Mis sur pied par l’asbl Provélo1, le projet « A vélo Mesdames ! » a pour objectif d’apprendre aux femmes des quartiers populaires de Bruxelles à roulerà vélo. Une activité qui est notamment envisagée comme un vecteur d’émancipation.
Asbl Provélo, dix heures du matin. Il fait froid et humide en ce début de journée de novembre alors que, bien heureusement, les locaux de cette association dontl’objectif est de conseiller les autorités en matière d’aménagements cyclables et d’organiser des événements de promotion de l’usage duvélo, sont bien chauffés. Pelotonné devant la réception, un groupe de femmes se forme doucement, au rythme des arrivées. Pour la plupart d’originemaghrébine, elles arborent un air satisfait, mais aussi un peu inquiet pour certaines. C’est que ce matin, il va falloir pédaler et donc pointer le bout du nez àl’extérieur ! Impliquées depuis quelque temps dans le projet « A vélo Mesdames ! », ces femmes se présentent en effet tous les mercredis àProvélo afin d’apprendre à maîtriser les subtilités de la petite reine. Ce qui n’est pas forcément évident. « La plupart d’entre nous ont apprisà rouler ici, sourit une des participantes. Pour beaucoup, nous n’étions jamais montées sur un vélo ! »
Et c’est vrai que ce témoignage semble confirmer un constat fait il y a cinq ans par Provélo, poussant la structure à poser les bases du projet : à Bruxelles, lesfemmes ne représenteraient que 25 à 30 % des cyclistes « utilitaires ». Un chiffre qui chute encore drastiquement si l’on s’intéresse particulièrement auxfemmes des quartiers « populaires » de la capitale, peuplés en majorité par des personnes issues de l’immigration. « C’est à l’aune de ces deux constats quenous avons décidé de mettre ce projet en place », explique, enthousiaste, Carmen Sanchez, l’éducatrice en charge du projet. Dotée d’une bonne expérience detravail dans le milieu de l’insertion socioprofessionnelle avant son passage chez Provélo, cette jeune Espagnole à l’énergie communicative prit donc le taureau par les cornes en2005 afin de tisser des liens avec le milieu associatif et de l’impliquer dans le projet.
« Je connaissais effectivement bien ce secteur pour y avoir travaillé, continue notre interlocutrice. Il était donc évident pour moi de nouer des partenariats avecd’autres associations, dans le cadre d’un projet centré sur la mobilité. A l’heure actuelle, nous travaillons avec des maisons de quartier, des maisons médicales, des collectifsd’alphabétisation, des CPAS, des associations de femmes et bien d’autres structures encore… » Au point que le projet semble aujourd’hui crouler sous les demandes émanant desfemmes issues de ces diverses structures. Entre 2005 et 2009, « A vélo Mesdames ! » aurait ainsi formé à la conduite du vélo plus de 2 200 femmes originairesnon seulement d’Afrique du Nord, mais aussi d’Afrique noire, d’Asie (Turquie), d’Amérique du Sud ou encore d’Europe. Et les chiffres pour 2010 ne sont pas encore connus…
Un vecteur d’émancipation
Si le succès semble fulgurant, c’est que cette initiative propose bien plus qu’un apprentissage « technique » du vélo. Ici, pédaler à aussi valeurd’émancipation. « Le public dont nous nous occupons est en effet un public où les femmes ne font pas de vélo, nous dit Carmen Sanchez. Cela ne se fait pas et s’il y a unvélo à la maison, c’est pour les hommes ou les garçons. De plus, dans la plupart des activités qui leur sont proposées ailleurs, dans d’autres associations, ils’agit pour elles de faire de la cuisine, de la couture… Nous, nous voulions quelque chose d’émancipateur. »
Et à écouter les femmes, réunies autour d’une tasse de café en attendant que la météo se montre plus clémente, il y a en effet quelque chose decela. Le discours se veut positif, voire revendicateur. « Dans ce groupe, nous sommes pour la plupart maghrébines, voilées, se lance l’une d’entre elles. Pour nous, il estimportant de montrer que, nous aussi, nous pouvons le faire. Il y a un travail à faire sur les mentalités, de tout le monde, pour changer les choses. » Pour les participantes,enfourcher un vélo signifie donc bien plus que la promesse d’une belle balade, même si, à bien réfléchir, il semble qu’il y ait là aussi quelque choseà gagner. « Nous faisons beaucoup de sorties, renchérit une autre. Nous avons été à Malines, Ostende, Mons et même Séville pour une semaine. Nousavons aussi participé à l’opération Dring dring. Carmen nous pousse, elle a beaucoup d’énergie. Et en plus, on brûle des calories », conclut-elle en rigolant.« Sortir », dans tous les sens du terme, est donc effectivement aussi un autre objectif du projet. « Le but, au travers de ces sorties, est que ces femmes deviennent autonomesqu’elles découvrent Bruxelles et d’autres endroits, qu’elles sortent de leur quartier », admet Carmen Sanchez.
