Pendant six semaines, du lundi au vendredi, la formation 45+ propose aux demandeuses d’emploi et sans diplôme une remise à niveau des outils IT, un bilan personnel, la présentation des métiers de l’informatique, un projet professionnel et un coaching emploi. «Dans ces groupes-là, on retrouve des femmes fragilisées avec des parcours plus chaotiques. On y entend des récits de violences conjugales ou de divorces qui finissent par les laisser sans revenu du jour au lendemain», explique Laure Lemaire, directrice d’Interface 3 depuis 2007, avant de rajouter que «notre mission est de les aider à se remobiliser et à acquérir une confiance dans leur capacité professionnelle afin de trouver un emploi de qualité et valorisant». Pour Julie Moors, coordinatrice de formation depuis huit ans, «ce sont les groupes les plus solidaires. Ces femmes ont en commun d’être littéralement dans le même bateau parce qu’elles ont traversé, à des endroits différents du monde, des épreuves similaires». Parmi elles, trois profils types se dégagent: «des mères qui se sont consacrées à leurs enfants et qui n’ont jamais pu travailler, celles qui ont eu une carrière ou des diplômes dans leur pays, mais qui ne correspondent pas forcément aux critères demandés en Belgique; enfin des personnes qui ont dû cesser leurs activités pour des problèmes de santé comme le covid ou un burn-out, mais aussi causés par la pénibilité de leur emploi».
Solidarité et sororité
8 h 40. Dans la salle de formation, les élèves se dirigent vers l’ordinateur sur lequel est collé un Post-it jaune indiquant leur prénom. Quatre semaines que les quinze participantes ont une place à elles, leurs habitudes à elles. Les trousses, les cahiers et les bouteilles d’eau se retrouvent posés sur les tables, tels les témoins privilégiés d’un nouveau départ. Alex, le jeune formateur, entre dans la salle, suivi à la hâte par d’autres participantes. Elles saluent leurs camarades d’un regard entendu ou d’un «ça va, ma chérie?» tout chuchoté. Ici, l’ambiance n’est pas à la cohue. La concentration maximale semble être un code secret qu’elles se passent entre elles.
«Enfin un organisme qui est là pour les femmes, qui les défend, qui les prend en considération et qui souhaite les valoriser.»Elsa, 55 ans et mère de deux enfants
«OK! Bonjour tout le monde!», entonne joyeusement Alex tandis que les mains se posent sur les souris, déclenchant un concerto de cliquetis. Le dynamique trentenaire enchaîne avec des questions concernant l’exercice de la veille. Certaines des participantes répondent correctement. «Bravo! C’est rentré!» D’autres sont silencieuses, main sous le menton, le regard perplexe. Alex poursuit le cours d’informatique au rythme endiablé de termes techniques tels que «looping – many-to-many – top – middle – bottom», jusqu’à ce que retentissent des appels à l’aide «Help ! Help, Alex! On ne comprend plus!», «C’est trop abstrait!», «C’est du chinois!» Le formateur file alors à leur rescousse, celles qui ont plus de facilité en profitent pour prêter main-forte à leurs camarades en difficulté. À ce vent de panique, le formateur se veut rassurant: «C’est normal, au début, ce n’est pas facile. Le but n’est pas d’aller vite, mais d’apprendre en s’amusant.» 10 h 15. C’est la pause. Direction la cafèt’. Les rires se font entendre et les participantes, qui ne se connaissent que depuis un mois, se réunissent telles des amies de longue date. «Pour moi, le plus enrichissant, c’est d’avoir rencontré les filles. Elles m’encouragent énormément et m’aident pour les démarches administratives. Nous sommes une petite équipe très chaleureuse», raconte Maria, tout juste arrivée à Bruxelles. «On est devenues comme des sœurs», souffle Hanan. Pour Isabelle, cette entente est aussi liée à leur histoire en commun: «On a toutes eu un parcours de vie cabossé». Alex, le formateur, observe que, «dans ce groupe de 45+, les femmes sont très studieuses et cherchent bien plus à comprendre que des classes composées de jeunes. À chaque fois, on remarque que les plus fortes hissent les plus faibles vers le haut.»
