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A. Hutchinson : « On a créé de grands ghettos de détresse dans le logement social. Je n’en veux plus ! »

Ce 29 janvier, Alter tenait, en collaboration avec la revue Bis du Conseil bruxellois de coordination sociopolitique (CBCS)1, une table ronde sur la thématique du logement.L’objectif était de faire l’état des lieux de la politique bruxelloise en la matière, principalement sur les acquis de la législature et sur les propositions en cours. Enmême temps, il s’agissait de répondre aux attentes du terrain, d’expliquer comment telle ou telle mesure pouvait répondre à des questions pratiques.

01-08-2005 Alter Échos n° 135

Ce 29 janvier, Alter tenait, en collaboration avec la revue Bis du Conseil bruxellois de coordination sociopolitique (CBCS)1, une table ronde sur la thématique du logement.L’objectif était de faire l’état des lieux de la politique bruxelloise en la matière, principalement sur les acquis de la législature et sur les propositions en cours. Enmême temps, il s’agissait de répondre aux attentes du terrain, d’expliquer comment telle ou telle mesure pouvait répondre à des questions pratiques.

Cette table ronde réunissait, d’une part, le secrétaire d’État bruxellois au Logement, Alain Hutchinson2 et, d’autre part, plus d’une dizaine d’associations deterrain concernées directement ou indirectement par la problématique. Afin de placer le décor, il a été demandé au secrétaire d’État de dresserun bilan de la situation et de présenter les axes de sa politique. Ensuite, les associations ont présenté les constats et questions issus de l’expérience du terrain. Sansêtre exhaustifs3, en voici quelques morceaux choisis.

D’entrée de jeu, Alain Hutchinson rappelle que « le logement reste fondamental pour l’individu, la famille. C’est un facteur important pour participer à la vie sociale. Mais,apparemment, cela n’a pas encore été intégré par tous les politiques. Par exemple, le logement n’est pas repris dans les politiques communautaires européennes. Demême, il n’y a pas d’échevinat du logement dans bon nombre de communes bruxelloises. Pourtant, Bruxelles connaît une véritable crise du logement. Le Bruxellois est devenu leplus pauvre des Belges, alors que les prix de l’immobilier bruxellois ne cessent d’augmenter, tant pour les loyers que pour les achats. Cela a pour effet que de plus en plus de Bruxellois –surtout parmi les revenus inférieurs – éprouvent des difficultés à trouver un logement décent. Certains propriétaires profitent de cette situation pourmettre sur le marché des logements insalubres. Actuellement, 50 % des Bruxellois rentrent dans les conditions pour accéder à un logement social. Mais, si 38 000 familles sontlogées dans le logement social (SISP), 22 000 sont toujours en attente. »

Augmenter l’offre de logements

En plus du Code du logement, Alain Hutchinson a rédigé le Plan pour l’avenir de ce secteur. « Il consiste à réinvestir dans le secteur du logement pour mettre 5000 à 7 000 logements nouveaux sur le marché locatif. Les moyens financiers font l’objet d’une négociation au sein du gouvernement. Ce plan rejoint une politique de dispersiondes logements sociaux pour favoriser la mixité sociale. Pour celle-ci, nous avons besoin d’un outil de préemption. Celui-ci a été voté au Conseil régional,il ne reste plus qu’à attendre les arrêtés d’application de Willem Draps. Un Comité interministériel du logement a également été mis en place,car le logement concerne des matières transversales, tels l’urbanisme (ex. : droit de préemption) ou les finances (ex : droits de succession). » Ce qui rejoint une despréoccupations d’Alain Willaert du CBCS et une des recommandations du dernier Rapport sur la pauvreté en Région bruxelloise.

A propos de l’allocation de loyer, Florence Goens, du Centre d’action sociale globale – Entr’Aide des travailleuses, se demande si cette mesure ne pourrait pas favoriser l’accès aulogement pour les personnes à faibles revenus. Pour le secrétaire d’État, cela fait partie du Plan d’avenir pour le logement. « C’est un moyen efficace d’élargir leparc de logements. Il existe actuellement deux propositions, qu’un projet d’ordonnance. Je suis d’accord pour l’instauration d’une allocation de loyer, mais à condition qu’il y ait uncontrôle des loyers. Pas question que cela devienne une allocation aux propriétaires. De plus, c’est une boîte de pandore budgétaire, parce que 50 % des Bruxelloisrépondent a priori, de par leurs revenus, aux conditions d’accès au logement social. » Prudence, donc…

