Les 3 et 4 février 2006, la Fédération des maisons médicales (FMM)1 organisait un colloque anniversaire. « Refonder les pratiques sociales et lespratiques de santé », c’est en ces termes que le débat a été posé. Une manière aussi de tracer les perspectives et les grands défis àrelever en matière de politique sociale et de santé.
Pour introduire et donner le ton de la journée du samedi 4 février, Jean Carpentier, médecin de quartier à Paris. Ce dernier a écrit « Journal d’unmédecin de ville. Médecine et politique. 1950-2005 ». De son discours, retenons le questionnement de la pratique médicale : « Refonder, c’est pour moi, aller voirlà où on s’est trompé. Il y a quelque chose qui cloche dans la manière d’aborder la personne qui vient nous voir avec une plainte. On se précipite sur le corps,l’objet de la demande sans tenir compte du contexte qui implique cette demande. Ce qui arrange souvent le malade qui ne veut rien changer à sa vie. Tout ce qu’il veut, c’est que son corps, satête ne l’emmerde pas. Et le plus souvent, la raison de la maladie, on n’en parle pas. Refonder, c’est au lieu d’affronter le malade, se mettre à côté de lui et de regarderdans la même direction. En disant cela, je n’invente rien, d’autres l’on déjà dit. Le plus dur, c’est de le faire: pour le malade, d’accepter d’entrer dans cette réflexion;et pour nous, d’accepter de l’accompagner ».
La Fédération des maisons médicales
Les maisons médicales sont des « équipes pluridisciplinaires dispensant des soins de santé primaires, continus, polyvalents et accessibles à toute la population.Leurs actions visent une approche globale de la santé, intégrant soin et démarches préventifs. Elles s’appuient sur une dynamique de participation communautaire etcherchent à développer l’autonomie des individus dans la prise en charge des problèmes de santé ».
La FMM, qui est reconnue en tant qu’organisme d’éducation permanente, regroupe 71 maisons médicales et soigne un peu plus de 220.000 patients, soit 3,4 % de la population enCommunauté française. Les maisons médicales prennent en charge une population plutôt jeune, et plus pauvre que la moyenne nationale. Elles sont surtout situées enmilieu urbain ou suburbain, et particulièrement dans les quartiers les plus défavorisés. Les maisons médicales emploient 900 personnes dont 300 médecins et 600infirmières, kinésithérapeutes et psychologues.
Le carrefour citoyen abordait un enjeu à l’origine des maisons médicales, l’articulation entre intervenants et usagers des services, dans une logique d’éducation populaire,c’est-à-dire de « mobilisation des savoirs sociaux stratégiques pour un changement des rapports de force dans la société. En matière sociale, les intervenantset les usagers sont dépositaires de savoirs qui ne sont pas reconnus et pas toujours identifiés ». Et c’est ce constat qui pourrait générer une alliance citoyenne,potentiellement porteuse au niveau individuel et collectif. Pour en débattre, 40 professionnels issus pour partie des maisons médicales mais également d’associations diverses, etJean Pierre Nossent, Inspecteur général honoraire de la culture au ministère de la Communauté française et Micky Fierens, présidente de la Ligue des usagersdes services de santé. Les questions et les réflexions des participants furent multiples.
Comment participer ?
De nombreuses questions émanant des participants ont été discutées. Au centre des débats, la participation. « Qu’est ce qu’on attend de la participation ?» « Est ce que la participation est obligatoire ? » Ou encore, « Comment une équipe de soin crée les conditions pour avoir envie de s’inscrire dans des relationscollectives en lieu et place d’une relation entre un professionnel et un patient qui vient avec une plainte ? » Le constat est largement partagé, la participation n’est pasévidente à mettre en place. Les difficultés d’expression, d’accès à l’écrit ou encore les empêchements en raison des charges familiales, en particulierpour les mères chefs de famille sont autant d’obstacles à la participation. « Comment travailler avec les publics les plus fragilisés socialement alors qu’ils sont moinsintéressés par une démarche collective ? » Ou bien « Comment travailler avec des publics hétérogènes qui n’ont comme point commun qued’être patients dans une maison médicale ? Comment créer du lien et s’insérer dans le réseau et le quartier ? » Il faut décoder les demandes etcréer les dispositifs qui permettent de répondre aux demandes partagées collectivement. Un autre intervenant souligne que, paradoxalement, dans des situations extrêmes, laprise de parole est parfois plus aisée. Une intervenante fait part de son plaisir à faire monter les gens dans une démarche citoyenne. Elle parle du « désir de ceque l’on peut apporter ».