Une remise en confiance
«Quand on se retrouve dans des formations avec des jeunes, on est d’office à la traîne. Pour la première fois, je me sens à ma place ici», avoue Elif. Malgré ses vingt-six ans passés dans l’administration marocaine, Aïcha, cinquantenaire, ne trouve pas d’emploi. «J’avais complètement perdu confiance en moi à cause de mon âge. Maintenant je suis plus sûre de moi. Je réalise que j’ai une expérience que les jeunes n’ont pas et que je vais ajouter des compétences à mon CV.» Pour Nadine, «ce module de remise à niveau a pour but de réactualiser les femmes».
La non-mixité du cours est aussi un plus pour les participantes. «S’il y avait eu des hommes dans notre cours, il y aurait eu de la compétition. Ils se seraient sentis plus forts que nous!», lance Hanan. «On est à l’aise entre nous, on se comprend…», poursuit Aïcha.
Et puis il y a celles qui ont voué une vie entière à leurs enfants. «Je ne suis pas sortie pendant trente ans et maintenant mes enfants sont en panique de ne pas m’avoir à la maison!», plaisante Hanan, diplômée d’un CESS en travaux de bureau mais «du temps des machines à écrire». Depuis sa séparation, elle n’a plus de revenu, quatre bouches à nourrir et se retrouve dans l’urgence de trouver un boulot. Ange a dû s’occuper de ses parents et de ses deux filles. Ce sont elles qui l’ont encouragée à tenter sa chance. «Il fallait juste s’inscrire et passer un entretien basé sur la motivation. Julie m’a promis de ne pas me lâcher. Et quand on est comme moi une personne qui n’a pas confiance en elle, ça change tout d’être soutenue et d’être entendue.» Parmi les seniors du groupe, il y a Lena, qui lance un cri du cœur – «aujourd’hui, je veux connaître mes compétences!» –, mais aussi Anna, qui, du haut de ses 60 ans, souhaite montrer qu’«elle est encore capable».
Être enfin prises en compte
Si les chances de trouver un travail rapidement après cette formation non qualifiante restent rares, elles ne sont pas impossibles. C’est le cas d’Elsa qui a décroché deux CDI consécutifs. Âgée de 55 ans et maman de deux enfants, Elsa, après deux années d’études de secrétariat, a enchaîné les intérims, les CDD et les périodes de chômage, pendant trente ans, faute de trouver un CDI. Quand elle reçoit un courriel d’Actiris présentant cette formation, elle réalise que «c’est la perche qu’il lui fallait». C’est un sursaut d’espoir inespéré: «Je me dis enfin! On est pris en compte!» Des tests pour des formations diverses, Elsa en a passé plein dans d’autres centres de la capitale, se soldant à chaque fois par un échec cuisant et humiliant. La raison? On lui avouera à demi-mot qu’elle est trop âgée, que la limite est fixée à 32 ans. «C’est dégueulasse et discriminatoire», lâche-t-elle avant de confier qu’«à chaque fois, ça nous casse… Il faut aller à la séance d’information, répondre aux questionnaires, passer l’examen, attendre les résultats et passer l’entretien final. Si ces centres de formation le disaient dès le départ, ça nous empêcherait des claques à chaque fois.» Le fait de n’être qu’entre femmes l’enthousiasme aussi. «Enfin un organisme qui est là pour les femmes, qui les défend, qui les prend en considération et qui souhaite les valoriser.» La séance d’information fut d’ailleurs une révélation: «Julie était très à l’écoute et se rendait compte de notre situation. Elle nous tendait déjà des clés nous permettant d’avancer, et, pour moi, c’était franchement formidable.» Si elle ne craint plus de passer des tests, grâce à sa remise à niveau en informatique, Elsa confie que cette formation lui a plus que tout «restitué» une confiance qu’elle avait égarée en cours de route. «Aujourd’hui, je suis d’autant plus motivée, car je peux enfin me dire que je suis capable de trouver chaussure à mon pied.» Et c’est bien ce que l’on souhaite à toutes.