Lutter contre l’insalubrité des logements

Parmi les chevaux de bataille d’Alain Hutchinson, relevons le respect de normes de qualité minimales de sécurité, salubrité et équipements pour les logements.« La première partie du Code du logement concerne surtout cette lutte contre l’insalubrité en imposant aux propriétaires publics et privés de respecter desrègles minimales, souligne-t-il. Des amendes allant de 3 000 à 25 000 euros, couplées à la fermeture du bâtiment seront prévues. Elles auront un effetpréventif et dissuasif. Les associations de défense des locataires et d’insertion par le logement pourront déposer plainte sans nécessairement avoir besoin de l’accordpréalable du locataire. »

Reste à savoir comment le contrôle sera mis en œuvre, questionne Florence Goens (CASG – Entr’Aide des travailleuses). A cela, le secrétaire d’Étatrétorque qu’un « service d’inspection régional sera créé au sein du ministère du Logement. Quinze inspecteurs y seront affectés. Ils utiliseront lesrelais extérieurs – des experts qui seront rémunérés. Néanmoins, vu que la Région compte 300 000 logements sur le marché locatif, il estimpossible de tout vérifier. Aussi, nous partons du principe que les propriétaires sont de « bons propriétaires ». Ils obtiendront donc un certificat deconformité sur la base d’une déclaration sur l’honneur, mais, parallèlement, il y aura la mise en place d’un contrôle social : les associations de locataires, leslocataires et autres pourront déposer plainte. Par ailleurs, j’ai choisi de donner la priorité à la rénovation de logements sociaux plutôt qu’à laconstruction de nouveaux logements. Il me semblait impensable de laisser vivre des gens dans des logements publics qui sont des taudis. D’où la priorité de remise à niveau deslogements sociaux (17 000 en quatre ans, soit la moitié). Ensuite, on construira : il n’y aura plus de grands ensembles ou d’extensions de grands ensembles (tours, barres…), maison dispersera le logement social dans la ville. »

Discrimination et liste noire

D’autres questions touchaient aux discriminations raciales concernant l’accès aux logements (Arlette Laurent, Aiguillages) ou encore à la liste noire des locataires mise sur pied parle Syndicat national des propriétaires (SNP) et la société Checkpoint (Olivier Hissette, Promofor). Pour Alain Hutchinson, « il est difficile de lutter contre ladiscrimination. Il faut des interventions énergiques. J’ai accordé une subvention au MRAX (Mouvement contre le racisme et la xénophobie) par rapport à cela. De plus, lanouvelle loi sur les discriminations a introduit un renversement de la charge de la preuve. Il existe aussi une forme de racisme de certains propriétaires-bailleurs qui sont d’origineimmigrée. »

Dans le même esprit, le secrétaire d’État dénonce la liste des locataires défaillants instaurée par le SNP. « Concernant cette liste noire, laCommission Vie Privée a été saisie : il a déclaré la liste illégale et souligné la nécessité de légiférer.Néanmoins, la liste est opérationnelle depuis le 15 janvier. Je me suis insurgé par conviction, car je déteste les fichages. Je suis contre les locataires qui ne payentpas leurs loyers, mais je suis aussi conscient de la situation que vivent certains d’entre eux (surendettement, insalubrité…). J’ai demandé au ministre de la Justice defaire usage de son droit d’injonction positive, et j’ai déposé plainte auprès du procureur du roi de Bruxelles. »

Un autre point de discrimination concerne la garantie locative : certains évoquent la difficulté de la constituer, d’autres parlent du refus de certains propriétaires d’avoirdes locataires inscrits au CPAS. Au premier point, le secrétaire d’État rétorque que le Fonds du logement a accordé 400 aides en 2001 et 600 en 2002. A propos du secondpoint, il signale que « certains CPAS ne jouent pas le jeu concernant la garantie locative, s’esquivant pour justifier leur refus de payer cette garantie. C’est désolant, car beaucoup deminimexés n’ont pas d’autre solution ».

