Quelque 22.000 demandes d’asile ont été enregistrées depuis le début de l’année. En 2010, la Belgique avait accueilli 20.000 demandes. Mais la spécificité de cette «crise» de l’asile, c’est moins le nombre de nouveaux arrivants que leur profil. La toute grande majorité d’entre eux obtiendra le statut de réfugié, et l’accès au logement et à l’insertion professionnelle, sociale sera un défi majeur pour les associations comme pour les pouvoirs publics.
Les images sont restées dans la mémoire de la plupart d’entre nous. Ce sont celles de ces demandeurs d’asile dormant dans la rue, dans les gares, dans des casernes, des centres de vacances ouverts en urgence par le gouvernement de l’époque. C’était «la» crise de l’accueil en 2010. L’agence fédérale pour l’asile, Fedasil, n’a pas pu donner une place d’accueil à plus de six mille candidats réfugiés pendant la durée de l’examen de la demande d’asile.
Ce n’est pas tout à fait le même scénario qui se joue aujourd’hui. Cette fois, l’afflux en quelques semaines a été tellement important que l’Office des étrangers n’a pas pu (ou plutôt pas voulu) dépasser un certain quota d’inscriptions et c’est donc le «préaccueil» qui a posé problème. Les files se sont allongées devant l’Office et non plus devant Fedasil. Le camp dans le parc Maximilien ouvert par des bénévoles a montré de manière spectaculaire l’absence de gestion de cet afflux de réfugiés par le gouvernement fédéral. Aujourd’hui, l’agence fédérale de l’asile, Fedasil, arrive à «caser» les demandeurs d’asile dans ses centres et ceux des ONG partenaires. Mais que va-t-il se passer après? Quand ces derniers auront obtenu le statut de réfugié et devront quitter les structures d’accueil pour trouver un «vrai» logement dans le marché locatif privé ou public?
Accompagner ces réfugiés, les aider à trouver un logement, un travail, à faire venir leur famille, c’est la mission que s’est donnée l’asbl Convivial qui se définit comme un «mouvement d’insertion des réfugiés». Le logement, c’est la première étape, indispensable pour obtenir l’aide sociale.
«Nous recevons en moyenne deux mille réfugiés par an, explique Bruno Gilain, directeur de Convivial et la moitié d’entre eux viennent pour une demande de logement. Nous les mettons en contact avec les propriétaires et fournissons aussi une aide matérielle, comme des meubles, des draps… À la sortie du Centre, les réfugiés n’ont pas les moyens financiers et matériels de s’installer.» Trouver un logement pour un réfugié reste très difficile, poursuit Bruno Gilain. Bien plus encore qu’à l’égard d’un sans-abri, la méfiance des propriétaires est énorme. «Nous avons toujours plus de demandes que d’offres. Globalement, chaque année nous arrivons à reloger 300 personnes mais nous restons avec une bonne centaine de réfugiés que nous n’avons pas pu aider.»
Après l’accès au logement et bien avant celle de l’insertion professionnelle vient l’étape du regroupement familial. Retrouver sa famille, la faire venir en Belgique n’est pas seulement une priorité sur le plan humain pour le réfugié. Elle l’est aussi d’un point de vue légal puisque le réfugié doit accomplir cette démarche dans l’année de la reconnaissance de sa demande d’asile (lire ci-contre). C’est une dynamique administrative très complexe à gérer qui demande un accompagnement important de la part des associations de première ligne comme Convivial, Caritas, la Croix-Rouge (Rode Kruis) ou plus spécialisées comme le Comité belge d’aide aux réfugiés (CBAR).
