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Regard critique · Justice sociale

Participation

Les ateliers urbains, une opportunité pour les habitants et/ou les promoteurs?

La participation citoyenne dans l’aménagement du territoire a le vent en poupe. Dans les ateliers urbains, les habitants sont invités à réagir aux projets urbanistiques et immobiliers dans leur commune. Une démarche qui allie souci démocratique et pragmatisme puisqu’elle permet de diminuer les risques de recours par les riverains.

Coordonnés par Tr@me, des ateliers urbains liés à la requalification du centre-ville de Wavre.

La participation citoyenne dans l’aménagement du territoire a le vent en poupe. Dans les ateliers urbains, les habitants sont invités à réagir aux projets urbanistiques et immobiliers dans leur commune. Une démarche qui allie souci démocratique et pragmatisme puisqu’elle permet de diminuer les risques de recours par les riverains.

Depuis deux, trois ans, les initiatives de participation citoyenne se multiplient en Wallonie. Gedinne a invité ses habitants à concevoir le plan de développement rural. À Chênée, les ateliers urbains ont imaginé le futur écoquartier des Haïsses Piedroux. En 2016, Waterloo, Ottignies et Wavre ont consulté les habitants pour réaménager le centre urbain.

Quelques sociétés se sont spécialisées dans l’organisation de ces consultations citoyennes mais la plus incontournable est Tr@me, qui a animé les réunions dans toutes les communes citées. Située en pleine zone rurale dans le petit village de Limont, cette société coopérative intervient aussi dans les domaines du social, de la santé ou de la mobilité. «Nous faisons de la coconstruction», résume Laurent Turneer, un des coopérateurs de Tr@me. Les ateliers urbains sont un dispositif participatif qui rassemble autour de la table des habitants, des experts, les élus, des associations locales, l’administration communale. Les commanditaires du projet (le plus souvent la société immobilière) sont présents mais en tant qu’observateurs. «Par la confrontation des idées, nous arrivons à un projet plus intelligent», assure Laurent Turneer. Plus intelligent que le projet des promoteurs? Personne n’est dupe. Les ateliers urbains sont aussi une manière pour la commune et pour les promoteurs d’éviter les recours des riverains qui peuvent plomber un projet immobilier pendant des années. «Les sociétés immobilières sentent qu’elles ont de plus en plus de difficultés à obtenir des permis, les communes perçoivent aussi cette défiance des riverains. Une manière d’emporter l’adhésion, c’est de travailler ensemble», explique Laurent Turneer qui précise: «L’idéal, c’est d’intervenir avant qu’il n’y ait une levée de boucliers contre le projet. Sinon les gens arrivent avec des idées préconçues.» L’administrateur de Tr@me convient que le promoteur arrive souvent également avec des idées «bien arrêtées». «Il doit aussi apprendre à lâcher prise et à faire confiance au processus. Ce que nous cherchons, par ces ateliers, c’est la multiplicité des points de vue. Les experts, les élus vont connaître l’expérience des riverains, et les habitants, les contraintes auxquelles sont confrontés les experts.»

«Les sociétés immobilières sentent qu’elles ont de plus en plus de difficultés à obtenir des permis, les communes perçoivent aussi cette défiance des riverains.» Laurent Turneer, de Tr@me

Comment se recrutent les représentants des habitants? La commune lance un appel aux candidats mais c’est Tr@me qui appelle les gens en cherchant à obtenir un échantillon représentatif au niveau tant de l’âge que du milieu socioculturel. «Mais nous peinons à recruter les 18-25 et les milieux défavorisés, reconnaît Laurent Turneer. Pour les représenter, nous passons par les associations locales.» Un constat qui rejoint l’expérience des contrats de quartier à Bruxelles (lire plus loin). Autre obstacle à la participation: l’engagement dans la durée. Il faut participer à quatre réunions au minimum. Chaque atelier rassemble une trentaine de personnes réparties dans des groupes de travail.

