S’inspirant de l’écologie naturelle, la permaculture n’est pas seulement un ensemble de principes agricoles, mais aussi une éthique fondée sur l’autonomie et la complémentarité. À Marchienne-au-Pont, l’asbl Avanti en a fait un outil atypique de réinsertion professionnelle.
Installée dans les anciens abattoirs sis en bordure de l’Eau d’Heure aux côtés d’autres associations (le collectif culturel Marchienne Babel, le supermarché coopératif Coopéco…), l’asbl de réinsertion professionnelle Avanti propose plusieurs ateliers à destination de personnes en situation de rupture sociale, qu’il s’agisse d’anciens détenus – l’asbl a longtemps assuré des formations au sein de la prison de Jamioulx – ou de personnes ayant vécu une crise au niveau personnel ou professionnel. «Nous accueillons beaucoup de personnes issues de milieux défavorisés, mais aussi des personnes qui viennent de milieux tout à fait aisés et qui ont eu un ‘crac’ dans leur vie», commente Céline Robert, formatrice en permaculture au sein d’Avanti.
Initié il y a six mois, l’atelier de permaculture est venu s’ajouter aux activités de menuiserie, de forge, d’arts du spectacle et régie déjà proposées par cette asbl née en 2003 sur le site de Monceau-Fontaines (à Monceau-sur-Sambre) et arrivée dans les anciens abattoirs en 2010. «À l’époque, ce n’était que du tarmac. Mais, peu à peu, nous avons commencé à cultiver un peu de terre, on a construit un poulailler, une serre, on s’est mis à cuisiner ce que nous récoltions et une réflexion sur le rapport à l’environnement et à la nourriture s’est mis en place», explique Isabelle Heine, directrice d’Avanti.
Un objectif d’autonomie
L’asbl obtient alors l’autorisation d’utiliser un ancien maraîchage appartenant au CPAS de Charleroi et mis à la disposition de l’hôpital Vincent van Gogh voisin (spécialisé dans la prise en charge psychiatrique) par bail emphytéotique, mais dont ce dernier ne faisait pas usage. Situé juste derrière l’enceinte d’Avanti, le terrain d’environ 35 ares, bordé au nord par de grands arbres, bénéficie d’une exposition idéale. On l’y rejoint en empruntant le chemin qui longe la rivière. Un potager et une «forêt comestible» devraient peu à peu s’y développer. «La forêt, qui est le lieu le plus abondant en végétation et le plus autonome sur terre, est la grande source d’inspiration de la permaculture, explique Céline Robert. L’idée est donc de reproduire son fonctionnement: parmi les strates de la forêt – grands arbres, arbres moyens, buissons, plantes herbacées, grimpantes, rampantes et champignons –, on choisit des variétés comestibles afin de produire un maximum de choses que nous pouvons consommer.»
«Pour nos stagiaires, l’enjeu est de trouver une autonomie par rapport à un système de consommation dans lequel, de toute évidence, ils n’arrivent pas à s’intégrer.» Céline Robert, formatrice en permaculture au sein d’Avanti.
Théorisée dans les années 70, la permaculture, qui vise à concevoir des systèmes agricoles les plus autonomes et les plus durables possible, revient aujourd’hui en force dans le sillage de l’agriculture «en transition» qui se veut à la fois plus respectueuse de l’environnement et de l’humain. L’atelier permaculture d’Avanti figurait d’ailleurs parmi les projets d’agriculture urbaine mis en avant lors du «tour des initiatives» organisé par la plateforme Charleroi Ville fertile en septembre dernier. Si Isabelle Heine se réjouit de ces synergies en territoire carolo, elle estime que la permaculture est, au-delà de l’effet de mode, un développement logique pour Avanti qui fait depuis ses débuts le pari du collectif et de la créativité, quitte à faire figure d’exception dans le secteur de la réinsertion professionnelle. «Lorsque nous avons commencé à nous intéresser à la permaculture au sein de l’asbl, on la voyait surtout comme une approche agroalimentaire respectueuse de l’environnement. Mais nous avons découvert peu à peu que cette philosophie était transposable dans tous les secteurs: la santé, le social, l’éducation… Et qu’il y avait des formateurs spécialisés dans notre région», explique-t-elle. «La permaculture, ce sont d’abord des principes éthiques, rebondit Céline Robert. Prendre soin de l’homme, prendre soin de la terre, mais aussi redistribuer le surplus. Pour nos stagiaires, l’enjeu de cette démarche est de trouver une certaine autonomie par rapport à un système de consommation dans lequel, de toute évidence, ils n’arrivent pas à s’intégrer.» Articulée à la possibilité d’atteindre l’autonomie alimentaire, la permaculture apparaît à la fois comme une piste pour faire face à la précarité économique, mais aussi à la difficulté, plus impalpable, de trouver sa place. «La nécessité de se ‘mettre en projet’ est de plus en plus présente et touche absolument tous les milieux», constate Céline Robert.
