Février, un mois chargé en manifestations. Deux types d’actions ont ainsi été engagées dans le long terme. D’une part des actions citoyennesorganisées et coordonnées contre les centres fermés et les expulsions ; d’autre part, des lieux ou événements mettant en avant la face cachée desmigrations : la situation des sans-papiers dans nos villes. Parcours de combattants, parcours de citoyens.
L’ULB s’engage. Une semaine de mobilisation sur la politique d’asile et les migrations
Du 17 au 21 février un ensemble d’actions, de débats, cours et projections se sont déroulés à l’Université de Bruxelles, mis en placeconjointement par des enseignants, le Collectif de résistance aux expulsions et aux centres fermés et le Comité de soutien aux inculpés des collectifs contre lesexpulsions1. À cette occasion, le conseil d’administration de l’ULB votait à l’unanimité une motion, appelant à la réflexion sur « lapérennisation des opérations de régularisation pour des raisons humanitaires, sur les infractions à la convention européenne des Droits de l’hommeconstituées par la détention en centres fermés et tout particulièrement par celle de mineurs non accompagnés, sur la dépénalisation des actionspolitiques menées en faveur d’une réponse humanitaire à la question des flux migratoires »
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En est sortie une brochure d’informations reprenant un historique de l’immigration belge et européenne, les aspects de la politique migratoire, les acteurs de terrain, lespropositions d’actions, des sites et des contacts. Une institution pose donc un acte et s’engage sans ambiguïté. En insistant par exemple, s’agissant desréfugiés ou des migrants, sur l’opposition « politique / économique » établie « tant par les pouvoirs publics que les médias (…)opérant la distinction entre réfugié politique, qui aurait de “bonnes raisons de venir”, et réfugié économique, qui ne migre que pour “desimples raisons économiques”. Or, cette distinction n’a aucun sens puisque le terme “réfugié politique” n’a aucune existence légale, seul leterme “réfugié” tel que défini par la Convention de Genève existe », lit-on. De fait « c’est également sur la différence entreces deux “types” de réfugiés que se base la distinction entre asile et immigration. Mais où se situe la limite entre les deux ? » Et d’analyser comment lapolitique de fermeture des frontières et d’expulsions produit paradoxalement la clandestinité dont se nourrissent pourtant des entreprises employant ces travailleurs del’ombre.
Comparution du Collectif contre les expulsions
Le 21 février à 8 h 30 débutait le premier des procès intentés à celles et à ceux qui ont été inculpés ) la suite des actionsdes collectifs contre les expulsions et les centres fermés : 18 prévenus comparaissaient devant la 44e chambre du Tribunal correctionnel de Bruxelles. Bientôt 9 prévenuscomparaîtront à Liège. Première étape d’un procès qui n’a finalement pas été entamé mais reporté au 17 octobre. Ils’agissait de présenter les futurs témoins afin, selon le collectif, de donner une portée politique à cet événement judiciaire.
Les actes qui leur sont reprochés concernent principalement des actions menées contre l’expulsion de Semira Adamu en 1998, contre l’expulsion collective de 74 Roms en 1999, etdifférentes manifestations devant les centres fermés. La date du procès des gendarmes responsables de la mort de Semira Adamu, n’est quant à elle, toujours pasfixée… Diverses personnalités regroupées dans un comité de soutien ainsi que de nombreux parlementaires PS, Ecolo et CDH ont quant à euxdénoncé une nouvelle fois l’existence même des centres fermés et la criminalisation des mouvements sociaux dont se rend de plus en plus souvent coupable l’État.
L’Ambassade universelle : active, harcelée
Toujours ouverte dans la mesure de ses capacités à l’accueil d’urgence de candidats réfugiés depuis son « ouverture » en janvier 2001,l’Ambassade universelle2 se serait presque normalisée dans le paysage étroit des lieux d’accueil pour migrants ayant rentré une demande de régularisation.Jusqu’au 30 novembre 2002, journée au cours de laquelle des policiers des chemins de fer venus de la gare du Midi ont perquisitionné le bâtiment. « Après troisheures d’attente à genoux, marqués au dos par un gros marqueur, les fédéraux ont embarqué tout le monde. Ils disaient chercher quelqu’un quiétait déjà régularisé, domicilié ailleurs et bénéficiant de l’aide sociale dans un CPAS ! Tous ceux qui ont étérelâchés ont reçu un ordre de quitter le territoire… » s’exclame Mohamed, actif à l’Ambassade. Qu’à cela ne tienne. Publications,projections de films et débats, cours de français et d’anglais deux fois par semaine s’y succèdent toujours. En outre, un projet d’école des devoirs esten gestation pour les sept enfants actuellement présents avec leur famille.
Non reconnue, mais de plus en plus sollicitée
Le soutien institutionnel ? « On en a peu, à part d’Écolo quand on a voulu relancer la chaudière », signale Mohamed. L’aide médicale urgentefonctionne lorsque l’on suit la procédure ; mais l’aide sociale : zéro. « C’est illégal mais l’Ambassade en est restée là… Pourles personnes ayant obtenu leurs papiers, une fois que le CPAS constate l’adresse du lieu, il y a refus d’aide sociale… », rappelle Mohamed. Le comble ? « Nous nesommes pas reconnus donc pas soutenus, mais le CPAS nous appelle sans cesse pour demander si on peut héberger des gens ! Il y a un vide énorme », termine-t-il.
