En avril 1990, le Parlement belge adoptait la loi Lallemand-Michielsens qui dépénalisait partiellement l’interruption volontaire de grossesse. 25 ans plus tard, l’avortement se pratique dans de bonnes conditions mais «il reste un tabou», constate Julie Harlet, chargée de communication à la Fédération des centres de planning familial des FPS et auteure du rapport «25 ans de la loi IVG en Belgique. Enjeux et perspectives d’avenir». Elle déplore aussi le manque d’information officielle sur l’IVG et la pénurie de médecins qui pourrait à l’avenir mettre à mal l’accès à l’avortement. Bilan et perspectives d’avenir.
A.E: 25 ans après l’adoption de la loi, l’accès à l’avortement est-il bien assuré en Belgique ?
J.H: L’accès à l’avortement se pratique aujourd’hui dans de bonnes conditions jusqu’à 12 semaines. Notre pays a cette spécificité d’offrir un accompagnement pluridisciplinaire aux femmes- avant et après l’avortement, notamment avec une information sur la contraception. L’intervention est prise en charge par les mutuelles. Les complications médicales sont de l’ordre de 1%. La situation est donc bonne. Mais les plannings tirent la sonnette d’alarme face au risque de pénurie de médecins formés à l’interruption volontaire de grossesse. En 2013, plus de la moitié des médecins pratiquant des IVG avaient 55 ans et plus. Certains centres, notamment au sud du pays ont déjà beaucoup de difficultés à trouver des médecins compétents.
A.E: Comment expliquer cette pénurie ?
J.H: Une seule université, l’Université Libre de Bruxelles propose une formation à l’IVG. Elle est sur base volontaire. Les médecins qui ont la fibre sociale mais n’ont pas reçu de formation spécifique se forment sur le tas. Pour la Fédération des centres de planning familial, une formation obligatoire doit être intégrée dans les cursus des futurs médecins (C’est l’une des revendication de la plateforme AbortionRight !, NDLR)
A.E: Vous regrettez aussi dans votre rapport un manque d’information officielle autour de l’IVG.
J.H: Il n’existe à ce jour pas de site officiel des autorités fédérales renseignant sur l’accès à l’avortement. Le secteur associatif a pallié ce problème (voir notamment www.loveattitude.be, jeveuxavorter.be, www.gacehpa.be, www.abortus.be). Le SPF Santé publique devrait être mandaté pour garantir un accès à l’information. Surtout quand on sait que les sites antichoix sont eux très présents sur le web. Il faut insister aussi sur l’efficacité de l’EVRAS (Education à la vie relationnelle, affective et sexuelle à l’école, Lire AE n°392, 10 novembre 2014,«L’ascension de l’EVRAS», NDLR) et de la gratuité de la contraception. On ne peut pas parler de l’IVG sans souligner ce point.
A.E: Le droit à l’avortement est mis en cause en France dans les rangs des opposants au « Mariage pour tous ». En Espagne, le droit à l’avortement a aussi subi quelques attaques. Dans ce contexte, craignez-vous aussi qu’il soit remis en cause en Belgique, notamment par l’action des mouvements « anti-choix »?
J.H: Les mouvements « anti-choix » ont toujours existé mais ils se professionnalisent et s’organisent mieux aujourd’hui. De plus, ils bénéficient de financements importants, notamment les lobbies européens (Lire AE n°377, 10 mars 2014,«Belgique, l’accès à l’avortement menacé ?»). Nous craignons davantage les attaques insidieuses, comme la proposition de loi du CD&V pour donner une existence juridique au foetus mort-né, avec à la clé une modification du Code civil qui prévoit la délivrance d’un certificat « d’enfant né sans vie ». Cela induirait un flou dangereux entre le fœtus et l’enfant. C’est dangereux au niveau de la culpabilisation des femmes. La vigilante reste de mise.
A.E: Le regard sur l’avortement a-t-il évolué en 25 ans ?
J.H :L’avortement demeure stigmatisé. C’est toujours un tabou. De nombreux mythes continuent à circuler : peur de la stérilité, séquelles psychologique et physiques…
A.E: Vous défendez dans ce sens un retrait définitif du code pénal.
J.H: Absolument, garder l’avortement dans le code pénal, c’est symboliquement l’appesantir d’une honte, d’une menace. Cela ajoute du poids à la culpabilisation des femmes.
A.E: Vous regrettez dans votre étude le « surplace» de la Commission nationale d’évaluation d’interruption volontaire de grossesse créée en 1990 et censée rendre un rapport chiffré tous les deux ans sur l’IVG au Parlement.
J.H: Son dernier rapport date de 2012. Or, les chiffres permettraient de voir par exemple qu’il n’y a pas actuellement une flambée des avortements, comme c’est souvent dit. On constate aussi que ce ne sont pas des filles de 16 ans mais bien des femmes approchant la trentaine qui ont majoritairement recours à l’avortement. Les chiffres sont importants pour démonter les mythes. Ils sont aussi nécessaires pour mieux cibler les politiques. C’est une question de santé publique.
A.E: L’avortement est en grande partie couvert par la mutuelle. Mais il reste des barrières économiques pour certains publics.
J.H: Un avortement coûte 3.46 € pour les personnes en ordre de mutuelle. Pour celles qui ne sont pas en ordre de mutuelle, le coût est alors beaucoup trop élevé – entre 200 et 400 euros. Il faut penser aussi aux femmes qui, au-délà du délai de 12 semaines, vont aux Pays-Bas pour l’interruption volontaire de grossesse. En 2009, cela concernait 803 femmes. Le recours à l’avortement à l’étranger, non remboursé, est exorbitant (entre 900 et 1.000 €, hors prix du voyage). Nous sommes donc face à une inégalité économique et sociale inacceptable.
A.E: Quelles réponses offrir alors à ces femmes ? L’allongement du délai, largement débattu aujourd’hui, serait-il une piste ?
J.H: La Fédération des centres de planning familial des FPS n’est pas contre, mais l’allongement du délai n’est pas notre objectif prioritaire. On est face à d’autres défis : l’information, la déstigmatisation,etc. Outre la question d’allongement du délai, on pourrait envisager par contre que l’INAMI rembourse les techniques qui ne sont pas pratiquées en Belgique, à l’instar de ce qui se fait pour d’autre interventions médicales.
L’IVG est autorisée
Jusqu’à 14 semaines à dater du premier jour des dernières règles, aux conditions suivantes
*L’état de détresse de la patiente doit être reconnu par un médecin.
*L’avortement doit être pratiqué par un médecin et avoir lieu dans une structure de soins où il existe un service informant les femmes sur les alternatives possibles à l’avortement
*Un délai de 6 jours doit être respecté entre le premier contact et le jour de l’avortement
Au-delà de 14 semaines d’aménorrhée, la reconnaissance d’un danger pour la santé (physique ou psychique) de la mère ou de l’enfant devra être attestée par deux médecins afin de pouvoir recourir à une interruption thérapeutique de grossesse
Lire aussi : le dossier d’Alteréchos, L’IVG en danger ?, mars 2014