Ancien détenu ou ingénieur
Car la permaculture véhicule aussi cette idée que chacun possède une fonction signifiante au sein d’un système, telles les fameuses strates au sein de la forêt. Creuser, bêcher, planter des arbres, enfoncer des piquets, s’adonner aux boutures ou aux semis, s’occuper de poules: sur le terrain d’Avanti, il y en a pour tous les goûts et toutes les aptitudes, des plus physiques aux plus méticuleuses. «C’est une activité très polyvalente, qui favorise la mixité, y compris hommes-femmes. En ce moment, nous avons d’anciens détenus, mais aussi un ingénieur qui n’avait jamais rien fait de manuel. C’est quelqu’un qui est tout le temps dans l’intellect, mais qui a trouvé sa place: c’est lui qui prend la parole quand nous avons des réunions et c’est lui qui présente la permaculture quand de nouveaux stagiaires arrivent, car il a une capacité incroyable à synthétiser et retraduire le projet. D’autres ont choisi de faire des photos pour réaliser une sorte de reportage, ce qui nous aide aussi à documenter et à structurer notre travail», poursuit Céline Robert.
«Elles ne savent pas toujours ce qu’elles veulent, mais elles savent en général ce qu’elles ne veulent plus: la délinquance, l’addiction ou la solitude.» Isabelle Heine, directrice d’Avanti
D’une durée de cinq mois, le stage en permaculture est conçu comme un tremplin. «Cinq mois, cela ne permet pas une formation complète. Néanmoins, un certificat de design en permaculture – reconnu par le groupe international de permaculture – s’effectue normalement en 12 jours. Nous sommes donc en ce moment en négociation pour pouvoir délivrer ce certificat à nos stagiaires. C’est quelque chose de valorisant et qui donne la possibilité de faire soi-même des animations, de s’ouvrir au réseau et à d’autres projets», estime la formatrice. La plupart des stagiaires d’Avanti, pourtant, n’arrivent pas «à l’abattoir» de gaieté de cœur, mais parce qu’ils y sont tenus dans le cadre d’une détention limitée ou pour conserver leurs droits au chômage. «Il est essentiel que ces personnes trouvent une activité qui ait du sens pour eux et nous nous efforçons de les y aider. Car ce qui les rassemble, c’est une volonté d’autre chose. Elles ne savent pas toujours ce qu’elles veulent, mais elles savent en général ce qu’elles ne veulent plus: la délinquance, l’addiction ou la solitude», commente Isabelle Heine.
À l’avenir, l’asbl souhaite développer ses activités de permaculture sur un deuxième terrain de 25 ares, une ancienne platinerie (fabrique de tôles), aujourd’hui à l’abandon. «Une convention est en cours. Nous aimerions y élever des moutons et y installer un verger, mais nous sommes en phase d’observation, car c’est un endroit où la nature a vraiment repris ses droits, au niveau tant de la flore que de la faune.» En permaculture, l’observation est en effet considérée comme un principe liminaire. Pas question d’arriver avec ses gros sabots, fussent-ils écolos, sur un terrain qui ne vous a rien fait et rien demandé. Il s’agit de s’adapter plutôt que de s’imposer: de se faire une place, dans la mesure du possible.
En savoir plus
«La permaculture appliquée aux organisations», Alter Échos n°427, Rafal Naczyk, 9 août 2016.