Racisme, mixité sociale et cohésion sociale

Enfin, Florence Goens s’inquiète de la montée du racisme, que ce soit des « Belges » vis-à-vis des personnes d’origine étrangère ou de cesdernières vis-à-vis des premiers. « Cela vaut un débat à part entière, explique Alain Hutchinson. Tout ce qu’on a voulu éviter avec CharlesPicqué dans le premier PRD, on y arrive : les ghettos, le développement séparé dans la ville… Cette utopie de la ville mélangée, c’est sans doute unéchec. Mais l’intégration n’est pas un échec. Beaucoup de choses ont été positives dans les politiques d’intégration, et sans elles, aujourd’hui, on seraitdans un véritable marasme. Le débat a été amorcé dans le nouveau décret Cohabitation-Intégration. On va donc revoir l’ensemble du secteurlà-dessus. »

Il rappelle aussi que l’ordonnance de 1993 a réglementé l’accès au logement social et a donné la priorité d’accès aux plus pauvres. « Mais, du coup,on a créé des ghettos de pauvres. Ce n’est pas le cas dans toutes les cités, mais cela s’étend, y compris aux cités-jardins. »

Des politiques sociales ont été créées afin de lutter en faveur de l’intégration. Alain Hutchinson : « Une quarantaine de travailleurs sociaux sont misà la disposition des habitants au travers de la SASLS (Service d’accompagnement social aux locataires sociaux) pour lutter contre le surendettement, résoudre les problèmes devoisinage, etc. Des projets de cohésion sociale visent à retisser les liens entre les habitants. » Cela rencontre certaines attentes de Willy Janssens (président du CBCS)et de Nadine Permentier (Union chrétienne des pensionnés), lesquels revendiquent des lieux de rencontre et de convivialité.

Mais la tâche est rude, conclut le secrétaire d’État : « Le mélange des populations ne se décrète pas. On peut seulement positiver lesdifférences. » Et de renvoyer à la volonté politique de dispersion des logements sociaux dans la ville pour favoriser la mixité sociale.

Questions spécifiques : charges locatives, handicapés et kots étudiants

Une question lancinante est revenue à plusieurs reprises : le coût élevé des charges locatives dans les SISP. Willy Janssens (CBCS) insiste sur le respect des locataireslors du calcul de leurs charges (entretien, petites réparations, etc.), une représentante de Bruxelles Laïque cite l’exemple de locataires qui louent depuis 20 ans leurchaudière, etc. Alain Hutchinson reconnaît l’ampleur du problème : « Dans certaines sociétés de logement, des locataires payent des charges plusélevées que les loyers. Pour que les SISP ne fassent pas peser leur équilibre financier sur les charges, j’ai décidé de convertir en subsides d’investissementune partie des prêts à long terme que leur octroie la Région. En matière d’énergie, j’ai demandé qu’on réfléchisse lorsqu’on équipe deslogements (ex. : chauffe-eau solaire). Une fois l’investissement amorti, on peut procéder à un allégement des charges. En attendant une réflexion sur la fusion des SISP,j’ai demandé qu’on réfléchisse à grouper les commandes de mazout, de petits travaux, etc. Cela permettra de mieux contrôler les charges locatives. »

Pour sa part, André Petit (La Vague, ACSEH et ASAH) s’interroge sur l’accès au logement pour les handicapés moteurs. « De petites rampes et autres aménagementspour handicapés pourraient être faits, suggère-t-il. Mais il y a une grande résistance des directeurs des sociétés à aménager l’extérieurdes immeubles et l’intérieur des appartements. Par ailleurs, le handicapé lourd a besoin de beaucoup de matériel encombrant. Où le ranger ? Des locaux ou chambressupplémentaires devraient être prévus pour cela. L’Observatoire du logement pourrait être attentif à cela. » Si le secrétaire d’État se ditpréoccupé par le problème, il admet n’avoir pas beaucoup de réponses à apporter. « Il est vrai qu’il n’y a pas de vraies politiques à ce niveau,à part l’exemple de la Cité de l’Amitié. Je vois toutefois des possibilités d’intervention plus ponctuelles, au travers des missions que je peux déléguer auFonds du logement. »

Dans un autre registre, la difficulté à trouver des logements étudiants fait partie des préoccupations d’associations, comme Promofor ou Bruxelles laïque. Lesecrétaire d’État avoue : « Cela n’a pas fait partie jusqu’ici de mes priorités. Sans doute à tort… Certaines communes ont souvent surtaxé les kotsétudiants, en les assimilant à des secondes résidences. Cette taxe peut rendre ce bien inaccessible à certains. »

1. Centre Voltaire, avenue Voltaire 135 à 1030 Bruxelles, tél. : 02 511 89 59, fax : 02.243.04.67, e-mail : cbcs@euronet.be

2. Cabinet d’Alain Hutchinson, bd du Régent 21-23 (1er étage) à 1000 Bruxelles, tél. : 02 506 34 11, fax : 02 511 88 59.
3. BIS publiera l’intégralité de cette table ronde dans un dossier consacré au logement qui paraîtra en avril.

Baudouin Massart

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