MolenGeek, plateforme dédiée aux nouvelles technologies et espace de coworking installé au cœur de Molenbeek, a pour ambition de rendre l’entrepreneuriat accessible à tous, sans barrières culturelles, de genre, de génération ou de compétence. Là-bas, pas besoin de diplôme, mais des bonnes idées et une forte envie de les réaliser.
Place de la Minoterie, petit square discret et calme situé entre le quai des Charbonnages et la station de métro très fréquentée de Comte de Flandre. C’est là, au cœur du Molenbeek historique, que MolenGeek a pris ses quartiers. Avant d’avoir ses bureaux dans le bâtiment du Centre d’entreprises de la commune, MolenGeek est né d’un événement: un start-up weekend, lancé comme un défi par une petite dizaine d’amis sensibilisés aux nouvelles technologies. Le concept est connu: travailler en équipe du vendredi soir au dimanche soir afin de créer une start-up – c’est-à-dire un projet entrepreneurial innovant, en lien avec les technologies numériques. C’était en mai 2015. À la suite du succès de l’événement, ils ont poursuivi l’aventure, subsides publics et privés en poche. En mars dernier, un espace de coworking ouvrait ses portes. Les jeunes entrepreneurs peuvent y travailler sur leur projet, cogiter et échanger des idées. Début de l’année prochaine, MolenGeek lancera même une formation continue de «coding» de six mois afin d’apprendre aux futurs entrepreneurs les langages informatiques nécessaires au développement technique de leur projet.
Répondre aux inégalités
Le choix de s’installer à Molenbeek ne s’explique pas par une quête de loyers plus abordables. «C’est la commune où je suis né, explique Ibrahim, l’un des fondateurs du projet. «En nous installant ici, nous voulions rendre confiance aux jeunes de la commune, filles et garçons, leur montrer que l’entrepreneuriat peut leur être accessible même s’ils n’ont pas terminé leurs études ou qu’ils ne sont pas issus d’une famille d’entrepreneurs. Plutôt que d’attendre des boulots qui n’arrivent pas, on met en avant leur potentiel.» «Les communautés tech existent à Bruxelles, mais elles sont très middle class et élitistes, ne fût-ce que par la langue, l’anglais, que les jeunes ici ne maîtrisent pas toujours. On a voulu en créer une accessible et démocratique», ajoute Julie, Parisienne, également membre du noyau de départ.
Fikri, trentenaire déterminé originaire de Molenbeek, est présent depuis le début de l’aventure MolenGeek. Cet «électron libre», comme il se présente, est passé par «tous les boulots qui lui permettaient de remplir son frigo»: chauffeur pour un groupe hôtelier, pour la diplomatie, chauffeur de taxi, d’Uber, chômeur… Dans les bureaux de MolenGeek, il a pris un nouveau virage en concevant sa propre start-up. «Un jour, je devais amener ma voiture à l’entretien mais je n’avais pas le temps. Fikri m’a proposé de le faire pour moi et, en plus, il l’a passée au car-wash. On s’est dit qu’il y avait un concept», explique Ibrahim. L’idée était née: une plateforme en ligne proposant des services pour les propriétaires de voitures débordés. «C’est un très bon exemple de ce que fait MolenGeek, explique Julie, on démocratise l’accès aux technologies afin de permettre aux personnes qui viennent ici de mettre une couche de numérique sur leur passion et/ou leurs compétences et de pouvoir lancer un projet d’entreprise qui fonctionne.»
Les idées qui naissent à MolenGeek sont destinées aux privés, comme le projet de Fikri, mais aussi aux collectivités, notamment lors des hackathons, événements de programmation informatique intensive et collaborative à l’instar des start-up weekends. Le hackathon qui s’est déroulé fin avril avait pour ambition d’aider et d’optimiser les services d’urgence en cas d’opération de secours. Une idée née au lendemain des attentats de Bruxelles. En septembre, le choix s’est porté sur la mobilité bruxelloise et, plus spécifiquement, les défis concrets qui se posent aux personnes à mobilité réduite au cours de leurs déplacements. De ces hackathons sont ressortis plusieurs applications, comme «StreetAccess», une carte universelle pour tous, ou encore une appli pour stimuler l’usage du vélo. «Chaque hackathon est préparé en amont, sur la base des demandes et des problématiques concrètes rencontrées par les acteurs de terrain. Pour le hackathon «services d’urgence», par exemple, on a rencontré le SAMU bruxellois et les responsables du 112 au niveau européen. On assure toujours un suivi après, en vue de développer et d’implémenter les projets qui ressortent du lot», souligne Ibrahim.