25 ans de changements
Jacques Morel est le secrétaire général de la FMM. Il rappelle, pour Alter Echos, les grandes évolutions intervenues dans le secteur depuis les années1970 et développe les quatre défis auxquels seront confrontées à l’avenir les maisons médicales.
Le secrétaire général identifie trois changements majeurs. Le premier a trait à la forte inflation des coûts des soins de santé. Alors que l’inflation descoûts du système de santé s’est surtout marquée dans les années 1950 et 1960, c’est à la fin des années 70, crise économique aidant, que lasociété s’est inquiétée de cet état de fait. « Les années 80 ont vu une prise de conscience et la mise en œuvre d’une logique de minimisation descoûts », poursuit J. Morel. Les années 90 se sont traduites par la recherche d’une efficience, mettant en balance la limitation des coûts avec la qualité des servicesrendus.
Deuxième changement, l’imbrication grandissante des questions sociale et de santé. Rien de nouveau, puisque dans les années 70, les maisons médicales mettaientdéjà en avant l’importance de la prise en compte des questions sociales pour aborder les enjeux de santé. Mais dans les années 80, les processus d’exclusion sociale,économique et culturel prennent de l’ampleur. « On observe de plus en plus de liens entre la situation sociale et l’état de santé de la personne et cela, mis à partle cancer du sein, quelle que soit la pathologie », observe Jacques Morel.
Dernier enjeu, les politiques de santé. Au départ, « le mouvement des maisons médicales avait le souci de réarticuler les dimensions physiologique, psychique etsociale pour traiter des questions de santé. Pour certains, c’était aussi en raison du fonctionnement même de la société que les gens étaient malades ».Aujourd’hui, remarque Jacques Morel, on dit que la santé est le résultat de multiples déterminants. « L’OMS met en avant les facteurs sociaux, culturels,économiques, environnementaux… On a un discours globalisant, mais on reste dans un cloisonnement des politiques de santé ». Et de fustiger la situation belge. « On a septministres qui s’occupent de santé et onze si l’on intègre l’environnement. On aligne tous les facteurs pour rendre impossible une politique de santé globale. Les acteurs deterrain sont donc condamnés à faire le grand écart entre des objectifs de limitation des dépenses et des institutions qui poussent au cloisonnement. ».
Quatre défis à relever
• La solidarité : C’est la question du maintien et du redéploiement de la sécurité sociale. Au-delà du problème communautaire, l’enjeu est, selon lesecrétaire général de la Fédération, de déployer cette dynamique entre professionnel et utilisateur évoquée plus haut. « Dans lesystème de santé, le cadre est fixé et la bonne utilisation dépend de la qualité des prescriptions au travers d’un usage modéré des médicamentspar exemple. La relation privilégiée entre le médecin et son patient développe une autre solidarité. On joue là sur l’axe efficience-qualité. »C’est aussi, confie Jacques Morel, tout le problème de la médicalisation. On est là face à un problème de compétence du médecin. Que peut faire cedernier lorsqu’il s’aperçoit que la demande ressortit d’abord à des enjeux sociaux ? Il est confronté à sa propre impuissance, n’ayant pas les ressources pour renvoyervers le service ou le professionnel approprié. En émettant une prescription, il sort de son impuissance, il apporte une réponse même si elle n’est pas adéquate. Onentre là dans une logique de gestion de l’incertitude. »
• La formation : Au-delà de la formation continue classique, l’enjeu est d’ouvrir les formations de base des professionnels de la santé. Une série de savoirs ne setrouvent pas dans les formations initiales. « Il y a un vrai problème de boîte à outils pour les métiers de la santé. Tout ce qui relève de l’actioncollective, de la relation au patient, mais aussi des approches sociologique, anthropologique, de la philosophie des sciences n’est pas pris en compte. » L’idée est donc de mettre enplace une faculté ouverte qui diffuse les témoignages, les enseignements issus de la pratique quotidienne des maisons médicales aux professionnels de la santé et dusocial. « L’enjeu, explique Jacques Morel, est d’investir l’éducation permanente en développant un travail avec ceux qui sont dans les politiques sociales et de santé.»
