Pression des entreprises sur les syndicalistes, licenciements à l’approche des élections sociales, les témoignages de délégués syndicaux à bout sont fréquents. Neal, accompagnateur de train et délégué à la CGSP-Cheminots, témoigne de son expérience au sein de la SNCB. Alter Échos l’a suivi au cœur d’une manifestation des «rouges». Luna Macken
«C’est par ce genre d’action qu’on a du poids», lance Neal. Entouré de plusieurs milliers de militants de la FGTB, il est venu manifester dans les rues de Bruxelles. Vestes, parapluies, bonnets, un seul mot d’ordre pour la journée: du rouge. Neal aussi a joué le jeu. Sur le dos, une veste aux couleurs du syndicat floquée du logo CGSP-Cheminots, et une note de couleurs en plus pour lui: l’écharpe gris et orange des uniformes de la SNCB. Pour ce jeune accompagnateur de train, élu au syndicat depuis deux ans, les deux sont importants: «J’essaye de trouver la bonne balance entre mon travail, que j’aime énormément, et le côté syndical. En ce moment, je joue plus mon rôle de délégué avec la manifestation, une réunion demain, une formation jeudi… L’ambiance quotidienne, les autres cheminots, cela me manque un peu.»
Mesuré, réfléchi dans les propos qu’il tient, Neal est apprécié de ses collègues. «Nous, on en fait parfois un peu trop… Mais lui, c’est un bon. Il ira loin», déclare Pol, chapeau de cow-boy vissé sur la tête. Militant depuis longtemps, Neal ne se contente pas de petits changements et des réunions qu’il a fréquemment avec ses supérieurs: «Le syndicat améliore des petites choses pour le quotidien des travailleurs et l’ambiance est généralement conviviale lors de ces rencontres. Pourtant, en tant que délégué, on peut rapidement se sentir frustré: quand on veut changer les choses à plus grande échelle, par exemple.» Les conditions de travail, la libéralisation, le service minimum, la modernisation des trains, autant de sujets sur lesquels Neal débat avec intérêt. «Malgré les réunions, nous ne parvenons pas à avoir un réel impact à ce niveau-là. Même nos supérieurs n’ont pas les leviers nécessaires. Il s’agit de décisions prises plus haut dans la hiérarchie», poursuit-il.
«En tant que délégué, on peut rapidement se sentir frustré : quand on veut changer les choses à plus grande échelle, par exemple». Neal, délégué syndical CGSP-Cheminots
En attendant, il est entièrement consacré à la manifestation du jour pour une sécurité sociale renforcée. Smartphone à la main, il photographie ses collègues avec leur banderole et envoie le tout à ceux qui ne sont pas présents. L’objectif est de faire en sorte que tous se sentent concernés par les actions syndicales. Entre deux messages envoyés sur le groupe WhatsApp, Neal prend aussi le temps de répondre aux questions qu’on lui envoie: «À combien de jours de congé et de repos a-t-on droit par an?», «Ai-je le droit de passer en 4/5?», «Et pour les mutations, comment cela se passe-t-il?»… À toutes ces interrogations, Neal répond en tant que bénévole, parfois sur son temps libre. Un autre rôle du délégué vécu comme un loisir par le syndicaliste.
Une concertation sociale en baisse
Plus loin dans la manifestation, un «rouge», micro à la main, interpelle la foule: «On en a assez! Assez des délégués qui sont constamment sous pression, au bord du burn-out! Assez aussi des travailleurs qui doivent reporter des soins de santé, de ceux qui ne peuvent pas prendre leurs jours de congé…» Pour Neal, la situation est différente: «Mon discours n’est pas contre la SNCB mais contre les politiques.» À défaut d’expérience personnelle négative, Neal préfère ne pas témoigner de la pression subie par certains délégués. Bien qu’il constate une différence entre privé et public: «Dans le privé, le dialogue social se passe parfois moins bien, même s’il ne faut pas généraliser. Ni d’un côté comme de l’autre.»
Non mécontent de la gestion des syndicats par la SNCB, il fait tout de même un reproche à l’entreprise: la concertation sociale n’est pas toujours au rendez-vous. La direction ne joue apparemment pas sur le tableau de la répression syndicale mais impose de plus en plus de décisions aux employés. Cela a été le cas du service minimum en 2018. Neal ne l’accepte toujours pas, et le reste de la FGTB non plus. «Dans un sens, cela nous rend service. Les usagers peuvent voyager et sont moins en colère. Néanmoins, cette mesure a considérablement réduit la force de frappe des grèves. Les dirigeants ont atteint leur objectif», regrette-t-il. En plus, ces décisions de la SNCB créent des situations dangereuses dont les usagers n’ont pas toujours conscience. Le risque d’accident augmente lorsque l’entreprise assure un service minimum avec trop peu d’employés, comme dans les cabines de signalisation.
Des conditions difficiles
Présent depuis bientôt quatre ans dans le monde des cheminots, Neal témoigne pourtant de la difficulté croissante du métier d’accompagnateur de train: charge de travail plus élevée, peu de pauses, trains bondés, retards qui pèsent sur le mental… Les causes? De mauvaises décisions, non seulement de la direction de la SNCB, mais aussi du gouvernement. D’ailleurs, Neal insiste: «C’est le gouvernement Michel qui a fait le plus de dégâts.» Coupes budgétaires, employés en sous-effectif, augmentation de l’offre des trains sans augmentation du nombre d’accompagnateurs, course vers toujours plus de productivité, la liste des griefs du délégué syndical est longue. Neal met surtout en avant l’incohérence des mesures de ces dernières années avec le discours, pourtant de plus en plus populaire, d’amélioration des transports en commun.
«Le service minimum a considérablement réduit le force de frappe des grèves. Les dirigeants ont atteint leur objectif.»
Un autre problème: la libéralisation du rail qui arrivera en 2023 à moins d’être reportée dans dix ans. «Le scénario le plus probable, déclare-t-il, c’est d’avoir un chantage de la part du nouveau gouvernement et plus particulièrement des partis de droite. La SNCB pourra rester publique dix ans de plus si elle devient plus performante. Mais plus performant, cela revient à faire plus avec moins de moyens, pour les cheminots et pour les voyageurs aussi.»
Le poids des syndicats
«Les chemins de fer, c’est un projet de société, assure Neal. L’améliorer est parfaitement possible, c’est simplement une question de choix politiques. Il faut des investissements. Une entreprise publique forte, c’est la meilleure garantie pour un meilleur chemin de fer.» Et c’est là que la mobilisation compte. Croyant profondément en l’efficacité de la lutte sociale, Neal est persuadé que les prochaines décisions pour répondre aux grands défis de la mobilité et du climat dépendront des rapports de force et des mobilisations. Une pression qui doit venir tant des cheminots que des usagers, qu’il compte bien ramener à sa cause: «Pour le moment, je suis moyennement optimiste mais je reste éminemment combatif, ça c’est sûr.»