Lorsqu’on cause politique autour d’un verre, convoquer l’histoire a souvent tout d’un réflexe pavlovien. Surtout quand les godets s’enchaînent… On évoque l’entrée d’un parti d’extrême droite au parlement, quelque part en Europe? «C’est comme en 33 avec les nazis.» Un mouvement social de grande ampleur en Belgique contre les politiques d’austérité? «Ça rappelle la grande grève de 1960.» Des islamistes qui prennent le pouvoir quelque part? «En 1979 en Iran, c’était déjà la même chose.» Variante peut-être un peu plus fine du point Godwin, la référence historique a souvent pour objectif – même inconscient – de couper court à la discussion, au débat. Quand on évoque l’entrée des copains d’Hitler au Reichstag ou la mise sous contrôle de Téhéran par les Gardiens de la révolution, il devient compliqué d’ajouter quelque chose…
Pourtant l’histoire qu’on évoque est souvent mal connue. Je m’en suis encore une fois rendu compte il y a peu alors que j’avais emmené mon plus grand rejeton voir – un peu par accident – le Lion de Waterloo. Allez-y, riez. Oui, ça va, le Lion de Waterloo, ce monument parfois bon marché du folklore belge. Cet animal de fonte qu’étant gosses on allait voir avec grand-mère, une gaufre à la main, sans trop savoir de quoi il retournait. Juste pour le plaisir de pratiquer les 226 marches de l’escalier gravissant la butte haute de 41 mètres sur laquelle il trône. À l’époque, à part ce monticule et un vieux panorama peint datant du début du XXe siècle, il n’y avait pas grand-chose à voir.
Le journaliste devrait prendre la peine de jeter un œil dans le rétro, histoire de voir ce qui nous attend…
Aujourd’hui on peut heureusement aussi visiter un musée retraçant notamment les origines du conflit ayant opposé la France de Napoléon à ses ennemis sur la «morne plaine» en 1815. Autant dire que je m’y suis pris une claque. Une république batave en 1795? Un Royaume de Naples à la même époque? Si j’avais un jour eu connaissance de l’existence de ces États, je les avais depuis lors complètement occultés. J’ai découvert un épisode de l’histoire d’une Europe oubliée et bien différente, mais finalement étrangement proche. Celle d’un conflit – déjà – globalisé ayant répondu à des logiques et des réflexes qu’on aurait pu croire sortis de l’époque contemporaine. Quitte à continuer de faire dans l’histoire bon marché, je me suis aussi souvenu d’une citation de Churchill: «Plus vous saurez regarder loin dans le passé, plus vous verrez loin dans le futur.» Est apparue alors l’impression que beaucoup de dossiers, de manœuvres, d’événements politiques et sociaux à venir seraient presque prévisibles si l’on se donnait la peine de retourner voir avec précision – et pas autour de bonnes pintes – ce qui s’était déroulé il y a 50, 100 ou 200 ans. L’homme ne change malheureusement pas et il est souvent très prévisible… Il n’hésite pas non plus à réécrire l’histoire quand ça l’arrange.
Malheureusement, le journaliste n’a pas souvent la possibilité de prendre le temps pour effectuer ce type de «flash-back», tant il est happé par la fuite en avant de l’information. Il devrait pourtant parfois prendre la peine de jeter un œil dans le rétro, histoire de voir ce qui nous attend…