sa place, s’il n’est pas adapté à la société. Il faut désormais rendre les gens employables.»
Ce «management par l’excellence» pousserait le travailleur à aller au-delà des attentes. Cependant, à force de se dépasser perpétuellement, l’impression de ne jamais atteindre les objectifs pointerait le bout de son nez, menant à l’inévitable burn-out. Vincent de Gaulejac compare le burn-out à la rupture amoureuse. «Tout passe par la reconnaissance, explique-t-il. Lorsque le travail n’est plus reconnu, le travailleur se sent dévalorisé. Il y a alors une rupture.»
«La majorité des gens pensent que le malaise vient d’eux, par manque de communication», regrette le sociologue qui estime qu’il faudrait «collectiviser les problèmes, rétablir des moments d’arrêt et établir des lieux pour transformer la plainte en action, en création.»