Un mercredi après-midi de fin de printemps, la pluie bat la cour du Circularium à Anderlecht. Cet entrepôt de 20.000 m2 accueille nombre d’initiatives liées à l’économie circulaire dont le SIL, le Service d’installation Logement géré par l’asbl L’Ilot (relire aussi: «L’Ilot : un centre de jour par et pour les femmes», AÉ n° 499, décembre 2021). Au fond d’un grand hangar, des tables, des fauteuils, des lits, mais aussi des draps, des casseroles et de l’électroménager. «Ici, c’est notre stock. Les meubles vont et viennent au gré des mailings de récoltes de dons, des besoins et des demandes», introduit Véronique, la coordinatrice du projet.
Un service logistique et humain
Cette initiative part des demandes du secteur associatif œuvrant dans la mise en logement, en particulier du projet Housing First. «Un budget a été débloqué par la Région bruxelloise pour créer un service logistique d’aide à l’installation, et L’Ilot a répondu à l’appel à projets», éclaire Véronique. Résultat, le SIL existe depuis novembre 2020 et 41 associations partenaires peuvent y souscrire. «Nous centralisons toutes les requêtes. Les bénéficiaires viennent avec leur référent. Chez nous, les gens choisissent ce dont ils ont besoin, ensuite on réserve le lift et les emplacements, on livre, on installe, on répare.»
Dans le hangar, l’équipe s’agite. Les costauds – Dawid, Arno, Younesse, Macky et Willy – embarquent dans deux camionnettes les meubles qu’une jeune femme a sélectionnés la semaine dernière. Direction le sud de Bruxelles. Derrière le volant, Dawid, 29 ans, d’origine polonaise, se livre: «J’ai travaillé dans le bâtiment et l’horeca. C’est mon premier job dans le social. J’adore le contact avec les gens. On vient pour une mission logistique précise, mais il y a quand même une touche humaine.»
Du stock au nouveau nid
La camionnette se gare dans la cour de la Maison de la Mère et de l’Enfant (maison d’accueil). L’équipe récupère les affaires de la bénéficiaire. «Après, on va dans son nouveau logement tout déposer avec les meubles provenant du stock», lance Dawid en attrapant les sacs de vêtements, de jouets et le Maxi-Cosi. Remplis à bloc, les deux véhicules reprennent la route jusqu’à l’adresse indiquée dans le planning: une petite rue boisée d’Uccle. Depuis le balcon du quatrième étage, Jeanne* et son assistante sociale saluent l’assemblée.
Dans son appartement, la jeune femme de 20 ans accueille la troupe en berçant dans ses bras son bébé de 10 mois. C’est un grand jour, après un an passé dans la Maison de la Mère et de l’Enfant, elle a enfin son chez-elle. «Vivre ici va me permettre de reconstruire ma vie. J’aimerais terminer l’école secondaire et ensuite réaliser mon rêve en devenant éducatrice spécialisée», explique-t-elle en réfléchissant où placer son sommier. En bas, le lift se positionne, les meubles sont amenés par la fenêtre. «Avant le SIL, c’était très compliqué pour les mamans; ce service, ça change la vie», souffle l’assistante sociale prête à réceptionner les affaires. Le fauteuil, la table, le lit du petit, celui de Jeanne, le frigo, la machine à laver… Les hommes portent, branchent, construisent. En deux heures, chaque chose trouve sa place. La bande laisse la jeune femme finir de s’installer et salue: «À bientôt, s’il y a quoi que ce soit, n’hésitez pas à nous contacter!»
Trouver son bonheur
Lundi suivant, 13 h, un grand soleil au Circularium. Léa, la gestionnaire du stock, accueille Wilfried* et son assistant social qui travaille pour DoucheFlux. «Est-ce que vous savez ce dont vous avez besoin?», s’enquiert-elle. «J’ai emménagé, je n’ai rien… Enfin, j’ai un appartement, c’est déjà pas mal», confie Wilfried, sorti de prison depuis peu. «On va faire notre possible pour trouver ce qu’il vous faut!» Dans le stock, l’homme opère son choix: un canapé, une petite armoire, deux chaises. «Prends en fonction de l’espace que tu as chez toi, lui rappelle l’assistant social. Ces deux chaises hautes, là, je peux? La table de ma cuisine est haute, du coup je dois manger debout.» Malheureusement, une étiquette indique qu’elles sont déjà réservées pour un autre bénéficiaire… «Pas grave, j’ai déjà trouvé mon bonheur», rassure-t-il.
La gestionnaire prévoit le déménagement pour la semaine suivante et lui promet de le prévenir d’ici là des arrivées dans le stock. Bientôt l’envol pour Wilfried dans son appartement. Pour l’heure, en route vers une autre mission: un «pick-up», une récolte auprès d’un donateur. Younesse et Macky embarquent dans la camionnette. «Parfois les gens pensent qu’on prend les meubles pour nous alors on leur rappelle qu’on les donne et qu’on ne les revend pas», précise Younesse, travailleur sous convention article 60, en encodant dans le GPS l’adresse située dans un quartier chic de Woluwe.
Les intermédiaires d’une chaîne solidaire
De belles villas, des petits jardinets: l’arrivée semble proche. Le véhicule se gare sur le parking d’une résidence-service. Objectif: récupérer une machine à laver. Un homme d’une soixantaine d’années reçoit les deux porteurs dans un vaste appartement. «Ma mère a vécu ici 18 ans. Elle est décédée. Nous sommes en train de tout vider. Il y a un peu de tout, je ne sais pas si quelque chose peut vous intéresser.» Des lits, des fauteuils, des tabourets, des électroménagers. Et dans un coin deux chaises hautes qui pour sûr plairont à Wilfried. Pour les deux hommes du SIL, c’est une belle surprise. «On va prendre ce qu’on est certain de pouvoir distribuer», annonce Younesse en emportant un matelas.
«On a cherché où donner et nous sommes tombés sur le service», murmure le fils endeuillé. Dans ses mains, une photo de sa mère en noir et blanc. Entre souvenirs et esprit pratique, le temps passe. Younesse et Macky portent et multiplient les allers-retours jusqu’à la camionnette sous la chaleur. Une fois le véhicule rempli, le duo laisse l’homme à son rangement pour repartir avec cette livraison de grande qualité. «Nous sommes les intermédiaires. Parfois, les gens ont trop et ne savent pas quoi faire de leurs affaires… J’aime bien ce boulot parce qu’on redonne à celles et ceux pour qui c’est vraiment utile», glisse Macky. En route pour le Circularium pour d’autres histoires de transmission et d’envols…
* Ces prénoms ont été modifiés.
En savoir plus
«Sans-abrisme: ‘Le retour en logement peut s’avérer aussi traumatisant que l’arrivée en rue’», AÉ n° 460, février 2018, Manon Legrand.
«Portraits de chasseurs en groupe», Focales, juin 2017, Martine Vandemeulebroucke.
«Housing First : vers la fin du sans-abrisme?», Alter Échos n° 423, mai 2016, Marinette Mormont.
