Le 4 février dernier se déroulait «Focus sur les couilles», premier colloque belge sur la contraception masculine, suivi d’un salon sur ce qui se fait en la matière. Sens en éveil, on s’est baladé entre les stands. Et on y a rencontré des femmes lassées d’avaler seules la pilule et des hommes qui en ont autant dans la tête que dans le caleçon.
Si tous les projecteurs étaient mis sur les «couilles» lors de ce premier colloque grand public consacré à la contraception dite masculine, on ne peut pas dire que la salle du théâtre Molière dégageait beaucoup de testostérone… À vue d’œil: 80% de femmes assistaient à l’événement.
«Tu vois, les hommes s’en moquent de la contraception… C’est toujours pour notre pomme!», m’apprêtais-je à dire à ma voisine. Mais c’était avant de me rappeler que ce public reflétait la répartition dans les métiers du social, de l’éducation et de la santé, majoritairement féminins. Et surtout avant d’observer un renversement de situation sur les coups des 17 h rétablissant une parité tant espérée.
Les organisateurs de l’événement – l’asbl O’Yes (ancien Sida’SOS) – ont eu la bonne idée de poursuivre les tables rondes de l’après-midi par des stands d’information et des ateliers présentant ce qui existe de concret en matière de contraception masculine. Du «concret», le mot clé de cet afterwork atypique. «Concrètement, qu’est-ce qui existe?», «Concrètement, comment ça marche?», sont les questions qu’on a le plus entendues lors de notre déambulation. Question public, sans statistiques précises, l’âge moyen ne devait guère dépasser les 35 ans – les militants de la première heure derrière les stands faisant légèrement monter la moyenne. Aucun «boomer» en vue… Pourtant «public-cible» de la vasectomie. Mais de vasectomie, seul moyen de contraception, avec le préservatif, accessibles aux hommes aujourd’hui en Belgique, il n’en était plus vraiment question lors de cette seconde partie de journée. Ici, la place est faite aux modes «alternatifs», et encore très marginaux, de contraception.
Les pirates de la contraception
Première halte à ce qui ressemble à un atelier de couture. Petites chaussettes colorées sur la table, bandes élastiques bigarrées et deux Singer qui piquent et repiquent. «L’idéal est de trouver des chaussettes de bébé en jersey taille 24», entends-je, suscitant ma curiosité immédiate. C’est Christian qui parle, quinqua au pull marin. Il fait partie du collectif «Thomas Boulou», tout droit venu de Quimper. Thomas, de Tomma, en breton, signifiant chauffer. Et boulou, on vous laisser deviner. Ces gaillards fabriquent des slips chauffants, des «boulocho» dans leur jargon. Le principe: un slip composé d’un anneau en tissu dans lequel glisser le sexe. Il permet de remonter les testicules, de les plaquer contre le corps, engendrant une hausse de la température qui freine la production de spermatozoïdes. «Il faut le porter 15 heures par jour et le procédé est efficace au bout de trois mois. Ce qui se vérifie par la réalisation d’un spermogramme tous les trois mois. Ce procédé contraceptif est réversible», explique Christian aux jeunes hommes intéressés. Et de leur répéter, tout de même: «Fais gaffe, c’est pas toi qui prends le risque!» Des prototypes sont présentés sur la table. Des jockstraps (suspensoirs, en français), pour la plupart, qui laissent les fesses à l’air (et peuvent s’accommoder d’un boxer par-dessus). Le tout fabriqué en tissus de récup (et c’est ici que les chaussettes de bébé en jersey interviennent «parce que la taille et la matière sont pile-poil pour les anneaux») et selon les principes du Do It Yourself. Modèle star: un soutien-gorge en dentelles détourné en caleçon façon porte-jarretelles.
«Ça fait un an et demi qu’on a lancé cet atelier inspiré par les remonte-couilles toulousains créés dans les années septante. Il est ouvert aux hommes et aux couples. Au départ, on avait une personne tous les mois, maintenant, on est bien à deux-trois personnes par atelier», explique notre pirate de la contraception, tout en restant concentré sur sa machine à coudre. Décidément, les Boulou troublent le genre.
