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Regard critique · Justice sociale

Le chiffre

Les asbl à l’agonie

36.000, c’est le nombre d’associations qui ont été radiées de la Banque-Carrefour des entreprises en 2024. Cela représente près d’un quart des associations actives en Belgique.

Jennifer Lejoly 25-03-2025 Alter Échos n° 522
(c) Jean Housen, CC BY-SA 4.0 , via Wikimedia Commons

Ces radiations massives résultent du non-respect des obligations liées au registre UBO (Ultimate Beneficial Owners). Cette contrainte aux lourdes conséquences s’ajoute à de nombreuses démarches administratives déjà imposées aux associations. Entre respect des formalités et liberté associative, ces organisations peinent à trouver un équilibre et sont de plus en plus découragées. Ce registre UBO existe depuis 2018, mais c’est seulement depuis décembre 2023 qu’il peut mettre fin aux activités d’une association, en radiant l’entité qui ne respecte pas ses formalités. Selon Florence Angelici, porte-parole du SPF Finances, l’objectif de ce registre est simple: «Augmenter la transparence et la crédibilité des entreprises en mettant leurs informations à jour et en identifiant clairement leurs bénéficiaires.»

Long et laborieux

Cette traçabilité permet ainsi de lutter contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Mais cette mesure, pensée pour combattre les dérives financières, n’est pas sans conséquences pour les petites structures. Nathalie Mathieu, directrice de l’asbl Associatif financier, qui aide à la création et à la gestion d’association, déplore que les démarches administratives augmentent et se complexifient sans cesse: «Il y avait déjà deux registres: le Moniteur’ et la Banque-Carrefour des entreprises. Avec UBO en plus, ces trois registres reprennent les mêmes informations et doivent être remplis indépendamment chaque fois. En plus, le site est vraiment mal fichu! Même avec la meilleure volonté du monde, c’est impossible de s’y retrouver seul», regrette-t-elle.

Ce registre UBO existe depuis 2018, mais c’est seulement depuis décembre 2023 qu’il peut mettre fin aux activités d’une association, en radiant l’entité qui ne respecte pas ses formalités.

Pour Sébastien Witmeur, secrétaire de l’association belge pour le droit d’auteur, qui a été radiée l’été dernier, ce registre marque le début d’un long et laborieux travail pour annuler sa radiation. «On a en effet énormément dû chipoter avec UBO. Pour se mettre en ordre, il fallait retrouver la preuve de la première nomination de chaque administrateur en remontant jusque dans les années 90. C’était impossible de retrouver ces preuves parce que nos archives n’étaient disponibles que jusqu’à 2003. Cette recherche de document nous a pris des semaines.» Pour l’asbl, ce registre est le registre de trop: «Je comprends qu’on doive être à jour, mais corriger tout ce qui a été fait par le passé, je n’en vois pas l’intérêt. C’est en dehors de notre travail, il faut un peu de régulation, mais là quel est le but? On fait quelques conférences sur les droits d’auteur, je ne vois pas où il y a du terrorisme ou du blanchiment là-dedans», s’indigne Sébastien Witmeur.

Manque de communication

Non seulement la pertinence du registre UBO est remise en cause, mais le manque de communication sur la nécessité de s’y plier est également pointé du doigt. C’est ce que relève Nathalie Mathieu avec désolation: «Les asbl n’ont pas vu passer l’info qu’elles devaient remplir ce registre. Le SPF Finances a donc envoyé des menaces d’amendes à hauteur de 500 € par administrateur, puis, dans une deuxième vague, le SPF a décidé de radier administrativement les associations.» Depuis 2021, ce sont près de 18.000 amendes qui ont été envoyées par le SPF Finances et pas moins de 70.000 rappels, ce qui représente un montant de 8,5 millions d’euros qui n’a pas été entièrement recouvert à ce jour.

Lorsque les asbl n’étaient pas prévenues par le SPF Finances, ce sont les banques elles-mêmes qui les ont informées de leur non-conformité. Cette pression exercée par les institutions financières crée un sentiment d’abandon, où les asbl se retrouvent sans accompagnement, livrées à elles-mêmes. C’est notamment le cas de l’association belge pour le droit d’auteur: «La banque nous a mis la pression, en nous indiquant que si on n’était pas en ordre dans deux mois, elle fermait les comptes. On n’avait pourtant pas été prévenu auparavant», reproche Sébastien Witmeur. La fermeture d’un compte entraîne généralement un parcours semé d’embûches pour trouver une banque prête à accueillir une asbl. Nathalie Mathieu craint de surcroît que les asbl n’intéressent peu les institutions bancaires parce que ce sont des structures qui ne leur rapportent pas beaucoup d’argent. «Les banques demandent des plans financiers sur des années, elles font traîner pendant des semaines les demandes pour l’ouverture d’un compte… Au final, elles mettent des bâtons dans les roues des associations», renchérit-elle.

Frontière symbolique

Les asbl représentent 75% de toutes les entités radiées pour non-conformité au registre UBO, d’après les chiffres fournis par le SPF Finances. Pour Geoffroy Carly, vice-président de la FESEFA, la Fédération des employeurs des secteurs de l’éducation permanente et de la formation des adultes, si les asbl sont dans la ligne de mire, cela peut s’expliquer par le cadre juridique: «Comme créer une asbl est simple, on y retrouve tout et n’importe quoi. Il reste évidemment essentiel que des initiatives citoyennes puissent se créer facilement, mais il y a une volonté de nettoyer le secteur avec ces réglementations.» Selon l’associatif financier, tous les milieux associatifs ne sont pas impactés de la même manière. Les associations avec des enjeux géopolitiques, tels que les asbl pour la Palestine et la RDC, par exemple, seraient particulièrement visées par ce registre. Le SPF Finances confirme que les asbl humanitaires comportent un risque supplémentaire dans le financement du terrorisme «notamment à travers des donateurs souvent animés d’intentions humanitaires, mais dont les fonds peuvent être détournés», précise Florence Angelici.

Lorsque les asbl n’étaient pas prévenues par le SPF Finances, ce sont les banques elles-mêmes qui les ont informées de leur non-conformité. Cette pression exercée par les institutions financières crée un sentiment d’abandon, où les asbl se retrouvent sans accompagnement, livrées à elles-mêmes.

Bien que le secteur de l’humanitaire semble être dans le collimateur, depuis l’entrée en vigueur en 2019 du code des sociétés et associations, qui considère les asbl comme des entreprises, toutes les asbl sont concernées par ce registre. «C’est une frontière symbolique qui a été brisée», déclare Geoffroy Carly. Depuis cette date, les asbl se voient imposer des fonctionnements qui viennent des entreprises et qui ne sont donc pas au service des logiques associatives. Ce même code qui régit l’ensemble des structures entraînent une domination des entreprises qui finit par étouffer les asbl. Selon lui, il serait pertinent de différencier les asbl soumises à des agréments et tenues de rendre des comptes, les grandes structures et les petites associations, souvent portées par des bénévoles et engagées dans des projets citoyens. Cette proposition de révision du périmètre de la loi serait une première étape pour permettre de garantir une liberté associative et une certaine autonomie face aux exigences administratives.

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