A Droixhe, un club de boxe connaît un franc succès auprès des jeunes. Ce club dépend de la police locale. Albert Syben, flic et ancien boxeur de renom, tient ce projetà lui tout seul. Reportage.
C’est le jour des inscriptions au club de boxe de Droixhe. Les sacs pendouillent et entament une drôle de danse. On entend les râles de Geoffrey Batello, champion belge deniveau international, qui cogne comme si sa vie en dépendait. Puis les jeunes prennent place, ils s’échauffent. Difficile de s’abstraire du rythme incessant des cordes à sauterqui heurtent le sol. Les apprentis sont concentrés, donnent des coups de poing dans le vide et suivent les instructions à la lettre.
C’est l’asbl Cocktail-Longdoz1 qui a créé ce club en 1993, à la suite des violentes échauffourées qui avaient éclaté à Droixhe,un quartier difficile de Liège. Le nom cocktail fut choisi pour insister sur le « mélange », et certainement pas pour évoquer les explosions« Molotov ».
« Avec la boxe, on cherche à canaliser les énergies, à impliquer les jeunes dans un projet, à faire respecter les règles. Si ces règles ne sont pasrespectées, le jeune fait l’objet d’une sanction immédiate », peut-on lire sur un imprimé. Ce ton offensif s’explique simplement : l’asbl a étécréée par la police locale, dans son volet « police de proximité. » C’est donc de prévention qu’il s’agit.
Au jour le jour, ce club est porté par un seul homme, Albert Syben, avec l’aide de bénévoles. Un policier, certes, mais surtout un ancien champion de boxe. Son palmarèsimpressionnant – six fois champion de Belgique, champion européen – inspire le respect.
Il règle les inscriptions, puis monte sur le ring, lève des poids et hurle à hue et à dia sur les jeunes en sueur, « tu dois bosser plus que les autres! ». On l’interrompt. Un jeune veut s’inscrire mais il n’a pas de papiers. « Papiers, pas de papiers, s’il veut faire de la boxe, il n’y a pas de problème, on ne metpersonne dehors », grogne-t-il. La vingtaine de jeunes, en plein défoulement collectif, a l’air de se soucier comme d’une guigne de l’appartenance policière de leurpygmalion. Gor, vingt-et-un ans, fréquente le club depuis quatre ans. Il souligne la qualité du club, reconnu en Belgique. Selon lui, ce qui en motive certains, c’estprécisément le fait qu’un policier donne cours. « Personne n’est bloqué par ça. » Andy pèse plus de cent kilos à seize ans. Il tapecomme une brute dans les punching-balls. Il rêve de « devenir comme Myke Tyson ». Il doit une fière chandelle à ce club de boxe qui, affirme-t-il,« l’a mis dans le droit chemin ». Grâce à la boxe, les bagarres et l’alcool, c’est terminé.
« Ici, on leur donne des objectifs »
L’origine policière du club est assez secondaire. C’est ce que relate Albert Syben : « Pour ceux qui veulent faire de la boxe, qu’un policier donne cours, ça nechange pas grand-chose. » La police, ils n’en parlent pas dans la salle. « Ça ne se justifie pas », tranche-t-il. Bien sûr, les premiers temps, celajasait à Droixhe, se souvient l’ex-champion : « Ceux qui venaient se faisaient parfois engueuler par leurs congénères, “t’es qu’une balance”, maisça n’empêche pas l’affluence. » Albert Syben rêve qu’il y ait plus de clubs comme le sien. « Il y aurait moins de jeunes dans les rues, affirme-t-il. C’estl’objectif qui guide quelqu’un. Ici, on leur donne des objectifs qui les motivent et de la discipline. Le plus tôt, c’est le mieux ; à vingt-cinq ans, c’est trop tard. » Cettevolonté d’inculquer de la discipline transpire du discours d’Albert Syben. Il se vante d’être « méchant, mais pas rancunier », d’être« dur ». Les jeunes sont lessivés après deux heures de boxe, c’est en soi un indicateur de succès pour le flic-boxeur. Mais attention, jamais Albert Sybenne fera dans l’occupationnel. C’est ce qu’il explique : « Il faut contrecarrer l’oisiveté. Je ne fais pas ça juste pour les occuper, je veux des résultats, desrésultats sportifs. »
Albert Syben ne se souvient pas d’avoir reçu des critiques du monde associatif local. Personne n’est venu le trouver pour lui dire que ce n’était pas le rôle de la policede faire de la prévention. Les remarques acerbes, ce sont plutôt ses collègues qui les lui adressent. « Des policiers me reprochent d’entraîner desétrangers, ce genre de choses », dit-il tout en ayant l’air de s’en moquer. Comme quoi, la police de proximité, à Droixhe, ne tient qu’à un fil…
1. Cocktail-Longdoz :
– adresse : rue Natalis, 60 à 4020 Bruxelles
– tél. : 04 349 57 79