Les CPAS ont fêté leurs 30 ans ce 1er mars. Pour marquer cet anniversaire, une journée spéciale a été organisée afin de mettre enlumière la richesse du travail réalisé par le public des CPAS en matière de participation sociale et culturelle, à travers des dizaines de spectacles, concerts,pièces de théâtre, expositions, reportages, etc. réalisés par les usagers des CPAS, en collaboration avec les asbl Culture & Démocratie / Kunst &Democratie. Mais si d’aucuns au cours de cette journée ont reconnu le travail essentiel qu’abattent les acteurs de l’intégration sociale et la nécessitéde les fêter, d’autres ont aussi tenu à rappeler que le revenu d’intégration actuel ne permet toujours pas de vivre conformément à la dignitéhumaine !
À côté de la partie festive qui a réuni plus de 2000 personnes, place était également faite à la réflexion et aux débats. Pourl’occasion, anciens, et actuel, ministres et secrétaire d’État en charge de la politique sociale étaient réunis : Miet Smet, Jan Peeters, Laurette Onkelinx,Johan Vande Lanotte, et l’actuel ministre de l’Intégration sociale, Christian Dupont1. Tous étaient d’accord sur un point : les centres publics d’aidesociale doivent se donner les moyens de devenir une sorte de » guichet social unique » au niveau local, ce qui leur permettrait de jouer un rôle plus préventif. Les participants audébat ont par ailleurs approuvé l’idée d’inscrire dans la prochaine déclaration gouvernementale qu’on ne peut mener une politique de lutte contre la pauvreté sanstenir compte du point de vue des personnes en situation de pauvreté et de leurs représentants.
Ils ont également regretté les grosses lacunes du Fonds de créances alimentaires dont le fonctionnement devrait selon eux être complètement revu. Quant àsavoir si ce service devrait revenir dans le giron des CPAS comme c’était le cas jusqu’au 1er janvier 2004, seule Miet Smet semblait en faire le vœu…
Enfin, à la question de l’individualisation des droits, certains intervenants ont souhaité que celle-ci se concrétise « avant 2036… ».
De son côté, Christian Dupont en fin de mandat, en a profité pour établir un bilan de sa politique à la tête de l’Intégration sociale : «Des mesures ont été prises, certes toujours insuffisantes, mais qui tentent néanmoins de réduire les inégalités : majoration de 10 % du revenud’intégration, liaison au bien-être des allocations sociales les plus basses, fonds gaz et électricité, fonds mazout, accès public à Internet, créationde logements d’urgence, lutte contre le surendettement, accès aux soins de santé… »
L’après-midi, cinq tables rondes étaient organisées sur les thèmes de l’accueil, de la visite à domicile, de l’audition, de la participation etde l’intégration socioprofessionnelle, toutes illustrées par un petit reportage introductif réalisé sur le terrain.
Un goût d’amertume
Tandis que dans le Brussels Event Brewery à Molenbeek où se déroulaient les festivités, l’humeur était plutôt joyeuse, d’autres, plus graves,ont tenu en ce jour anniversaire à rappeler quelques réalités. Ainsi les verts ont tenu à réagir par voie de communiqué2 : « S’il fautrendre hommage à la vision solidaire qui a inspiré la création des CPAS, la « fête » a un goût « d’amertume » quand on ose regarder la face cachée de notreprospère société belge : 15 % de Belges flirtent avec le seuil de pauvreté ». Les écologistes reprochent à la coalition en place d’avoirété trop frileuse dans son effort de rattrapage des allocations au bien-être « dont l’essentiel n’est d’ailleurs que promesses ».
« À l’heure des bilans, l’effort du gouvernement violet n’a pas été à la hauteur : 2 % d’augmentation en 4 ans, c’est maigre ; 4 % de promesses pour le futur, c’est unpeu facile et trèsinsuffisant pour permettre de véritablement vivre décemment », disent les verts. « Les 644 euros mensuellement accordés à un(e)isolé(e) ne permettent en rien de boucler un budget et obligent les intéressés à démarcher pour obtenir colis alimentaires, aides en nature ou à se placerdans l’illégalité en travaillant ci et là. »
En conséquence, Écolo a déposé deux propositions de loi en cette fin de législature.
La première vise à augmenter le revenu minimum d’intégration au-dessus du seuil de pauvreté. Elle vise aussi à mettre fin à la catégorie « cohabitant « , qui pénalise la vie en famille ou l’entraide et » pousse à l’isolement, au mensonge ou à la fraude « .
La seconde proposition revendique une véritable solidarité fédérale et entre communes : à l’instar de ce que demandent les CPAS au sein de l’Union des Villes etCommunes des trois Régions du pays, Écolo souhaite une augmentation progressive de l’intervention de l’État fédéral jusqu’à 90 % du revenud’intégration sociale.