«Tout l’argent va au parcours d’intégration»
Le problème, c’est que ces associations sont à la fois confrontées à un public bien plus nombreux qu’auparavant… et à une perte importante de leurs subsides. La faute à la disparition des fonds européens pour les réfugiés qui finançaient en grande partie les interventions de Convivial comme du CBAR. «Nous avons perdu 400.000 euros pour 2016 pour l’installation des réfugiés, explique Bruno Gilain, et 120.000 euros pour leur guidance socioprofessionnelle. Résultat: nous avons dû donner une dizaine de préavis à notre équipe.» Au CBAR, la situation est plus catastrophique encore. Le CBAR s’est spécialisé dans l’aide au regroupement familial des réfugiés, une démarche bien plus difficile que pour les migrants «ordinaires» puisqu’il s’agit de faire venir des personnes vivant dans des pays en conflit ou parquées dans les camps de réfugiés de l’ONU. «Nous n’avons plus aucun financement pour 2016, constate Charlotte van der Haert, directrice du CBAR. Plus de subventions du Fonds européen, plus rien non plus du FIPI (Fonds d’impulsion pour la politique des immigrés) qui a été régionalisé en 2014. Dans ce transfert aux Régions, le regroupement familial, l’aide juridique aux réfugiés sont passés à la trappe. Tout l’argent va au parcours d’intégration», constate Charlotte van der Haert. Les associations, comme Convivial et le CBAR, ont bien tenté de plaider leur cause auprès des pouvoirs politiques, au fédéral comme aux Régions «mais le regroupement familial, c’est un droit plutôt ‘mal vu’ politiquement. Personne n’a envie de bouger».
Les conséquences? Elles sont catastrophiques pour la survie du CBAR mais Charlotte van der Haert craint aussi que, faute d’obtenir la possibilité de venir légalement en Belgique, les femmes et les enfants des réfugiés restés au pays tentent à leur tour de faire la dangereuse traversée vers l’Europe. «Dans tous les cas, les services de première ligne seront submergés par les demandes et les difficultés», annonce la directrice du CBAR.
Bien vu. Convival a déjà annoncé qu’elle jetait l’éponge. «Faute de moyens, nous n’avons plus personne pour faire l’accompagnement au regroupement familial, explique Bruno Gilain. Nous devons faire des choix. Nous allons assurer l’accompagnement global, professionnel des réfugiés. Nous le faisions déjà mais nous allons nous focaliser sur cette tâche.» Et l’accompagnement au logement? Il fera aussi les frais de cette restructuration. «Nous n’avons plus qu’une personne pour la partie recherche des logements. On l’arrête.»
Le Ciré (Coordination et initiatives pour réfugiés et étrangers) s’est ému de cette situation. «Le gouvernement a programmé la disparition des associations spécialisées qui accompagnaient activement les réfugiés reconnus dans leur recherche de logement sur le marché privé et dans les divers aspects de leur intégration», constate Malou Gay, codirectrice du Ciré. «Ces associations sont toutes en instance de fermeture ou de forte restructuration. Elles jouent pourtant un rôle essentiel et complémentaire à l’action des CPAS pour prendre en compte les vulnérabilités propres aux réfugiés.»
Une crise de l’accueil à la puissance dix?
De fait, réforme de l’État oblige, le gouvernement fédéral rejette toute la responsabilité du relogement et de l’insertion socioprofessionnelle des réfugiés sur les Régions et les CPAS. «Les CPAS ne pourront pas faire face, prédit Bruno Gilain. Nous allons droit dans le mur, vers une crise de l’accueil à la puissance dix.» Pourquoi? La toute grande majorité des arrivants actuels obtiendra le statut de réfugié, et ils l’obtiendront même très rapidement, en deux, trois semaine
s. Actuellement, ceux qui ont obtenu le statut ont deux mois pour quitter le centre d’accueil. Ils peuvent obtenir une prolongation s’ils prouvent chercher activement un logement. Depuis août 2015, Fedasil a durci ses exigences. Pour pouvoir prolonger le séjour, il faut désormais avoir un contrat de bail attestant que les réfugiés ont un logement mais qu’ils ne peuvent l’occuper immédiatement. En principe, Fedasil pourrait mettre les réfugiés à la porte «pour faire de la place» mais, à deux mois de l’hiver, il est probable que les familles au moins pourront rester dans les centres «en attendant». Ce qui bloquera l’accès aux nouveaux arrivants.
«Les CPAS devront faire en très peu de temps ce que nous avons mis des années à construire: un réseau de logements d’accueil individuels, constate Bruno Gilain. C’était l’expertise d’associations comme la nôtre.» «Ce sera un défi considérable pour les CPAS», ajoute Malou Gay. Et pas seulement en raison des problèmes de logement. «Les CPAS vont devoir accompagner vers l’intégration un nombre considérable de réfugiés dont une majorité ne parlent ni français ni néerlandais et dont les vulnérabilités propres à l’exil exigent une approche personnalisée et qualitative.»