Natacha Legrand, présidente de la CCAT (commission d’aménagement du territoire) à Ottignies, a participé à deux ateliers urbains dans sa commune. «J’ai trouvé qu’on donnait beaucoup la parole aux citoyens. Parfois, c’est un peu déconcertant, car les gens se focalisent sur ce qui nous semble, à nous CCAT, des détails mais parler librement était le but de ces ateliers. Pour celui qui était consacré au ‘Cœur-de-ville’, on est parti d’une page blanche et c’est impressionnant de voir le résultat obtenu. Les réflexions des groupes de travail convergeaient.» Cédric du Monceau, échevin CDH de l’aménagement du territoire, a aussi été conquis. «À Ottignies, l’approche participative fait partie de notre stratégie. Nous avons eu beaucoup de candidats pour participer aux ateliers et ceux-ci ont donné lieu à beaucoup de créativité. Maintenant, il va falloir concilier les idées de la base avec celles du ‘sommet’. Nous avons en tout cas décidé de reconduire ce genre d’expérience avec l’aménagement futur du quartier proche de la gare.»

Ne pas chercher le consensus

À Wavre, on n’est a priori pas dans la même approche. La Ville n’a pas du tout l’habitude de consulter ses habitants (c’est une des très rares communes à ne pas disposer d’une CCAT) et, lorsque les autorités communales ont annoncé les ateliers urbains, la foule était au rendez-vous. Plus de 350 personnes se sont déplacées lors de la présentation du projet, 127 candidats se sont présentés (pour 30 places!) et une bonne centaine d’habitants ont assisté à la restitution publique des ateliers. Wavre a d’ailleurs modifié son projet en cours d’ateliers, ce qui n’est pas fréquent. Les participants sont venus avec une vision plus globale. La Ville voulait aménager un périmètre bien précis près de la gare. Il s’est finalement élargi à l’ensemble du centre urbain.

Bastian Petter, coprésident de la section locale d’Écolo, n’est pas souvent tendre avec les initiatives de la majorité MR-PS, mais il trouve cette première expérience de participation citoyenne «très réussie». «Chacun a pu s’exprimer et on a senti une réelle écoute de la part de Tr@me et du collège. De bonnes idées ont été prises en compte: rouvrir la Dyle, créer un piétonnier. C’était inespéré. Bien sûr, des questions de fond n’ont pas pu être abordées comme celle de la mobilité dans la ville. On aurait voulu quelque chose de plus global et on reste donc un peu sur notre faim, mais la parole s’est libérée. C’est positif en soi.»

Une approche plus globale? Laurent Turneer n’est pas étonné par la critique. «Chaque atelier commence par une phase de diagnostic. Les gens dessinent leur territoire, marquent les points faibles et les points forts dans leur commune. C’est une manière d’inscrire le périmètre concerné dans une optique plus large.» Et les problèmes de mobilité, d’environnement reviennent à chaque fois…

«Moi, cela me gênerait que ce soit l’argent public qui soit dépensé au profit d’un promoteur.» Natacha Legrand, présidente de la CCAT à Ottignies

Les ateliers urbains ne cherchent pas à aboutir à un consensus mais à un avis majoritaire. «Les avis minoritaires sont pris en compte. Cet avis est un outil d’aide à la prise de décision pour les commanditaires». Certains observateurs relèvent que ce sont les commanditaires (les promoteurs le plus souvent) qui paient la facture de Tr@me. Cela ne pose-t-il pas un problème d’indépendance? «Moi, cela me gênerait que ce soit l’argent public qui soit dépensé au profit d’un promoteur», estime Natacha Legrand mais tous ne partagent pas ce point de vue. Que les gens craignent un risque d’instrumentalisation est un ressenti qui n’est pas simple à évacuer, surtout dans le contexte complotiste actuel, convient Laurent Turneer. «On ne peut pas éluder ces questions. Chaque participant doit pouvoir vider son sac avant de commencer l’atelier. Notre manière de montrer notre neutralité, c’est de rendre le processus et les cahiers de charges transparents. Les droits et les devoirs de chacun (participants, commanditaires, animateur) sont consignés dans une charte signée par toutes les parties. Chacun doit pouvoir se retrouver dans le rapport final qui fait l’objet d’une restitution publique.». Plus l’avis final emporte l’adhésion d’un grand nombre de participants, plus le projet aura ses «ambassadeurs» auprès des autres habitants, qui n’auront pas participé aux ateliers. Et plus il aura de chances de «passer» sans recours.

Mais, tous en conviennent, pour éviter tout soupçon d’instrumentalisation, il faut que le processus de participation citoyenne devienne permanent. «Sinon, on ne fait que réagir au coup par coup en fonction des opportunités présentées par un opérateur privé», conclut Bastian Petter.

Lire le dossier d’Alter Échos n°409, «La participation, piège à cons?», 9 septembre 2015.

Martine Vandemeulebroucke

Martine Vandemeulebroucke

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