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Emploi/formation

Accompagner et contrôler: un casse-tête insoluble pour les services régionaux de l’emploi?

Actiris, le Forem ou le VDAB seront désormais chargés du contrôle de la disponibilité des chômeurs. En plus de s’occuper de leur accompagnement. Cette situation risque-telle de créer de la confusion? Ou constitue-t-elle une chance?

Les services régionaux de l’emploi étaient déjà en charge de l’accompagnement des demandeurs d’emploi. Dorénavant, ils devront aussi vérifier qu’ils cherchent effectivement du boulot. Kate Hiscock/Flickr

Actiris, le Forem ou le VDAB seront désormais chargés du contrôle de la disponibilité des chômeurs. En plus de s’occuper de leur accompagnement. Cette situation risque-t-elle de créer de la confusion? Ou constitue-t-elle une chance?

À force d’en parler, on avait fini par croire que cela n’arriverait jamais. Depuis le 1er juillet 2014, les Régions sont en effet compétentes pour le contrôle de la disponibilité des chômeurs. Pour rappel, les entités fédérées étaient déjà en charge de l’accompagnement des demandeurs d’emploi. Il s’agissait de les aider dans leurs tentatives de trouver un travail. Dorénavant, elles devront aussi vérifier qu’ils cherchent effectivement du boulot. Une compétence jusqu’ici dévolue à l’Onem, situé du côté fédéral de la force.

Le transfert a certes été officialisé par la déclaration de politique générale du gouvernement Di Rupo, en 2011. Mais le thème flottait dans l’air depuis quelques années déjà. Et ne manquait pas de faire jaser. C’est que les enjeux sont nombreux. Quoique… Il semble que ce soient toujours les mêmes qui reviennent sur la table. Parmi eux, la crainte d’une confusion des rôles entre contrôle et accompagnement. Dans les faits, c’est effectivement aux services régionaux de l’emploi qu’il reviendra de contrôler la disponibilité des chômeurs. Alors que ce sont déjà eux qui sont chargés de l’accompagnement. Il leur faudra donc manier la carotte et le bâton. Pas sûr que cette nouvelle situation aide les chômeurs à y voir plus clair dans un système déjà bien confus avant transfert. Services régionaux, Onem, syndicats: pour beaucoup de demandeurs d’emploi, les différents rôles de ces intervenants n’ont jamais été vraiment clairs. «Cela n’a jamais été facile, mais on pouvait tout de même clarifier les choses puisque les rôles étaient distincts. Et une certaine relation de confiance pouvait exister entre les chômeurs et les services régionaux de l’emploi chargés de les accompagner. Aujourd’hui, avec cette nouvelle situation, cela va être très compliqué», déplore Yves Martens, porte-parole du Réseau bruxellois de collectifs de chômeurs.

Détail piquant: ce type de débat n’est pas nouveau. Il avait déjà eu lieu avant… 1978! «Jusqu’en 1978, l’ONEm remplissait à la fois une fonction de placement des chômeurs et une fonction de contrôle de ceux-ci, note Jean Faniel, directeur général du Crisp (Centre de recherche et d’informations socio-politiques). Pour répondre à la confusion engendrée par cette situation, on a séparé les deux rôles au sein de l’Onem. Et quand les services régionaux de l’emploi ont été créés en 1989, l’Onem a gardé les rôles de contrôle et de sanction des chômeurs. Alors que les services régionaux héritaient de l’accompagnement et du placement.» Cette régionalisation partielle de ce qu’on appelle parfois communément les «matières chômage» arrangeait bien tout le monde. Et clarifiait la situation. Paradoxe ultime: la régionalisation plus poussée issue de la sixième réforme de l’État de 2011 risque donc de venir mettre à mal cette «clarification». Et de renvoyer les demandeurs d’emploi à une situation confuse que l’on avait déjà connue à l’époque du tout national. «On renoue en quelque sorte avec la confusion d’avant 1978», souligne Jean Faniel.

On sépare

Pour éviter cette situation, certains scénarios ont été envisagés. Du côté wallon, la FGTB a proposé la création d’un OIP (organisme d’intérêt public) différencié du Forem. Il aurait été chargé du contrôle de la disponibilité des chômeurs. «Une option qui n’a pas été retenue par le gouvernement», explique Anne-Marie Robert, secrétaire générale adjointe de la FGTB wallonne et représentante du syndicat au comité de gestion du Forem. Dans le sud du pays, ce sera donc bien le Forem qui héritera du contrôle de la disponibilité. Pour éviter la confusion, deux services à gestion distincte – un pour l’accompagnement et l’autre pour le contrôle – seront en activité, d’après Anne-Marie Robert. Une information qui n’a pas été confirmée par le Forem, qui ne souhaite pas se prononcer sur le sujet pour l’instant.