Les fédérations des CPAS ont déjà dit leur inquiétude et, du côté des Régions, on semble conscient du problème. À Bruxelles en tout cas. La ministre bruxelloise du Logement Céline Fremault (CDH) a reçu les associations spécialisées dans l’accompagnement des réfugiés et leur a promis un appui accru en frais de fonctionnement pour compenser la forte diminution de leur budget à la suite de la régionalisation du FIPI. «Ce sera déposé très prochainement au gouvernement bruxellois», assure la ministre. Du côté wallon, la communication est plus ambiguë. Le gouvernement wallon a créé une «task force» pour l’accueil des réfugiés dont le ministre-président Paul Magnette présente ainsi la philosophie: les réfugiés sont des Wallons comme les autres, ce qui exclut a priori toute intervention spécifique à leur égard. «Il n’y aura pas, a-t-il déclaré devant le parlement wallon le 23 septembre, de politique spécifique de logement pour les réfugiés, il n’y aura pas de politique spécifique d’allocations familiales, d’insertion socioprofessionnelle. (…) Il n’y aura de politique spécifique que pour l’apprentissage du français. Pour le reste, ils deviendront Wallons et auront donc les mêmes droits que tout le monde.»
Des Wallons comme les autres, la formule est belle mais masque sans doute l’absence de projets concrets dans ce domaine. Les Régions se sentent démunies, analyse Bruno Gilain, et le morcellement des compétences n’arrange rien. Faut-il compter sur les mobilisations citoyennes pour aider les pouvoirs publics et les associations à assurer le défi du logement et de l’insertion? Pour Malou Gay, on ne remplace pas un accompagnement professionnel spécialisé par du bénévolat mais il faut, dit-elle, un travail complémentaire entre les communes, les associations, les initiatives citoyennes et surtout donner à chaque acteur les moyens d’agir.
Les droits des demandeurs d’asile et des réfugiés reconnus sont sensiblement différents. Bref rappel des dispositions en vigueur
Avant d’être enregistré par l’Office des étrangers. Les demandeurs d’asile présents sur notre territoire sont considérés comme des «illégaux». Ils n’ont droit qu’à l’aide médicale urgente. Le préaccueil comme il est organisé aujourd’hui n’est pas prévu dans nos dispositions sur l’asile.
Pendant l’examen de la demande d’asile. Le migrant reçoit une aide matérielle. Il réside dans un centre d’accueil où il est logé, nourri, aidé juridiquement. Dans ce centre, le demandeur d’asile reçoit 7,40 euros d’argent de poche par semaine. S’il est accueilli dans un logement individuel mis à sa disposition par une ONG ou un CPAS, l’allocation est de 60 euros par semaine pour les besoins quotidiens. Le demandeur d’asile peut obtenir un permis de travail C, valable un an et jusqu’au moment où une décision est prise sur son dossier.
Après la reconnaissance. Le statut donne droit au séjour illimité en Belgique. Le réfugié doit s’inscrire au registre des étrangers de la commune où il va habiter, ce qui suppose d’y trouver au préalable un logement. Le réfugié est considéré comme un sans-abri qui quitte la rue, cela lui donne droit à une allocation de relogement par le CPAS.
Pour travailler, aucun permis n’est nécessaire. Ce n’est pas le cas de celui qui n’a droit qu’à une protection subsidiaire et qui devra se contenter d’un permis de travail C.
Le réfugié a droit à l’aide sociale et à toutes les aides du CPAS mais son statut ne lui ouvre pas le droit aux prestations de la sécurité sociale (chômage, pension). Ces droits ne lui sont accessibles que s’il travaille et donc cotise à la Sécu.
Le réfugié a longtemps bénéficié de conditions privilégiées pour le regroupement familial. Ce n’est plus tout à fait le cas aujourd’hui. Des délais ont été ajoutés dans la loi de 2011. Le réfugié doit faire la demande de regroupement dans l’année qui suit sa reconnaissance de réfugié (on parle aujourd’hui de réduire ce délai à quatre mois). Sinon? Les règles prévues pour les étrangers non européens s’appliquent: il faut pouvoir prouver des moyens de subsistance stables, suffisants, réguliers, avoir un logement suffisant et une assurance-maladie pour toute la famille.
Cet article a été publié dans Alter Échos n°411 du 19 octobre 2015
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