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Regard critique · Justice sociale

Migrations

À l’ombre de Baobab

Depuis 2015, l’association romaine Baobab Experience apporte aide et soutien aux migrants en transit dans la capitale italienne. Malgré la répression policière et politique, ce collectif citoyen a permis d’aider 35.000 personnes.

Copyright : Pierre Jassogne

Depuis 2015, l’association romaine Baobab Experience apporte aide et soutien aux migrants en transit dans la capitale italienne. Malgré la répression policière et politique, ce collectif citoyen a permis d’aider 35.000 personnes.

À Rome, à l’arrière de la gare de Tiburtina, la deuxième plus grande de la capitale italienne, une vingtaine de migrants ont trouvé refuge sur une petite place à l’abandon. «Dormir dans la rue est difficile. Nous sommes sans tentes et la nuit est sans fin avec le froid. Il n’y a pas de place dans les centres d’accueil de la ville, et la gare est fermée. J’ai pourtant des documents en ordre», témoigne Sidibe, jeune Malien arrivé en Italie en 2016. Avec l’hiver, il n’a pas d’autre alternative que de se «geler dehors», la gare lui étant interdite et contrôlée jour et soir par militaires et policiers. La seule perspective de sa journée est l’arrivée des volontaires de l’association Baobab Experience qui apportent nourriture et couvertures, matin et soir. «Tous les jours, des migrants arrivent: femmes, enfants, hommes, qui, dans la capitale italienne, ne trouveraient rien si nous n’étions pas là. Si un migrant arrive à Rome, il doit se débrouiller tout seul et il n’y a aucun centre qui peut lui dire où trouver un médecin ou de l’aide», raconte Andrea Costa, coordinateur de l’association italienne. «Sans cette aide, je ne pourrais pas manger ni me vêtir. Sans le Baobab, notre vie serait encore plus exténuante», admet Aladji, jeune Sénégalais, 25 ans, arrivé en Italie en 2017. En novembre dernier, cette place accueillait encore un campement de migrants, accueillant jusqu’à 400 personnes par jour. Le camp a été démantelé par la police à coups de bulldozers, mettant en péril le travail de l’association romaine. Le camp existait depuis 2016 à l’arrière de la gare, sur une place appelée par les volontaires Piazzale Maslax, en hommage à Maslax Mohamed, un Somalien âgé de 19 ans qui était passé par ce camp avant de se suicider dans un centre d’accueil à Pomezia, à 30 km de Rome, après avoir été renvoyé par la Belgique en Italie, en raison de la procédure Dublin.

«Plus les lois sont sévères, plus elles vont à l’encontre des migrants, plus la solidarité se développe.» Andrea Costa, Baobab Experience.

Qu’à cela ne tienne, et dès le soir même, alors qu’une centaine de migrants avaient été embarqués de force par la police, les volontaires revenaient pour venir en aide à ceux qui restaient ou ceux qui venaient à peine d’arriver dans la journée à Rome. «Nous n’avons jamais eu autant de soutien que ces dernières semaines. Beaucoup de personnes apportent vêtements ou aident à la distribution du repas. Cette solidarité m’émeut, explique Andrea. Plus les lois sont sévères, plus elles vont à l’encontre des migrants, plus la solidarité se développe.»

Depuis sa création au printemps 2015, Baobab Experience n’a cessé de devoir jouer au chat et à la souris avec les autorités locales et nationales. Le camp de la gare a d’ailleurs été démantelé une vingtaine de fois depuis son existence. «Les démantèlements nous renforcent, poursuit Andrea. Vouloir effacer ce camp, comme le travail de Baobab, revient à cacher la poussière sous le tapis un problème qui n’a pas encore trouvé la réponse adéquate de la part des autorités.»

