3 décembre 2019, Athénée royal Andrée Thomas, Forest. Un groupe d’élèves se barricade dans le réfectoire de l’établissement. Dépassée, la direction appelle la police en renfort. Un seul étudiant est finalement arrêté, mais l’événement fait beaucoup de bruit dans les médias. C’est la première fois que la police intervient dans un établissement scolaire. Surtout, ce sont les conditions d’enseignement au sein de l’Athénée qui font débat. On parle au début de problèmes liés aux horaires d’examens. Mais très vite, c’est un chapelet d’autres soucis qui fait surface: la presse, relayant les revendications des jeunes, parle de problèmes d’insalubrité, d’hygiène, de chauffage, de matériel. Dans les pages de l’Alter Médialab1, organisé par l’Agence Alter dans le cadre du Festival Bruxitizen, un jeune témoigne: «On est en hiver et il fait super froid dans certaines classes, on doit garder nos vestes.»
Du côté des professeurs aussi, cela grince. Ils effectuent plusieurs arrêts de travail. Les élèves embraient et entrent également en grève. Un enseignant déjà présent à l’époque, qui a préféré rester anonyme, décrit aujourd’hui à Alter Échos «une incompétence généralisée», dans le chef de la direction de l’époque et «une accumulation de laisser-aller». Pourtant, l’Athénée est bien pourvu en 2019 de délégués d’élèves, susceptibles de faire remonter leurs griefs et d’apaiser la situation. «Il y avait des réunions, confirme notre professeur. Mais cela n’a rien changé. La direction écoutait, disait ‘Ah oui’ et puis c’était tout…» Pour les élèves, face à ce manque d’écoute et d’efficacité des mécanismes de consultation, la manifestation, la grève, semblent donc constituer la seule option. «On a beau en parler avec les supérieurs, cela ne sert à rien. Nous avons donc décidé de manifester», confirme une élève de l’Athénée sur le site de BX1, le 3 décembre 2019. Mais est-ce toujours le cas?
L’école résiste
Quand on évoque avec lui les événements de décembre 2019, le politologue québécois Francis Dupuis-Dupéri ne semble pas étonné. Professeur de science politique à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et auteur de livres sur la démocratie et les mouvements sociaux, comme Démocratie: Histoire politique d’un mot, il a travaillé sur la question des grèves scolaires. Et pour lui, au sein d’écoles où se croisent «plein d’enjeux», le fait de rencontrer ceux-ci passe «très rarement par la médiation du conseil des élèves». «On pense toujours que ces conseils, c’est de la démocratie. Ce n’est pas vrai, assène-t-il. Les conseils ne sont pas pensés comme un lieu de conflit, de revendications, de pouvoir souverain pour les élèves. Il y a au contraire, au sein de ces conseils, une présence des adultes qui leur permet de canaliser, de bloquer les revendications des élèves et de mettre en place une stratégie de gain de temps. Le seul espoir d’une meilleure situation réside dans la personnalité de la direction.» «Les élèves ne sont pas écoutés aujourd’hui, confirme le professeur de l’Athénée Andrée Thomas. L’école, ce n’est pas un système démocratique, c’est hyper-hiérarchique, c’est un peu l’Ancien Régime avec les lettres de doléances!»
