24 février 2022: la guerre resurgit sur le sol européen. Une vague de sidération nous submerge, malgré les signes précurseurs de la conflagration. Presque simultanément, un élan de solidarité se lève à l’égard des millions d’Ukrainiens fuyant les bombardements russes et cherchant refuge.
Le Conseil européen instaure très vite une «protection temporaire» visant à fournir aux personnes déplacées une protection immédiate et collective. Côté belge, plus de 22.000 places d’accueil sont rendues disponibles en quelques jours pour les ressortissants ukrainiens. «La Belgique ne comptera pas le nombre d’Ukrainiens qu’elle accueillera», affirme le secrétaire d’État à l’Asile et la Migration Sammy Mahdi, insistant sur notre «devoir moral» de les accueillir.
On ne peut que se réjouir de cet empressement à venir en aide aux Ukrainiens. Un léger rétropédalage dans l’actualité s’impose néanmoins. Il y a quelques semaines à peine, le 19 janvier pour être exact, l’État belge était – à nouveau – condamné par le tribunal de première instance de Bruxelles pour sa mauvaise gestion de l’accueil des demandeurs d’asile. Des dizaines, voire des centaines de personnes avaient été laissées à la rue des jours durant.
Où est le bug? En guise d’explication face à la disparité des situations, Sammy Mahdi évoque la «notion géographique» – autrement dit la proximité: «Un pays a le devoir d’accueillir des gens lorsqu’ils sont dans sa région.» (Le Soir, 28/2/2022.) Bien sûr, se joue aussi sur le Vieux Continent quelque chose en lien avec notre mémoire, celle, tragique, de la Seconde Guerre mondiale et du nazisme. Mais c’est également l’islamophobie des politiques migratoires qui est montrée du doigt. Dans le monde arabe et au Moyen-Orient notamment, journalistes et chercheurs dénoncent une couverture médiatique et des réponses politiques à géométrie variable selon l’origine des conflits.
Une chose est claire: notre politique migratoire – qui se revendique comme «juste» et «peu flexible», selon les termes de Sammy Mahdi – a ses «bons» et ses «mauvais» nouveaux arrivants. Les migrants dits «économiques» sont moins «méritants», moins «désirables» que les réfugiés. Quant à ces derniers il leur incombe de prouver qu’ils ne sont pas des usurpateurs. Dans le contexte d’une politique migratoire de plus en plus ferme depuis les années quatre-vingt, on sépare, on trie, on catégorise1. Et des discriminations selon les lieux d’origine s’opèrent. Une enquête a par exemple montré que la communication belge sur le retour volontaire se fait plus largement vers les Marocains, les Afghans et les Irakiens que vers d’autres nationalités. D’autres décisions intriguent, comme en matière d’équivalence des diplômes. En Communauté française, un flou subsiste en ce qui concerne la (non-)reconnaissance des diplômes du secondaire des étudiants congolais – le Congo étant l’un des pays les plus représentés pour les demandes de séjour étudiant (lire notre enquête «Équivalences de diplômes, parcours d’obstacles»).
Les traités internationaux – les conventions de Genève en premier chef – et autres dispositifs existant en matière de droit de séjour sont des outils de protection des personnes en danger, mais aussi de fermeture des frontières. «Est-ce que [la guerre en Ukraine] pourra faire changer le regard des politiques et du public sur la solidarité avec les personnes déplacées d’où qu’elles viennent? C’est ce qu’on est en droit d’espérer. Penser l’Europe serait alors une méthode pour penser notre commune humanité», commente dans l’anthropologue français Michel Agier, co-auteur de Babels, Enquêtes sur la condition migrante2 (Le Monde, 2 mars).
On est en droit de l’espérer. Mais rien n’est moins sûr.
1. Ecouter à ce sujet «Ce qui fait un réfugié», La suite dans les idées, France Culture, 12/12/2020, avec la sociologue Karen Akoka, auteure de L’asile et l’exil, La Découverte, novembre 2020.
2. Points Essais, sortie en avril 2022.