Rien à perdre
Si MolenGeek propose un lieu, des conseils, notamment sur le plan d’affaires et des mises en relation avec d’autres entreprises, reste l’étape la plus cruciale: vendre le projet. «La balle est dans le camp des porteurs de projets. On les soutient bien sûr, mais c’est à eux de bosser pour concrétiser leur idée et de trouver des clients, c’est le b.a.-ba de l’entrepreunariat», explique Julie. Ce défi ne semble pas effrayer Fikri. «On n’a pas le choix! Ou tu crées des opportunités et tu fonces, ou tu vois le monde partir en cacahuète. Moi, je n’ai aucune envie de bosser avec les contrats d’Angela Merkel. Ici à Molenbeek, on a toujours obtenu des ‘non’ sur le marché du travail, quels risques prend-on d’obtenir un ‘oui’? On n’a rien à perdre.»
Sa détermination n’est pas une exception. Si l’on en croit Ibrahim, «la motivation est là à Molenbeek. La différence entre les jeunes d’ici et ceux des quartiers plus favorisés est qu’ils ne risquent pas de sortir de leur zone de confort en lançant un projet entrepreneurial, puisqu’ils n’ont pas de zone de confort». Il sait de quoi il parle. Déscolarisé à 13 ans, il a tout appris seul, jusqu’à lancer sa propre boîte de consultants IT et fonder CrowdFly, une plateforme de recrutement anti-discrimination où les candidats ne doivent livrer ni leur nom ni leur sexe. «Quel meilleur modèle pour les jeunes qui nous entourent?», s’enthousiasme Julie. Pour les geeks de Molenbeek, on l’aura compris, «mieux vaut une tête bien faite qu’une tête bien pleine».
Logique inclusive
Bien que situé à Molenbeek et ouvert aux Molenbeekois, MolenGeek refuse l’étiquette de «projet social pour jeunes Molenbeekois précarisés». «C’est ouvert à tout le monde. Il suffit de venir avec une idée qui tient la route. Certains, qui ont déjà leur entreprise, viennent bosser et chercher des conseils en équipe, d’autres développent ce qu’ils ont amorcé durant les hackathons, explique Ibrahim. Dans les bureaux se croisent des personnes de tous les âges et de niveaux, du jeune de 16 ans au chômeur en passant par des entrepreneurs déjà bien lancés. «On a même Charles, notre petite pépite du BW (Brabant wallon, NDLR)», plaisante Fikri. «Et il n’y a pas que des hommes, ajoute Julie, qui anime par ailleurs Girleek, une communauté de femmes passionnées de technologies. «Si les filles viennent en nombre aux événements, preuve de leur intérêt pour les nouvelles technologies, elles sont moins présentes au quotidien en raison des tâches notamment familiales qu’elles doivent assumer.» Attentive à ce que les femmes aient une place dans le monde numérique, elle a veillé à ce que les graffitis de la nouvelle salle de formation «coding» représentent aussi des femmes…
Briser les barrières culturelles, de genre, de génération, de compétence… Tel est le défi de la communauté MolenGeek. Avec l’ambition de faire connaître les talents molenbeekois aux entreprises bruxelloises… Et même au-delà. «L’un de nos participants est en ce moment à Dubaï pour présenter son voile ininflammable qui permettrait à des femmes de travailler dans des secteurs ‘dangereux’ comme la pétrochimie», explique Ibrahim, qui ne cache pas sa satisfaction de voir «un petit gars de Molenbeek de 19 ans, pas franchement bon à l’école, devenir un génie inventeur acclamé à l’étranger». De quoi nourrir davantage son espoir qu’un jour la Silicon Valley ait pour nom… Molenbeek.
Aller plus loin
Lire le dossier «Social digital: prescrire ou proscrire? » dans Alter Echos n°432, octobre 2016
«L’innovation sociale entre radicalité et parcs à bobos», Alter Echos n°420, 30 mars 2016, Edgar Szoc et Thomas Lemaigre
«À Molenbeek, culture rime avec travail social», Alter Echos n°424-425, 29 juin 2016, Flavie Gauthier