À Bruxelles, on semble avoir été un peu plus loin. D’après Philippe Van Muylder, secrétaire général de la FGTB Bruxelles, une direction séparée sera créée au sein d’Actiris pour le contrôle de la disponibilité. Ce que confirme Actiris. Ici aussi, on tente donc d’éviter la confusion des rôles. Cela suffira-t-il? Le Réseau bruxellois des collectifs de chômeurs ne se prononce pas. «Il est encore trop tôt», affirme Yves Martens. Il faut dire qu’à l’heure actuelle, c’est toujours l’Onem qui se charge du contrôle de la disponibilité des chômeurs. Le transfert du personnel de l’Onem vers les services régionaux, prévu pour le 1er janvier 2015, n’a pas encore eu lieu. Et pour cause: aussi bien Actiris que le Forem ne sont pas prêts. «Le service informatique d’Actiris n’est pas encore adapté. Et Actiris va déménager en 2016. Il ne devrait donc pas être en mesure de reprendre le contrôle de la disponibilité avant cette date», explique Myriam Gérard, secrétaire régionale de la CSC Bruxelles. Du côté du Forem, des bruits de couloirs font état de quelques mois de délais.

Autre détail important: aussi bien chez Actiris qu’au Forem, les personnes en charge de l’accompagnement et du contrôle de la disponibilité ne seront pas les mêmes.

Ils sont libres, le Forem et Actiris?

Face à cette confusion possible des rôles, les syndicats semblent assis entre deux chaises. Historiquement, ils ont toujours été préoccupés par cette question. Plus pragmatiquement, ils sont aussi membres du comité de gestion d’Actiris, du Forem ou du VDAB. Il serait donc malvenu pour eux de l’ouvrir un peu trop… Dans ces conditions, on les sent louvoyer. Et trouver des avantages à la nouvelle situation. «Nous avons craint une confusion des rôles. Mais la situation qui se met en place peut aussi avoir des avantages. Elle pourra permettre d’articuler le système avec ce qui est spécifique à la Région wallonne», explique Anne-Marie Robert. Du côté bruxellois, Myriam Gérard tient à peu près le même discours qu’elle. «Le contrôle de disponibilité effectué par Actiris permettra peut-être de tenir plus compte des spécificités régionales», explique-t-elle. Quand on parle de spécificités régionales, on pense notamment aux caractéristiques des chômeurs. Et à une certaine «souplesse», ou pas, vis-à-vis d’eux. Déjà réputés plus «coulants» que le fédéral ou le VDAB dans leur attitude vis-à-vis des chômeurs, Actiris et le Forem pourraient être tentés de mettre en place un contrôle de la disponibilité plus «soft».

Un problème risque néanmoins de se poser à ce niveau. La régionalisation «plus poussée» due à la sixième réforme de l’État n’a été que partielle. Le cadre normatif en ce qui concerne la réglementation en matière d’emploi convenable, de recherche active d’un emploi, de contrôle administratif et de sanctions restera dans les mains du fédéral. Dit de manière plus simple, le contrôle de la disponibilité passe aux Régions, mais la capacité de réglementation reste au fédéral. Dans ce contexte, la marge de manœuvre des services régionaux pourrait être limitée. Ne risquent-ils pas de se retrouver en position de simples exécutants de règles décidées par le fédéral? Ce danger est en tout cas pointé par tous nos interlocuteurs. «On peut se demander ce que les Régions pourront faire dans leurs compétences sans empiéter sur celles du fédéral», note Jean Faniel. Si d’aventure les services francophones devaient se montrer trop souples, l’Onem serait-il en mesure d’invalider leurs décisions? Le risque est évoqué. De même que celui d’une «distorsion» entre Régions. «Si Bruxelles et la Wallonie vont trop loin, la Flandre risque de leur tomber sur le râble», ajoute Jean Faniel. Ce que confirme Myriam Gérard. «Si on voit qu’on ne sanctionne pas assez à Bruxelles, il y aura un débat politique». Et dans ce cas, les services régionaux pourraient dire «bye bye» à la prise en compte des spécificités régionales…

 

Cet article a été publié initialement dans la revue Politique n°89, mars-avril 2015.

Julien Winkel

Julien Winkel

Journaliste

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