Passer de la commémoration à l’action
À l’occasion de cet anniversaire, le Collectif solidarité contre l’exclusion6, a tenu lui aussi à rappeler qu’au-delà de la commémoration,il fallait que le débat soit également ouvert sur les améliorations à apporter aux CPAS. Et le Collectif de rappeler qu’il a déposé, avecd’autres associations, un Mémorandum pour l’amélioration des CPAS et de l’aide sociale » sur la base duquel il mène une campagne de sensibilisation depuisseptembre 2006.
Dans ce cadre, le Collectif a transmis son mémorandum aux présidents de partis francophones et leur a plus particulièrement demandé de faire déposer despropositions de loi, décret et ordonnance pour :
1) porter le montant du revenu d’intégration au-dessus du seuil de pauvreté5,
2) aligner le montant octroyé aux cohabitants sur celui des isolés,
3) assurer, comme c’est le cas en Région flamande, l’ouverture au public des séances des conseils de CPAS (sauf pour les décisions sur les dossiers individuels).
Les réponses…
En date du 1er mars, le Collectif avait reçu réponse de tous les partis démocratiques. Les voici résumées :
À la première question, le CDH propose « de relier structurellement, automatiquement et intégralement le niveau des allocations sociales àl’évolution du bien-être afin d’éviter un décrochage du niveau de vie des allocataires sociaux par rapport à celui de l’ensemble de la populationactive » mais ne répond pas vraiment à la question posée. Le PS est favorable à la mesure : « Nous rejoignons votre combat et plaidons pour la poursuite del’augmentation des revenus des citoyens qui vivent sous le seuil de pauvreté. » Pas de chiffres avancés.
Ecolo est favorable au relèvement (800 euros pour un isolé et au moins 1600 euros pour un couple avec deux enfants), « cela correspond à placer les minima sociaux au-dessusdu seuil de pauvreté ». Le MR ne se prononce pas pour l’avenir sur le relèvement du RIS au-dessus du seuil de pauvreté.
Concernant le fait de supprimer la catégorie cohabitants et d’aligner le RIS de ceux-ci sur celui des isolés. Le CDH y est favorable, Ecolo et PS également, le MRs’y oppose : « L’individualisation des droits sociaux que vous réclamez me semble difficilement envisageable pour le seul RIS. (…) En conséquence, vouscomprendrez que le MR ne pourra soutenir des initiatives parlementaires visant à l’individualisation des droits sociaux qui seraient budgétairement irréalistes etentraîneraient un déficit des régimes de la sécurité sociale et d’assistance. »
Enfin, concernant l’ouverture au public des conseils des CPAS (hormis les questions individuelles), le CDH n’y est pas favorable : « En effet, les CPAS ont des missionsd’aide aux personnes tout à fait spécifiques qui nécessitent une large part d’indépendance et d’autonomie qui imposent le huis clos des décisions.En outre, vous n’êtes pas sans savoir que le Code de la démocratie locale a permis de réaliser de nombreuses avancées au niveau de la publicité dufonctionnement des CPAS notamment par une présentation en séance publique du conseil communal de leurs comptes et de leurs budgets. ». Ayant du mal à cernerl’argumentation du CDH, le Collectif a demandé à Joëlle Milquet de reconsidérer cette question.
Les verts sont quant à eux favorables à cette mesure et ont déjà déposé des propositions sur ce sujet en Région bruxelloise et en Régionwallonne. Le PS se dit prêt à s’associer à un texte légal érigeant ce principe (ndlr : ouverture démocratique des Conseils de l’aide sociale) enréalité. Le MR paraît favorable au principe de la publicité du débat des conseils des CPAS mais ne se prononce pas clairement sur le fait de savoir s’il estprêt à soutenir le dépôt de propositions parlementaires visant à assurer celle-ci en Wallonie et à Bruxelles, comme c’est déjà le cas enFlandre.
Le Collectif interpellera également les partis néerlandophones et relancera le CDH et le MR pour obtenir des compléments de réponses à ses questions. Il inviteraen outre les partis qui ont déclaré être prêts à déposer des propositions de loi, de décret ou d’ordonnance, à passer de l’intentionà l’acte et du dépôt d’une proposition à sa mise à l’ordre du jour…
Pour mieux faire connaître la situation des CPAS et le contexte dans lequel ces revendications s’inscrivent, le Collectif solidarité contre l’exclusion et Yakoutaké ontégalement réalisé un court métrage vidéo (Un CPAS et le droit à la dignité humaine), diffusé ce 1er mars et dans lequel ilsont tenté de présenter le fonctionnement concret d’un CPAS, en l’occurrence celui de la commune d’Anderlecht, en donnant la parole aux différents acteurs concernés par sonfonctionnement (usagers, comité de défense, président, assistants sociaux). Le documentaire peut être téléchargé sur le site : http://www.asbl-csce.be ou obtenu sur demande sous forme de DVD6.