Interroger la masculinité
Thomas, trentenaire, attend le slip que Christian est en train de lui confectionner. «Je me pose depuis deux ans des questions sur le sujet et j’ai envie de soulager ma compagne qui prend des hormones», explique-t-il, ravi d’avoir trouvé enfin des informations. Et l’objet tant convoité. Mais que va-t-il en faire? «Maintenant que je peux le tester et que j’en ai un, je vais faire une vidéo Facebook et diffuser l’information à mes amis.»
«Notre idée, avec ce collectif, est de défendre l’autonomie, le partage de la contraception. Il est temps que les garçons prennent leurs responsabilités», poursuit Christian. Mais leur démarche dépasse la question contraceptive. «C’est aussi l’occasion de parler de nos comportements, de nos irresponsabilités, dans la vie affective et sexuelle en général. On organise par exemple des ateliers sur la violence des hommes. On remet en question notre masculinité.»
Quentin, infirmier dans un centre de planning, a lui aussi commandé son slip chauffant. «Je vais l’utiliser dans mon travail. Je trouve ça intéressant de montrer qu’il existe un possible. Dans l’EVRAS (éducation à la vie relationnelle affective et sexuelle, NDLR), tu as soit la contraception mécanique, soit l’hormonale… Et c’est toujours très féminin. Ici, on voit autre chose… Et c’est aussi un moyen d’interroger la masculinité hégémonique.» Ces messieurs semblent avoir tendu l’oreille aux féministes. C’est une bonne nouvelle.
Haro sur les hormones
Un peu plus loin, Maxime Labrit ne craint pas les crampes aux zygomatiques. Cet infirmier libéral a toujours le même enthousiasme que durant son speech de l’après-midi sur la scène du théâtre. Son truc à lui, c’est l’anneau pénien thermique. Qui visiblement ne lui réchauffe pas que les bijoux puisque l’homme se balade pieds nus dans un lieu plutôt glacial… Il a développé un modèle en silicone, l’a fait breveter et le vend sur place (37 euros). Il en fait la démo, sur un pénis violet en caoutchouc.
«J’avais envie de me contracepter, d’avoir un autre choix que le préservatif ou la ‘vasec’. Et de trouver des méthodes naturelles contre le corps capitalisé», explique cet altermondialiste du slip. Car la contraception dite masculine, telle qu’elle est défendue par tous les invités, est aussi anticapitaliste et écolo. Les ateliers «contraception mutualisée» pleins à craquer à l’étage abordent d’ailleurs les contraceptifs sans hormones.
«Mais tu fais l’amour avec?», lui demande une jeune femme très intéressée par le dispositif «pour son copain qui n’a pas pu venir.» «Tu peux le garder en sex-toy», répond, très chill, Maxime. Une dame, la soixantaine, regarde attentivement les anneaux disposés sur la table. «J’espère qu’il y a plusieurs tailles, mon fils ne saura jamais entrer là-dedans!», lâche-t-elle dans un éclat de rire.
La porte de la cabine d’essayage s’ouvre. Julien en ressort les joues un peu rougies. Convaincu? «Je garderai les préservatifs pour les partenaires pas stables. Si je suis pas en couple, je porterai pas ce truc.» Une amie qui l’accompagne s’interroge: «La contraception, c’est une charge, oui. Mais aussi une liberté! On se protège des MST avec le préservatif mais je double aussi avec la pilule parce que c’est quand même les femmes qui tombent enceintes!» Une jeune femme à ses côtés opine du chef: «Faut aussi penser aux risques que l’on court si on n’est plus contraceptée, et à la liberté qu’on peut perdre, si on a plusieurs partenaires par exemple.» Elle glisse une idée à son compagnon: «On pourrait alterner stérilet puis anneau thermique?»
On ne combat pas les inégalités et on ne bouleverse pas les représentations millénaires en quelques coups d’aiguilles. Mais l’idée fait son chemin, des ateliers de couture du Finistère aux plannings familiaux de Bruxelles… Et ce soir, c’est certain, les langues se sont déliées. Et la virilité s’est pris quelques coups (de boule).