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Regard critique · Justice sociale

Logement

A la recherche de propriétaires solidaires

Louer son bien immobilier à un prix réduit pour aider un ménage dans le besoin à accéder au logement, avec la garantie d’un accompagnement social à la clé; c’est la formule proposée par Devenir Propriétaire solidaire à Liège. Depuis trois ans, l’association «matche» des propriétaires privés et ses partenaires de première ligne, dont les publics fragilisés (sans-abri, primo-arrivants, victimes de violences…) sont en recherche d’un relogement.

À 8 heures du matin, Greg est déjà de retour de ses courses. Ce n’est pas tant que ce quarantenaire soit particulièrement matinal ou qu’il veuille à tout prix éviter les files au supermarché, c’est surtout qu’il souhaite éviter de tomber sur d’anciennes connaissances de la rue. «Je ne sors plus, je ne parle à plus personne, sauf les bonnes personnes. Je ne veux plus côtoyer ces gens. Vous savez, on se fait des ennemis en sortant de la rue…»

Après dix années d’errance, de galères, de centres d’accueil et d’addiction aux drogues, Greg a emménagé il y a trois ans dans son nouveau chez-lui. Lové dans une grande bâtisse, le long d’une rue pavée du centre de Liège, son petit studio rudimentaire lui offre tout le nécessaire: une pièce de vie, une chambre, une salle de bain et une buanderie. C’est ici, entre ces quatre murs blancs, que Greg a pu se créer une routine, se trouver de nouveaux «compagnons»: une bière le soir, un pétard parfois et, surtout, sa guitare.

Cette renaissance, il la doit en partie à Devenir Propriétaire solidaire, un projet de relogement né il y a un peu plus de trois ans à Liège, qui met en lien des propriétaires et des associations de première ligne dont les publics fragilisés sont en quête d’un logement (personnes à la rue, primo-arrivants, victimes de violences conjugales…): les premiers acceptent de louer leur bien pour un loyer modéré, les secondes s’engagent à mener un accompagnement social soutenu et régulier de leurs bénéficiaires-locataires.

Le projet compte aujourd’hui huit associations partenaires, parmi lesquelles le Plan de cohésion sociale, le CPAS de Liège et Housing First. Créé pour répondre au manque de logements publics dans la Cité ardente et aux problèmes de salubrité d’un parc immobilier vieillissant et trop peu rénové, le projet vise aussi à insuffler une dynamique de cohésion (et éviter la concurrence) entre des associations confrontées aux mêmes enjeux.

Le regard vif, souligné par trois larmes tatouées sous l’œil droit, Greg se remémore ses premiers moments de vie casanière après la rue. «Au début, c’est bizarre. Il y a une sorte de claustrophobie quand on s’installe dans un logement. Et alors, là-dedans, ça gigote», explique-t-il en agitant son doigt près de la tête. Petit à petit, l’homme a meublé son appartement, s’est offert une platine pour écouter ses vinyles et se sent aujourd’hui chez lui. «Maintenant, c’est le paradis ici. Plus qu’une bouée de secours, c’est la stabilité, un tremplin.»

«Une vraie présence»

Le propriétaire de Greg se nomme Habitat-Service, une asbl qui possède de nombreux logements qu’elle propose à des personnes mal logées ou sans abri. Mais Devenir Propriétaire solidaire repose aussi sur des particuliers: 42 actuellement, pour un total de 78 logements qui accueillent 358 personnes.

Mais les besoins sont immenses; alors, convaincre de nouveaux bailleurs de prendre part à l’aventure, c’est la mission principale du coordinateur du projet, David Lecomte, mission qu’il appelle «le captage»: «Il nous arrive de mener des séances de ‘captage intensif’: on scrute les annonces sur Immoweb, on appelle chaque propriétaire et on essaie d’avoir un rendez-vous. Environ 10% de nos appels téléphoniques aboutissent à une visite de bien.»

