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Accord de gouvernement: sous le vernis, un discours ultra-sécuritaire?

Alors que le nouveau gouvernement expose, ce mardi, son accord de politique générale, trois organisations de défense des droits humains tirent la sonnette d’alarme. Le texte, jugent-elles, contient des mesures inquiétantes. Essentiellement en matière de politique d’asile et d’accueil des étrangers.

14-10-2014
© Flickr

À peine installé, le nouveau gouvernement Michel I suscite déjà la polémique. Si ce lundi, les propos tenus dans La Libre par le vice-Premier N-VA Jan Jambon ont provoqué une tempête, si le lendemain, l’opposition réclame la démission du secrétaire d’État Théo Francken (N-VA) pour ses liens avec le VMO, milice privée d’extrême-droite, l’accord de gouvernement présenté ce mardi au Parlement pourrait provoquer un tollé. En cause? Plusieurs mesures inquiétantes pour les droits civiques, économiques et sociaux, ainsi que pour les droits des migrants.

«Dans l’accord du gouvernement fédéral, on trouve un peu de positif, pas mal de flou et beaucoup de points inquiétants», dénoncent la Ligue des droits de l’homme (LDH), Amnesty International et le Ciré (Coordination et initiatives pour réfugiés et étrangers). Et les associations de dresser la liste des points qui sont, à leurs yeux, problématiques.

Politique d’asile et migration

«Malgré quelques propositions intéressantes, en matière de Justice notamment, l’esprit général du texte est au contrôle, à la restriction et au doute systématisé, observe Frédérique Mawet, directrice du Ciré. Le texte insiste fortement sur l’image du ‘migrant abuseur’ – quand il n’est pas un criminel.» Procédures rapides, lutte contre les «abus» (lire: demandes multiples), campagnes de dissuasion… En matière d’asile et d’accueil des étrangers, le futur gouvernement semble vouloir poursuivre les politiques menées par la précédente coalition. «Sans prendre en compte la modification de la situation internationale, notamment en Irak et en Syrie, qui entraîne partout en Europe une hausse légitime du nombre de demandeurs d’asile», s’inquiète toutefois le Ciré. Autre incohérence: la volonté du gouvernement de regrouper tout ce qui touche à l’asile et à l’immigration dans un même ministère, tout en décidant de placer le budget de Fedasil sous l’autorité du Ministre de l’Intérieur. «Placer une administration sous la tutelle d’un secrétaire d’État quand son budget est sous la tutelle d’un autre ministre, c’est le grand écart assuré», pointe le Ciré.

«L’esprit général du texte est au contrôle, à la restriction et au doute systématisé. Le texte insiste fortement sur l’image du ‘migrant abuseur’ – quand il n’est pas un criminel.»  Frédérique Mawet, directrice du Ciré

Séjour des étrangers

Grande nouveauté: un «code de l’immigration» fait son apparition. Mais le texte ne dévoile pas encore son objectif. «S’agit-il d’un toilettage de la loi du 15 décembre 1980? Si tel est le cas, alors nous approuvons cette démarche suggérée à maintes reprises», confie Frédérique Mawet. Mais en parallèle, l’accord prévoit de poursuivre la lutte contre les mariages et cohabitations légales de complaisance, «au risque de s’immiscer davantage dans la vie privée des étrangers», estime le Ciré. Enfin, le gouvernement Michel I ré-entame le couplet: «plus jamais de régularisation collective», alors qu’il n’y en a jamais eu. «Les dossiers sont toujours examinés de manière individuelle, estime la directrice du Ciré. Avec des critères précis. Ce qui crée momentanément une sécurité juridique réclamée depuis longtemps.»

Retour et détention

L’accord mentionne aussi l’intention d’étendre les centres fermés et la possibilité d’enfermer à nouveau les familles en séjour irrégulier. «La Belgique a déjà été condamnée à trois reprises par la Cour européenne des droits de l’Homme pour la manière dont elle avait détenu des enfants», rappelle Frédérique Mawet. Actuellement, la Belgique n’enferme plus les familles en séjour irrégulier: elles séjournent dans des «maisons de retour», ouvertes. «Il s’agirait donc là d’un terrible retour en arrière», s’inquiète le Ciré. Quant à la détention et au renvoi des criminels illégaux, l’accord gouvernemental semble indiquer un retour de la «double peine». «Il y a un problème de définition: qui est un criminel illégal? Faut-il dès lors bannir du territoire de l’UE pendant 8 ans une personne qui a purgé l’entièreté de sa peine, et ce, alors même qu’elle a des liens familiaux en Belgique?», s’interroge le Ciré.

Quelques avancées ?

Tout n’est pas rose. Mais l’accord laisse aussi entrevoir certains éléments positifs, comme la possibilité pour les mineurs étrangers non-accompagnés (Mena) de demander un statut de protection spéciale. Ou encore la possibilité d’effectuer un contrôle de la détention des étrangers en centres fermés. Le gouvernement s’est aussi engagé à mettre en place un Institut national des droits de l’homme, à lutter contre les violences sexuelles et intrafamiliales et à établir un Plan d’action nationale «entreprises et droits humains». Des pistes encourageantes sont par ailleurs avancées sur la question de l’internement, le statut juridique des détenus, sur l’identité de genre et la lutte contre la discrimination. Mais les trois associations incitent à la vigilance. «La question budgétaire sera fondamentale, insiste Philippe Hensmans, Directeur de la section belge francophone d’Amnesty International. Sinon, certaines bonnes idées, comme la création d’un Institut national des droits de l’homme, vont simplement rester au stade de l’effet d’annonce.» Et Alexis Deswaef, président de la LDH, de conclure: «Ce gouvernement se présente comme celui du bon sens, mais il s’agit davantage du bon sens du café du commerce que du véritable sens commun, qui sert l’intérêt général.»

Rafal Naczyk

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