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Regard critique · Justice sociale

Le chiffre

Le cancer du poumon,
une maladie de pauvres?

Chaque jour, 16 personnes décèdent des suites d’un cancer du poumon en Belgique, tandis que 26 individus découvrent qu’ils sont atteints de cette maladie. Un cancer qui sévit davantage en Wallonie que dans les autres régions du pays, notamment auprès des catégories défavorisées.

(c) Photographe inconnu, Public domain, via Wikimedia Commons

En Belgique, le cancer du poumon constitue la première cause de mortalité par cancer, avec 5.716 décès en 2021. Il s’agit du deuxième cancer le plus fréquent, tant chez l’homme (le premier étant celui de la prostate) que chez la femme (le premier étant le cancer du sein), avec 9.410 nouveaux cas enregistrés en 2022, selon des chiffres de la Fondation Registre du cancer. «Le tabagisme reste le facteur de risque n°1», explique Véronique Le Ray pour la Fondation contre le cancer. D’après les estimations, citées par plusieurs études, le tabagisme interviendrait chez 90% des hommes et plus de 80% des femmes atteintes d’un cancer du poumon à l’échelon mondial. «Les fumeurs ont un risque 20 fois plus élevé que les non-fumeurs de développer un cancer du poumon», renchérit Renaud Louis, chef de service au CHU Liège.

Fumer tue…

Selon une enquête de Sciensano consacrée au tabagisme (2018), environ un Belge sur cinq, âgé de 15 ans et plus, fume. Le taux de fumeurs quotidiens est plus élevé chez les hommes (18%) que chez les femmes (12%) et plus élevé en Wallonie (18%) qu’à Bruxelles (16%) et en Flandre (13%). Dans cette étude, Sciensano pointe les inégalités en matière de tabagisme que ce soit entre les genres ou entre les classes sociales. «Ainsi, les hommes ont environ deux fois plus de risques de faire usage – voire un usage intensif – du tabac que les femmes. Le tabagisme reste en outre plus élevé chez les individus qui proviennent de familles défavorisées sur le plan de la scolarisation.» Quand on sait que plus de huit cancers du poumon sur dix sont causés par le tabagisme, il n’y a rien d’étonnant à ce que le risque de diagnostic du cancer du poumon soit donc proportionnellement plus élevé en Wallonie que dans les autres régions du pays: 16.028 personnes diagnostiquées en Wallonie entre 2018 et 2022 selon des chiffres fournis pour Alter Échos par la Fondation Registre du cancer. Ce chiffre s’élève à 26.094 en Flandre et à 3.218 à Bruxelles, et, à l’échelle du pays, ce nombre est de 45.340 personnes diagnostiquées. «En prenant en compte des différences entre les populations et les structures d’âge de celles-ci, il y a eu un risque de diagnostic de cancer du poumon 19,4% plus élevé en Wallonie qu’en Flandre durant cette période», précise Joanna Bouchat, de la Fondation Registre du cancer. Toujours en Wallonie, les zones de Charleroi et de Liège enregistrent un plus fort taux de cancer du poumon avec respectivement 2.033 et 3.281 personnes diagnostiquées entre 2018 et 2022.

Dépistage précoce

Plus la maladie est détectée de façon précoce, plus les chances de survie sont élevées. Cela paraît évident, mais comme le cancer du poumon ne provoque souvent aucun symptôme à un stade précoce, il est fréquent que la maladie soit diagnostiquée à un stade avancé, ce qui débouche sur des possibilités thérapeutiques limitées. En novembre dernier, All.Can Belgium, qui rassemble plusieurs acteurs des soins en cancérologie, menait d’ailleurs une campagne de sensibilisation afin d’informer les citoyens des symptômes de ce cancer, y compris au stade précoce, alors qu’environ 20% des Belges ne les connaissent pas, selon le résultat d’une enquête menée auprès de plus de 1.000 Belges par All.Can Belgium. «Selon plus d’une personne sur 10, une toux irritante qui dure plus de neuf semaines, des infections pulmonaires persistantes ou du sang craché en toussant ne sont pas des symptômes précoces du cancer du poumon», relève All.Can Belgium. Car c’est précisément parce que ces symptômes ne sont pas assez connus ou restent limités dans les premiers stades de la maladie que le cancer du poumon n’est diagnostiqué dans deux tiers des cas qu’à un stade avancé. En effet, pour 68% des hommes et 65% des femmes, le cancer du poumon est détecté au stade 3 et 4, déjà avancé.

En outre, contrairement au cancer du sein, colorectal ou du col de l’utérus, il n’existe pas de dépistage pour le cancer du poumon dans notre pays. Le KCE, le Centre fédéral d’expertise des soins de santé, a d’ailleurs été invité à s’intéresser à cette question, et en particulier au sujet d’un dépistage systématique des personnes à haut risque comme les fumeurs. «L’idée serait de leur proposer un scanner à dose faible», indique Véronique Le Ray. «Les diagnostiquer plus tôt signifie que le cancer sera plus ‘facile’ à traiter, avec de meilleures chances de survie, sachant que la mortalité reste élevée pour le cancer du poumon», poursuit-elle. «S’il n’y a pas de consensus actuellement, c’est parce qu’un scanner est beaucoup plus lourd qu’une échographie ou une coloscopie», ajoute Renaud Louis. Le chef de service y voit aussi une différence philosophique, voire morale, entre le cancer du poumon ou le cancer du sein ou du côlon, par exemple. «Tout le monde peut en avoir un, peu importe son statut, son état de santé, tandis que le cancer du poumon touche davantage les classes sociales défavorisées. L’opinion a tendance à se dire: ‘Ils n’avaient pas besoin de fumer’, et rejette la responsabilité directement sur les fumeurs», poursuit le chef de service qui définit la pneumologie comme une «discipline qui soigne les pauvres».

Risque de stigmatisation 

Dans ses conclusions, le KCE indique pourtant que la mortalité spécifique au cancer du poumon diminue de 21% chez les participants au dépistage. Il pointe toutefois un «risque d’un sentiment de stigmatisation». «Comme le dépistage du cancer du poumon s’adresse principalement aux gros fumeurs, il comporte donc un risque de stigmatisation élevé. Des recherches ont montré que ces personnes ont souvent le sentiment d’être traitées de façon injuste parce qu’elles sont invitées à participer au dépistage en raison de leur comportement.» En outre, comme les groupes de population socio-économiquement vulnérables sont exposés à un risque accru de cancer du poumon parce que ce public fume davantage et exerce plus souvent des emplois ayant un impact néfaste sur la santé, ces personnes sont souvent plus difficiles à atteindre ou décident de ne pas participer au dépistage. «Il arrive que les fumeurs se sentent coupables de leur comportement ou appréhendent le résultat de l’examen. Ils ont donc souvent tendance à éviter toute information sur les risques liés au tabagisme et sur le dépistage du cancer du poumon.» Dans notre pays, il s’agirait aussi de l’un des plus importants défis organisationnels, rappelle l’organisme fédéral, puisque les autorités ne disposent pas de données sur les antécédents tabagiques des Belges.

 

 

Pierre Jassogne

Pierre Jassogne

Journaliste

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