Dans la zone de police Malines-Willebroek, les agents enregistrent les contrôles d’identité et doivent en expliquer la raison. Une première en Belgique qui ouvre la voie vers plus de transparence afin de lutter contre le profilage ethnique.
Le bourgmestre de Malines, Bart Somers (Open Vld), souhaite que sa zone de police soit précurseure en matière de transparence des contrôles. Depuis le mois de mai, les agents doivent enregistrer leurs contrôles d’identité dans le système central de la police. Ils doivent aussi annoncer qui ils sont, qui ils contrôlent et pourquoi.
«Certains citoyens ne comprenaient pas pourquoi ils étaient contrôlés. Dorénavant, ils peuvent avoir la réponse en toute transparence», explique Dirk Van De Sande, porte-parole de la zone de police Malines-Willebroek.
Différentes organisations, dont la Ligue des droits de l’homme et Amnesty, ont réagi positivement à cette annonce. En raison de l’absence d’enregistrement des contrôles, il n’existe pas de statistiques en matière de profilage ethnique au sein de la police. «C’est donc difficile de pouvoir savoir à quelle fréquence la population est confrontée au profilage ethnique», indique Wies De Graeve, le directeur d’Amnesty International Vlaanderen.
Surcharge de travail?
Le syndicat libre de la police, le SLFP Police, est quant à lui assez sceptique et craint que cette procédure entraîne une surcharge de travail qui mènerait une diminution des contrôles, comme le témoigne son président Vincent Gilles: «C’est une surcharge de travail. Si je contrôle quelqu’un, c’est que j’estime en mon for intérieur, sur la base d’une directive ou de mon analyse d’un phénomène X ou Y, qu’un contrôle est nécessaire. Si, à chaque contrôle, il faut que je me justifie, à quoi sert la qualité judiciaire dont je suis porteur?»
Il est encore trop tôt pour dire si le nombre de contrôles a évolué depuis mai, la première évaluation étant prévue à l’automne. «Nous n’avons toutefois pas l’impression que ça va mener à une diminution des contrôles, au contraire. Les contrôles se poursuivent. Il n’y a pas de changements dans la manière de travailler», assure Dirk Van De Sande.
«Une invention intellectuelle d’une certaine gauche»
La Ligue des droits de l’homme a publié en mars un rapport dans lequel elle n’épargne pas les forces de l’ordre belges. En se basant sur des témoignages récoltés sur leur plateforme www.obspol.be, l’ONG accuse les agents de pratiquer massivement le profilage ethnique lors de leurs contrôles depuis les attentats de Bruxelles. Il en ressort également que les personnes d’origine nord-africaine seraient contrôlées environ deux fois plus souvent que les personnes perçues comme n’étant pas d’origine étrangère.
«Certains citoyens ne comprenaient pas pourquoi ils étaient contrôlés. Dorénavant, ils peuvent avoir la réponse en toute transparence.», Dirk Van De Sande, porte-parole de la zone de police Malines-Willebroek
De son côté, Vincent Gilles dément que le profilage ethnique est prôné lors des contrôles d’identité de la police: «Vous n’allez pas retrouver une directive policière disant: ‘Orientez vos contrôles vers tel ou tel type de population.’ Le profilage ethnique est une invention intellectuelle de personnes qui, selon moi, sont d’une certaine gauche et qui ont un doute continuel et viscéral sur le travail policier.»
Pour recontextualiser, il est nécessaire de distinguer le profilage ethnique de l’usage de caractéristiques personnelles en vue de retrouver un suspect d’un crime spécifique qui a été commis. «Dans les équipes d’intervention, le profilage est une évidence: si un fait vient d’avoir lieu à tel endroit et que les auteurs ressemblent à ceci ou à cela, on va chercher des profils qui correspondent. C’est une nécessité de travail, raconte Vincent Gilles. Là où ça pourrait devenir anormal, c’est quand le policier, en dehors de recherche ciblée, se permettrait à un contrôle ciblé sur ses propres critères, et ça s’appelle du racisme.»
Une question de confiance
Outre la transparence, l’objectif poursuivi du bourgmestre de Malines est de restaurer la confiance dans les forces de l’ordre. «Le profilage ethnique est désastreux pour la confiance dans la police, surtout auprès de certaines catégories de la population. Or la confiance en la police est essentielle pour maintenir notre sécurité», déclare Wies De Graeve.
Le président du SLFP estime quant à lui que l’enregistrement des contrôles est une preuve de méfiance envers la police: «À partir du moment où on veut lutter contre la stigmatisation de certaines catégories de la population, pourquoi stigmatiser une profession? Ce genre de mesure, c’est la stigmatisation de notre profession.» D’après lui, c’est partir de l’a priori que tout contrôle que le policier effectue part d’une mauvaise intention.
«C’est un bel effet d’annonce, ça sonne bien à l’oreille de certaines populations, mais ça n’a aucune plus-value.», Vincent Gilles, syndicat de police SLFP
Un avis qui n’est pas partagé par Dirk Van De Sande: «L’enregistrement rigoureux des contrôles d’identité a été discuté avec les syndicats, et ce n’est certainement pas un signe de méfiance envers nos agents. Cela a pour but de donner une réponse aux questions que les citoyens ont parfois et pour laquelle nous avons une base juridique.»
Réfléchir à ses actes
Pour le directeur d’Amnesty International Vlaanderen, l’enregistrement des contrôles est également l’occasion de sensibiliser les agents à la problématique du profilage ethnique: «Le fait d’enregistrer ce que l’on fait, ça permet de réfléchir à ses actes. Si vous enregistrez votre consommation d’énergie, vous n’allez pas forcément consommer moins d’énergie, mais vous allez y faire plus attention. C’est la même logique pour les contrôles d’identité au sein de la police.»
Vincent Gilles estime pour sa part qu’il s’agit typiquement du genre de mesure que l’on prend au niveau politique. «C’est un bel effet d’annonce, ça sonne bien à l’oreille de certaines populations, mais ça n’a aucune plus-value.» D’après lui, les statistiques des poursuites contre les policiers montrent qu’il n’y a pas lieu de s’alarmer: «Sur les 11 millions d’interventions policières par an, on compte 400 poursuites disciplinaires pour diverses raisons et sept exclusions du corps de police pour violence.»
Wies De Graeve ne doute pas, lui, du bien-fondé de la mesure prise à Malines et plaide pour son extension aux autres zones: «L’enregistrement est une première étape très importante. C’est vraiment bien que cette zone le fasse, c’est un signe de reconnaissance qu’il y a un problème, ce qui n’était pas le cas avant en Belgique.»
La Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI) définit le profilage ethnique ou le profilage racial comme «l’utilisation par la police, sans justification objective et raisonnable, de motifs tels que la race, la couleur, la langue, la religion, la nationalité ou l’origine nationale ou ethnique lors d’activités de contrôle, de surveillance ou d’investigation».
En savoir plus
«Connaître la loi quand la police veut la réinventer», Alter Échos n° 378, Olivier Bailly, 21 mars 2014