« 30 ans d’hypocrisie »…
Autre réaction, de la part d’Anne Herscovici, récente « ex-présidente » du CPAS d’Ixelles qui s’est fendue d’une carte blanche dans lejournal Le Soir du 28 février. Intitulée « Les 30 ans des CPAS, assez d’hypocrisie ! », elle y fustige entre autres l’affiche qui conviait à lafête des 30 ans (ndlr : un homme, une femme, jeunes et joyeux, tête contre tête, un accordéon complice). « (…) s’il est donc juste de saluer l’actiondes CPAS, il est pour le moins indécent de laisser croire qu’elle est productrice de joie de vivre. La vie quotidienne de ceux qui s’adressent aux CPAS est surtout lourde de stresset d’humiliation. Ils cherchent moins à danser sur un air d’accordéon qu’à sortir des rouages compliqués et souvent incompréhensibles, del’aide sociale. »
Une ex-présidente pleine de colère au terme de son mandat : « Six années au bout desquelles je veux redire ma colère face à l’hypocrisie, auxinjonctions contradictoires faites aux usagers, face aussi aux missions impossibles dont on charge nos travailleurs sociaux. » Et plus loin encore : « Les CPAS les plus dynamiques, lesplus respectueux des personnes, ne peuvent seuls, sans changements politiques majeurs à d’autres niveaux de compétence, assurer l’émancipation de leurs publics.Rendre hommage à l’Abbé Pierre l’œil humide est plus facile que de faire des choix politiques réellement émancipateurs : investir dansl’enseignement, la formation et le logement. Faire un énorme effort de création d’emplois publics et privés. En finir avec une politique qui condamne à une vieindigne des milliers de sans-papiers qui n’ont ni le droit de travailler ni celui de bénéficier d’une aide sociale. »
Le lendemain, le ministre de l’Intégration sociale répondait à Anne Herscovici, lui aussi dans une carte blanche dans le quotidien Le Soir3 : «(…) Contrairement aux affirmations de certains, ce n’est pas la pauvreté que l’on fête mais bien l’action sociale, avec la volonté de réaffirmer sa place dansl’agenda politique : c’est-à-dire la première. »
30 ans en très (très) bref…
Depuis leur nouvelle appellation en 1977, les CPAS se sont adaptés aux besoins sociaux, et leurs missions se sont élargies.
La mise en place des Centres publics d’aide sociale par la loi organique de 1976 rompt avec le concept d’assistance publique. Toute personne obtient alors le droit à mener une vie conformeà la dignité humaine, via l’aide médicale, psychologique, ou matérielle par le « minimex » instauré en 1974.
En 1991, les sans-domicile-fixe obtiennent le droit au minimex, en pouvant employer le CPAS comme adresse de référence. En 2002, la dénomination du CPAS change et devientcentre public d’ACTION sociale, afin d’intégrer la philosophie de l’Etat social actif. Le minimex devient le revenu d’intégration sociale, le bénéficiaire a droit àl’intégration dans la société.
Les CPAS assurent ou ont assuré également de nombreuses missions, comme les avances sur pension alimentaire4, les allocations chauffage, la médiation de dette,l’avance de garanties locatives, les nouvelles technologies…
1. Cabinet Dupont, rue de la Loi, 51 à 1040 Bruxelles – tél. : 02 790 57 11 – courriel :christian.dupont@p-o.be.
2. Communiqué de presse Ecolo disponible sur : www.ecolo.be
3. Carte blanche en ligne sur le site de Christian Dupont : www.christiandupont.be
4. Depuis le 1er janvier 2004, cette mission n’incombe plus aux CPAS. Et depuis ce 1er juin 2005, les demandes de paiement d’avances sur pensions alimentaires peuventêtre introduites au service fédéral des créances alimentaires (Secal), créé au sein du SPF Finances.
5. Les calculs des seuils de pauvreté ont été actualisés dans le cadre de l’enquête européenne EU-SILC 2005, menée en Belgique par le SFPÉconomie, qui a présenté ses résultats le 27 février 2007. Les seuils de pauvreté ainsi actualisés sont de 822 euros par mois pour une personneisolée et de 1726 par mois pour un ménage composé de deux adultes et deux enfants.
6. CSCE – contact : Yves Martens, animateur – courriel : yves@asbl-csce.be – GSM : 0475 83 48 04.
Texte du mémorandum, lettres aux présidents de parti, vidéo, …, voir le site du CSCE : www.asbl-csce.be