«L’école, ce n’est pas un système démocratique, c’est hyper- hiérarchique, c’est un peu l’Ancien Régime avec les lettres de doléances!» Un professeur de l’Athénée royal Andrée Thomas
En Fédération Wallonie-Bruxelles, le mécanisme de représentation des élèves dans le secondaire est assez simple. Le décret du 12 janvier 2007 «relatif au renforcement de l’éducation à la citoyenneté responsable et active au sein des établissements organisés ou subventionnés par la Communauté française» prévoit effectivement que des délégués des élèves soient élus et que les «délégués de classe d’un même cycle ou degré forment le conseil des délégués d’élèves». Sa mission? Centraliser et relayer les questions, demandes, avis et propositions des élèves au sujet de la vie de l’école auprès du chef d’établissement, du pouvoir organisateur et… du conseil de participation. Ce dernier constitue un deuxième niveau de discussion possible puisqu’il réunit notamment le chef d’établissement et des membres élus du personnel ouvrier et administratif, des parents, des enseignants ou encore des élèves. Ses objectifs sont multiples et, sur le papier, ambitieux: débattre et émettre un avis sur le projet d’établissement, le règlement d’ordre intérieur, remettre un avis sur le plan de pilotage, étudier et proposer des actions de soutien et d’accompagnement…
Mais ici aussi, d’après Véronique de Thier, responsable politique de la Fapeo (Fédération des parents et des associations de parents de l’enseignement officiel), le résultat n’est guère concluant dans la majorité des cas. «Dans les faits, le conseil de participation est un organe d’information descendant, de l’établissement vers les parents, les élèves, déplore-t-elle. Parfois l’école écoute ce que les élèves, les parents ont à dire, mais ça ne change pas, rien ne se passe! Ces dispositifs n’ont de sens que s’ils sont habités, et même là, on peut alors s’imaginer discuter de la vie de tous les jours dans l’école, mais pas de la pédagogie, pas du redoublement, pas des examens de passage…» La responsable dresse en fait le même constat que Francis Dupuis-Dupéri. À moins d’une direction volontaire et soucieuse de faire bouger les choses – ce qui arrive –, «l’école reste un système ultra-autoritaire, continue-t-elle. Dans ce contexte, le fait de laisser de la place aux élèves, aux parents, est antinomique avec celui-ci, et il oppose une véritable résistance. Le législateur a créé quelque chose (le conseil de participation, NDLR), mais la culture de l’école résiste. Il est quand même incroyable que l’école refuse la démocratie alors qu’elle est présente pour initier les jeunes à cela. Il est incroyable qu’un système où les élèves et les parents sont obligés d’être présents refuse malgré tout le débat démocratique.»
Merci la police
Face à cette situation, pour Francis Dupuis-Dupéri, les grèves constituent une manière de se faire entendre pour les élèves. Rien d’étonnant dès lors qu’elles ne soient pas si rares que ça. En passant les archives de presse au peigne fin dans le cadre de ses recherches, il a retrouvé la trace de plus de 3.000 cas de grève scolaire partout dans le monde au cours des XIXe, XXe et XXIe siècles, dont quelques dizaines en Belgique francophone. «Dans la plupart des cas, les grèves scolaires sont l’aboutissement d’un processus beaucoup moins formalisé que pour les adultes, affirmait-il en janvier 2022 dans les pages de la revue Politique. C’est un processus que je n’appellerais pas spontané, parce que je n’aime pas ce terme-là, mais qui est lancé par ce que la direction appelle des ‘meneurs’, qu’on peut appeler des initiateurs ou des initiatrices utilisant divers moyens.»
«Je rêve qu’à un moment donné, ce soient les parents qui fassent grève.» Véronique de Thier, Fapeo
Les déclencheurs de ces grèves sont multiples: solidarité avec un mouvement, résonance avec un contexte sociologique et culturel particulier ou situation concrète «comme des problèmes de chauffage, de nourriture», explique-t-il aujourd’hui à Alter Échos. Est-ce pour autant efficace? À l’Athénée Andrée Thomas, la direction mise sur le gril en 2019 a en tout cas été remplacée et un nouveau directeur a été nommé à la tête de l’établissement en janvier 2021. «Le pouvoir organisateur a paniqué pour son image à cause des événements, analyse le professeur anonyme. En un sens, c’est parce que les flics ont été appelés et que la presse est venue que la situation a attiré le regard de ce même pouvoir organisateur et qu’il s’est bougé. S’il n’y avait pas eu ça, cette incompétence aurait pu continuer… » David Van Iseghem, le nouveau directeur, s’efforce aujourd’hui de montrer patte blanche en ce qui concerne la participation des élèves. Il vante les nombreux outils consultatifs mis en place depuis son arrivée, les réunions «tous les 15 jours» avec les délégués de classe. Il affirme avoir redonné de la «visibilité» au conseil de participation. «Il faut faire comprendre aux élèves que leur avis compte à chaque instant», lâche-t-il. Au point d’accepter, aussi, la grève si tout cela ne fonctionne pas? «S’il y a grève, c’est qu’il y a une fracture et que les gens estiment avoir épuisé certaines choses, analyse-t-il. Mais est-ce que cela solutionne les choses? Je ne sais pas…» Véronique de Thier, elle, s’est en tout cas fait son opinion. «Je rêve qu’à un moment donné, ce soient les parents qui fassent grève», lâche-t-elle, un sourire en coin…
- Alter Médialab est le laboratoire d’expérimentation journalistique de l’Agence Alter. Il expérimente des projets journalistiques co-produits avec des citoyens souvent éloignés des tribunes médiatiques.