Dans ce contexte, se retrouver en groupe, entre femmes, a quelque chose de rassurant, même s’il ne s’agit pas ici de créer un ghetto « de genre ». « L’objectif,c’est de les lancer, de les pousser, continue Carmen. Aussi, le fait de se retrouver d’abord entre elles et d’être accompagnées est rassurant. Mais très vite, « j’ouvre» l’activité vers l’extérieur, vers des visites ou des activités en groupes mixtes. La question de l’intégration est très importante pour moi. »
Rouler, sous les regards
A parler de sortie, le temps semble s’être éclairci. Il est donc temps pour le groupe de mettre ses mollets à contribution. Très vite, toute la bande se met en marche enordre dispersé, direction le Parc royal. Et cela, sans attendre Carmen. « Incroyable, s’exclame-t-elle. Elles n’avaient jamais fait ça. Cela illustre bien leur évolution,qui est énorme. » En effet, à voir ces femmes zigzaguer avec aisance parmi la circulation délirante de la rue de la Loi, on se rend compte du chemin parcouru par cellesqui, peu de temps avant, n’avaient encore jamais touché à un vélo. Sous la houlette de Carmen, le peloton roule à un rythme soutenu sous le regard quelquefoisincrédule des automobilistes. Mais, malgré cela, l’appréhension reste prégnante. « Ici, on est en groupe, ça va, sourit une des pédaleuses. Mais roulerseule, je ne pourrais pas encore. J’ai trop peur, il y a un pas qu’il faut encore franchir… »
Si plusieurs femmes déclarent être prêtes à faire certains de leurs déplacements à vélo et si l’une d’entre elles s’est même abonnée auxdésormais célèbres « Villos », la peur reste donc encore une composante qu’il faut prendre en compte. Peur de la circulation, mais aussi peur du qu’en-dira-t-on, desregards. Des regards en provenance de tous les horizons. « On est habitués à vo
ir des femmes belges sur un vélo, mais nous, non, note une jeune participante. Quand onroule, on reçoit des commentaires positifs, mais aussi négatifs, et cela, de tout le monde, Belges et non-Belges. »
Néanmoins, le regard particulier de « la communauté », des maris et des fils, semble être une question importante. Une des cyclistes nous dira que lapremière fois qu’elle avait été aperçue sur un vélo, l’histoire avait fait le tour des cafés du quartier. Dès lors, le « retour » danscesdits quartiers, à vélo de surcroît, fait l’objet d’une préparation importante. « L’astuce, c’est de revenir au quartier et d’affronter les regards quand elles sontcapables de bien rouler, pour casser l’image, explique Carmen Sanchez. Il existe des contraintes culturelles qu’on peut respecter, mais d’autres qu’on peut aussi brusquer. »
De retour à Provélo, les femmes se dispersent en s’apostrophant. L’une s’approche de nous. « Dites à tout le monde que c’est grâce à notre animatrice,à des femmes comme elles que nous sommes là », suggère-t-elle en parlant de Carmen. Ce qui fait sourire cette dernière. « Et je ne vous ai pas payé pourdire ça, hein ? », répond-elle en s’esclaffant.
1. Provélo :
– adresse : rue de Londres, 15 à 1050 Bruxelles
– tél. : 02 502 73 55
– courriel : info@provelo.org
– site : www.provelo.org