Mais comment convaincre un propriétaire de céder son bien pour moins d’argent? «Notre grande plus-value, c’est l’accompagnement social du locataire qui est assuré sur le long terme», souligne David Lecomte. Autre argument: «Les commodités pratiques – comme la rédaction du bail, l’état des lieux, le paiement de la garantie locative – que nous prenons à notre charge, poursuit le coordinateur. On prévient d’emblée les propriétaires qu’avec nous ils percevront moins d’argent que sur le marché immobilier privé, mais qu’en contrepartie, on leur évite toute une série de tracasseries.»

Créé pour répondre au manque de logements publics et aux problèmes de salubrité d’un parc immobilier vieillissant et trop peu rénové, le projet vise aussi à insuffler une dynamique de cohésion entre des associations confrontées aux mêmes enjeux.

C’est en partie ce qui a convaincu Vinciane Beaulère de se lancer dans l’aventure. Pour cette Liégeoise qui se prépare à partir vivre à l’étranger pendant cinq ans, la garantie d’un accompagnement de ses futurs locataires a été déterminante dans son choix de devenir une «propriétaire solidaire»: «Et puis, c’est très agréable de voir que tout le processus se met rapidement en route. On sent qu’il y a une vraie présence derrière.»

C’est elle qui, spontanément, a contacté David Lecomte il y a quelques semaines. «Étant psychologue dans un service de soutien à la parentalité à domicile, je suis amenée à voir des logements dans toute sorte d’états, à voir aussi des familles qui cherchent un logement plus adapté et se heurtent à des refus, souvent pour des raisons financières. Et pourtant, je vois bien que ces familles paient leur loyer et sont respectueuses des biens qu’elles louent.» «Par conviction», Vinciane a donc accepté de baisser son loyer mensuel de cent euros par rapport à ce qu’une agence immobilière commerciale lui proposait, afin de donner accès à sa maison à une famille dans le besoin.

Vinciane fait partie des propriétaires que David Lecomte qualifie d’«engagés»; ceux qui, par valeur, rejoignent le projet de leur propre initiative. Une autre catégorie de propriétaires solidaires, relativement restreinte, regroupe selon lui les «propriétaires ‘presque professionnels’, qui possèdent souvent plusieurs biens et sont donc moins sensibles à une diminution de revenus sur l’un d’eux». Enfin, «en majorité, ce sont des propriétaires que je qualifie de ‘pourquoi pas’: ils ne sont pas militants, ne sont pas particulièrement dans le besoin financier et se laissent juste tenter par l’idée de faire un geste social», poursuit le coordinateur.

L’impact de l’inflation

Après une première rencontre avec Vinciane, et le loyer désormais négocié, David Lecomte va maintenant procéder au «matching», en consultant la liste d’attente des associations (plafonnée à 80 candidats au total, classés par ancienneté) et en croisant les besoins et les moyens de chacun aux caractéristiques du logement disponible. «On n’impose jamais de candidat; puisque notre but est de reloger à long terme, il faut que ça ‘matche’ entre le locataire et le propriétaire. Si on force les gens à se fréquenter, c’est déjà mal parti.»

En attendant de trouver la famille qui emménagera dans la maison de Vinciane, le coordinateur poursuit sa mission de «captage» de nouveaux propriétaires. Plus tard dans l’après-midi, il partira justement rencontrer un nouveau candidat: «Un profil de propriétaire plutôt engagé, qui travaille dans le non-marchand et qui nous a contactés spontanément, après avoir lu un article sur le projet.»

Mais même si elle ne cesse de prendre de l’ampleur, l’offre en logements de Devenir Propriétaire solidaire reste insuffisante par rapport à la demande. Et le contexte actuel ne joue malheureusement pas en la faveur du projet: «Ces derniers mois, on constate l’impact de l’inflation galopante et de la hausse des coûts de l’énergie, note David Lecomte. Les propriétaires qu’on essaie de capter sont plus réticents à baisser leur loyer. Ils sont au contraire plutôt tentés d’augmenter leurs provisions de charges ou charges communes…»

À relire, sur les projets de «capteurs» de logements, le Focales «Portraits de chasseurs en groupe», juin 2017 et «Capteurs et créateurs de logement», Alter Échos n° 422, mai 2016, Manon Legrand.

Clara Van Reeth

Clara Van Reeth

Journaliste et contact freelances, stagiaires et partenariats

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