Criminalisation, Salvini et citoyenneté

Avant l’installation du camp en 2016, l’association occupait une ancienne verrerie avant d’être privée de locaux en décembre 2015. «Ce lieu, qui pouvait accueillir une centaine de personnes, a été occupé par près de 800 migrants par jour», rappelle Andrea Costa. Les bénévoles se sont dirigés alors dans le quartier de la gare de Tiburtina d’où partent les bus pour d’autres villes du Nord ou pour la France. C’est sous des tentes que les migrants, la plupart jeunes, venant principalement d’Afrique subsaharienne, ont continué d’arriver, avant de poursuivre leur route à travers l’Europe. Ces derniers mois, et avec le retour des contrôles aux frontières, les migrants se sont en effet plus attardés et l’organisation de l’association a été contrainte de s’adapter pour fournir nourriture, assistance juridique et soins de santé. À côté de ce public, l’association a vu aussi arriver des personnes titulaires d’un permis de séjour, mais exclues du réseau des structures d’accueil et d’intégration, désormais réservées aux réfugiés. D’autres sont victimes aussi de la procédure Dublin, renvoyées en Italie par d’autres pays européens.

«Sur le terrain, on sent que la pression monte, que tout pourrait basculer tôt ou tard…» Andrea Costa, Baobab Experience.

Sans soutien des autorités, l’expérience s’est développée, comptant sur la seule force de ses bénévoles, tentant de répondre à toutes les urgences, aux situations de crise, toujours plus fréquentes ou encore en cherchant des solutions pour ceux qui souhaitaient rester en Italie. Le Haut-Commissariat de l’ONU pour les réfugiés (HCR) s’est d’ailleurs inquiété de cette situation dramatique pour ces personnes contraintes de quitter le campement sans qu’il leur soit proposé de solution alternative. Baobab Experience réclame aux autorités locales et à la société de chemins de fer italiens la création d’un hub humanitaire au sein de la gare de Tiburtina. Il servirait de point d’information et d’orientation pour les migrants. «Car les migrants ne disparaissent pas parce que le camp a été démantelé. Aujourd’hui, notre travail est difficile, compte tenu des conditions météorologiques et de l’absence d’un lieu pour accueillir les migrants et nos activités. La police vient voir ce qu’on fait. Elle ne nous empêche pas de faire notre travail, mais elle est là pour surveiller. Nous continuons d’exiger qu’il y ait un centre de premier accueil pour les migrants.» Andrea sait parfaitement qu’au fil des mois, le nombre de migrants augmentera dès la fin de l’hiver.

Les autorités ont souvent promis un soutien, la création d’un lieu d’accueil, mais rien n’a été fait, même si des discussions sont toujours en cours entre l’association et la municipalité dirigée par les populistes de Cinque Stelle. Cette présence récurrente de migrants dans la capitale italienne a démontré surtout l’absence d’un plan de politique sociale et le manque insuffisant – à peine un millier – de places d’accueil. En outre, qu’ils soient de gauche ou de droite, les décrets successifs sur la sécurité urbaine ont tous été dans le sens d’une criminalisation des migrants. Il n’a pas fallu attendre l’arrivée au pouvoir de l’extrême droite et de Matteo Salvini, son leader et actuel ministre de l’Intérieur, pour voir la situation empirer, même si ce dernier ne cesse de jeter de l’huile sur le feu. «Chaque jour, Salvini fait un tweet contre nous, contre ceux qui viennent en aide aux migrants. Il nous rend service parce que les dons n’ont jamais été aussi élevés depuis qu’il est au pouvoir. Mais sur le terrain, on sent que la pression monte, que tout pourrait basculer tôt ou tard…»

Loin des calculs politiques, les volontaires jouent pourtant depuis longtemps un militantisme en dehors des partis. «Ce réseau de volontaires est composé de citoyens parmi lesquels se retrouvent autant des anarchistes que des paroissiennes. Un public très différent, mais réuni pour la même cause humanitaire. Le Baobab est l’un de ces exemples de citoyenneté active, mobilisée pour remplacer les institutions lorsque celles-ci sont aux abonnés absents», résume Andrea Costa.

 

 

Pierre Jassogne

Pierre Jassogne

Journaliste

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