Racines est un service atypique où l’on intervient après tout le monde. Une sorte de service de la dernière chance pour des jeunes que certains appellent « incasables ». Des adolescents qui traversent de grandes difficultés et naviguent d’institution en institution sans trouver l’aide adéquate. Pour leur venir en aide, Racines tente de les surprendre
Racines est un drôle de projet. « A la fois le projet le plus simple de tous et le plus difficile à expliquer », prévient Denis Rihoux, directeur du « Projet pédagogique particulier » La Pommeraie1 et initiateur de Racines.
Pas de prise en charge, pas vraiment d’activités, mais une rencontre, intense, entre un intervenant social et un jeune dit « incasable ». Un de ces jeunes, entre 13 et 18 ans, aux frontières des secteurs de la Santé mentale et de l’Aide à la jeunesse, pour lesquels beaucoup de choses ont déjà été tentées, sans jamais vraiment fonctionner.
Dès le premier jour, la surprise est totale. L’autorité mandante, souvent le directeur de l’Aide à la jeunesse, ou le juge de la jeunesse, qui a décidé de confier le jeune à Racines, explique la mesure à l’adolescent en quelques mots seulement. Puis celui-ci est emporté.
L’un des deux intervenants sociaux de Racines, Maxime Schobbens, choisit d’embarquer le jeune dans une balade de quinze kilomètres, entre Jemelle et son propre domicile. Une balade ponctuée de deux arrêts « initiatiques ». L’un dans une grotte, les yeux fermés, l’autre dans une chapelle… « mais sans vraiment de connotation religieuse », précise l’intervenant social.
Avouons que l’approche peut rendre méfiant, à première vue. Pour l’intervenant social, « cette façon de faire permet d’entrer dans le vif du sujet, de travailler la confiance ». Puis la route est longue, des choses se déposent. Les deux marcheurs se parlent… ou pas. Tout est ouvert. « C’est la porte d’entrée d’un travail de cinq mois », explique Maxime Schobbens. A l’arrivée de cette première étape, les jeunes sont invités à partager le repas de la famille Schobbens. Un couple, cinq enfants. De nombreux animaux, des champs de céréales. Du pain fait maison et… pas d’eau courante. Un autre monde pour la plupart des habitants de Belgique et pour ces adolescents de surcroît. « Pour nous, c’est normal de produire notre pain, de traire les chèvres, de faire du fromage, mais pour certains jeunes, c’est vraiment déconcertant. »
La Pommeraie est un Projet pédagogique particulier de l’Aide à la jeunesse situé à Faulx-les-Tombes. Il réunit cinq services sous son toit :
La Pom’, service d’hébergement collectif. Un centre d’accueil spécialisé pour des adolescents à grandes difficultés.
L’appui, service d’accompagnement post-institutionnel. L’objectif est de réinsérer le jeune dans sa famille ou en logement autonome après l’Institution publique de protection de la jeunesse (IPPJ) ou après un passage à La Pom’.
Un service externe de relance mobilisatrice. Projet de crise et d’urgence basé sur l’intervention rapide dans le milieu de vie du jeune.
Projet « pieds sur terre » : séjour de rupture humanitaire. L’idée : un séjour de trois mois au Bénin pour couper de leur milieu des jeunes en grande difficulté.
Racines… considéré désormais comme un séjour de rupture… mais en Belgique.
« Nous proposons une alternative »
Des rencontres à domicile, des marches de quinze kilomètres, des excursions dans une grotte les yeux fermés. Les méthodes iconoclastes de Racines ont de quoi étonner. Le directeur de La Pommeraie les assume complètement : « Ces jeunes ont connu des prises en charge successives avec des échecs successifs. Ici, nous proposons une alternative. » Pour lui, le travail des intervenants correspond à un retour aux racines du travail social : « Nous n’inventons rien, nous simplifions les choses. On retire les bureaux, les institutions. On fait le même boulot, mais sans l’apparat. »
Pour Benoît Richard, qui dirige plusieurs services de La Pommeraie, dont Racines, la philosophie du projet est très simple : « Il s’agit d’investir la relation avec le jeune, pas de chercher des solutions. L’intervenant n’est pas là pour remuer chez le jeune ce qui pose problème, mais pour parler de ce qu’il aime faire. » « Ces jeunes sont confrontés depuis des années à des éducateurs, des psychologues, des intervenants, et ils en ont marre, ajoute Denis Rihoux. Nous les prenons à 180° en les étonnant. En général, les jeunes vont aborder leurs problèmes dès le premier jour, dans la relation informelle. »
C’est la rencontre avec des jeunes « qui passaient à travers des dispositifs de santé mentale et d’Aide à la jeunesse », des jeunes « en marge des réponses institutionnelles », qui a donné l’idée à Denis Rihoux de créer ce projet, qui est, lui aussi, « en dehors du cadre ». L’objectif étant, face à l’attitude « très analytique » des institutions, de retrouver le goût des choses « extrêmement simples », comme une balade dans les bois, « une rencontre entre deux êtres humains autour d’une expérience qui les fait vibrer ». Car que faire de ces jeunes qui vont mal en institution ? « Leur proposer quelque chose de différent », répond Denis Rihoux. « Des rencontres autour de contextes particuliers, précise-t-il. Le plus possible en lien avec la nature, la terre, les animaux, l’effort physique. Des rencontres avec des gens qui ont choisi de vivre à la marge, pour montrer que c’est possible, mais avec un cadre. »
Un accueil inconditionnel
Racines est un projet sous-tendu par plusieurs principes fondamentaux. Denis Rihoux les détaille : « C’est un soutien au jeune purement individualisé. C’est aussi un projet inconditionnel. La seule condition c’est que d’autres solutions aient été tentées avant de faire appel à nous. Le troisième principe est celui de la surprise. Le mandant convoque le jeune à 8 h 30, fait un discours de cinq minutes et nous le présente. Ce qui amène au quatrième principe qui est celui de l’immédiateté. La rencontre est faite, puis ils partent. » Aux débuts du projet, il y a deux ans et demi, tous les jeunes partaient directement en randonnée, « on ne demandait rien sur le jeune à part sa pointure et son gabarit ».
Aujourd’hui, la première rencontre peut s’avérer plus variée, mais l’idée reste la même : en savoir le moins possible sur le jeune lorsque commence la mesure, pour avoir le moins possible d’a priori. Enfin, le dernier principe que met en avant Denis Rihoux combine travail sous contrainte et confidentialité. « Le jeune est contraint par une autorité mandante, explique le directeur de La Pommeraie. Mais dès le départ, on lui promet que ce qu’il nous dit restera entre nous, ce qui lève un poids énorme dans la relation d’aide. »
Face à ces jeunes souvent « englués » dans leurs problèmes, Racines propose des rencontres, régulières et atypiques, par exemple à la ferme de Vévy-Wéron, pendant cinq mois. Le dépaysement en Belgique.
Le but ultime, pour les inventeurs de ce projet, est simplement que les jeunes « se sentent mieux après. Qu’ils aient un peu plus d’aisance, de liberté », explique Denis Rihoux. Le tout, sans se faire d’illusions comme le raconte Benoît Richard : « Ces adolescents retourneront certainement dans des cases institutionnelles, mais nous leur aurons ouvert un peu le champ des possibles. »
1. La Pommeraie :
– adresse : rue de Gesves, 10 à 5340 Faulx-Les-Tombes
– tél. : 081 57 07 46
– courriel : info@pommeraie.be
Aller plus loin
Alter Echos n° 305 du 21.11.2010 Ferme de Vévy Wéron à Wépion : cultiver l’interdépendance