• Décloisonner les institutions et développer une politique de santé globale. L’idée est ici de sortir d’une « politique de soins de santé ».Pour ce faire, il faut développer un dispositif d’observation sociosanitaire et « activer la conférence interministérielle ». Et de citer l’exemple du Québec,où une loi impose d’évaluer l’impact en matière de santé de toute nouvelle législation, de la même manière qu’on évalue son impactbudgétaire.
• La participation citoyenne. « On est là face à un débat qui n’est pas simple, concède Jacques Morel. La difficulté, c’est de sortir des poncifs. Onveut revaloriser la participation de manière à revitaliser la démocratie participative, annuler ce « gap » entre la perception du citoyen et les représentations desmandataires politiques. » Ce qui passe par une sortie de la catégorisation d’usager et l’investissement d’une logique d’éducation permanente, en encourageant les usagers às’investir et à participer dans les structures de santé où ils peuvent s’exprimer. « Il existe une série de lieux susceptibles de produire dudébat, avance Jacques Morel. Par exemple, sensibiliser les patients à l’enjeu des élections mutualistes, que les mutuelles pratiquent la publicité qu’elles sont tenues deréaliser et cela pourrait déboucher sur une force d’expression potentielle. » Autre levier, « la revalorisation du syndicat comme cogestionnaire du système desanté ». Le fait également que les maisons médicales se trouvent à un endroit où les gens expriment leurs difficultés de santé. Elles se situentà l’interface du système de santé et du tissu communautaire. Le souci de proximité conduit à chercher des solutions dans l’environnement immédiat. Et enmême temps, les maisons médicales sont des portes d’entrée vers le système de santé secondaire (hôpitaux généralistes) et tertiaire(hôpitaux spécialisés). « Mais si on n’opère pas une redistribution de l’offre de soins, on va vers une fonctionnarisation de la santé de premièreligne, ou sa disparition pure et simple », prévient J. Morel. D’où l’enjeu de redonner un rôle central au généraliste dans le système de soins.Notamment en modifiant le mode de financement qui pervertit la relation au patient. « Quand un médecin rappelle un patient parce que son vaccin vient à échéance,c’est perçu comme une manière de toucher ses honoraires. Une logique marchande s’est installée et elle tend à pervertir l’objectif du traitement médical».
C’est (un peu) le sens des propos tenus par le ministre Demotte, en charge de la Santé au niveau fédéral, rapportés par Le Soir du 6 février.Malgré leur nécessité, les maisons médicales entraînent aussi des réactions négatives. « Il faut voir avec quel mépris les maisonsmédicales sont perçues dans certains milieux médicaux représentés à la Chambre ». Le ministre leur assure son soutien : « Cettelégislature veut revaloriser la médecine générale. Au centre de cette valorisation, le soutien aux pratiques de groupe. L’Inami étudie les modalités decréation d’un fonds visant à aider financièrement les médecins généralistes qui s’installent pour la première fois dans le cadred’une pratique individuelle ou de groupe. »
1. FMM, bd du Midi, 25/5 à 1000 Bruxelles – tél. : 02 514 40 14 – courriel : fmmcs@fmm.be