Festival des Résistances au Centre 127 bis : « Pour rendre visible ce qu’ils veulent garder invisible »
Nouveaux rendez-vous au Centre 127 bis de Steenokkerzeel le 23 février dernier pour les collectifs des « acteurs sociaux » et les militants luttant contre les centresfermés, ces « lieux de non droit où sont enfermés hommes, femmes et enfants n’ayant pas commis le moindre délit, à part celui de chercher une viemeilleure pour eux et leurs proches » exprime France Arets, du Collectif de résistance aux centres pour étrangers de Liège (CRAPE).
Lors de cette manifestation, les rapports avec les forces de l’ordre avaient mal commencé et se sont mal terminés. Sur les routes qui menaient au Centre, les barrages policiersdécourageaient l’accès des manifestants, parfois de manière humiliante, témoigne la Ligue des droits de l’homme. Puis à la fin de la manifestation, unecharge d’autopompes soudaine. La Ligue continue : « De façon relativement inexplicable, les policiers chargent progressivement l’attroupement. Une chaîne non violentes’organise, la police s’irrite, un jet d’autopompe est lancé… » « L’attitude de la police, pendant et après la manifestation, relevait de laprovocation la plus flagrante. Outre les attitudes de criminalisation systématique, par fichage, films et photographies de plusieurs centaines de participants, une charge féroce etinjustifiée des forces de l’ordre alors que la manifestation était terminée, a entraîné des blessures importantes à plusieurs manifestants, dont uneorganisatrice, pour laquelle ces blessures sont très graves. » (communiqués des 6 et 11 mars.)
Excédé par ces actions d’intimidation qu’elle qualifie d’abus de pouvoir, la Ligue a porté plainte contre l’État belge. Elle déplore cesactions d’autant plus que les manifestations sont pacifiques et portent des revendications contre des actions de l’État dont elle critique le caractère contradictoire avecles conventions internationales signées de longue date. C’est pourquoi la Ligue fait le parallèle avec une autre intervention policière très musclée, le 1ermars, à Melsele, contre un groupe de 150 personnes, toutes arrêtées administrativement au sein même d’un lieu de réunion privé alors qu’elless’apprêtaient à freiner un convoi militaire américain. La Ligue rappelle en outre que la loi n’autorise la dispersion de manifestants que lorsqu’ils se livrentà la « dévastation », au « massacre » ou portent effectivement atteinte à l’intégrité physique de personnes. Elle dénonce latendance à la criminalisation des mouvements sociaux.
Pour en revenir au Festival des Résistances même, il faut enfin préciser que les trois revendications des organisateurs étaient les suivantes : arrêt des expulsions,suppression des centres fermés et régularisation inconditionnelle de tous les sans-papiers.
Aussi, pour mieux faire passer ces revendications durant la période électorale ainsi que pour « briser l’isolement planifié » notait le communiqué depresse, la Coordination pour la liberté de circulation et d’installation (CLIC) a été mise en place3. Enfin, il s’agit surtout d’affirmer le « droitélémentaire de la libre circulation et le choix de résidence des personnes » estime la CLIC. Prochains événements : le 5 avril au Centre fermé deVottem et une manifestation nationale à Bruxelles pour interpeller la Commission européenne le dimanche 4 mai.
Parcours citoyen à Ixelles : Une fête de « solidarité avec les sans-papiers de nos quartiers »
Autre événement autour des sans-papiers, l’après-midi festive du samedi 1er mars au Centre culturel Elzenhof d’Ixelles. Dans le cadre du Parcours citoyen4, troistables rondes de débats étaient ponctuées de musique, projections vidéo, théâtre et danse. Trois sujets furent abordés : « L’accueil desnouveaux citoyens d’origine étrangère », « Que savons-nous de la situation au Soudan, pays d’origine de Halima ? » et « Comment soutenir les citoyenssans papiers ? ». « Le but, explique Dominique Nalpas, un des organisateurs, est de manifester, à travers des choses qui se passent entre voisins, l’envie de vivre ensembledans un quartier divers, en faisant sortir de l’ombre les citoyens régularisés face à leur médiatisation lourde en tant qu’“illégaux”. Notreapport, à côté de l’action des collectifs, c’est d’inscrire l’action dans une continuité politique touchant à la vie de quartier ». Aumoyen de cas concrets, il s’est agi, selon une analyse graduelle, d’aborder les migrations dans ce qu’elles ont de mondial afin de repenser structurellement la campagne derégularisation.
Festival des RésistancesSteenokkerzeel, dimanche 23 février, 16 h 30
Paroles saisies de derrière les grillages :
> « Beaucoup de familles ont des enfants et des enfants sont malades, ils ne sont pas soignés. On est venu demander asile en Belgique, après on nous a mis ici ! » (unemère russe).
> « On veut juste aller à l’école et étudier ici, on allait à l’école et on nous a pris là, c’est pas normal, on nous a misà Morlanwez puis on a été emmenés ici, on y est depuis un mois sans explications, on ne sait pas quand on va partir, on ne sait rien » (un jeuneArménien).
> « Il faut que la Belgique se retire de la Convention de Genève, comme ça on ne demandera pas l’asile en Belgique ; la Belgique nous maltraite, – vous avezété maltraité ? – Nous avons fui notre pays qui est en guerre, les rebelles cherchent à nous tuer ; la Belgique coopère avec ce pays pour nous rapatrier» (un Congolais, RDC).
Un message en français, anglais, arabe, russe et espagnol est ensuite lancé avec une amplification. On transmet un numéro de téléphone. Ils pourronttémoigner ou recevoir des infos sur leurs familles, leurs droits. Viennent après la musique, les couleurs, des gens dansent, des bras et des cris répondent, une mèreprésente son bébé de deux mois – une affiche est griffonnée à la hâte : « We love you. »
Étrange sensation : parler avec ces personnes que deux hautes grilles séparent de vous, que des caméras surveillent et empêchent de quitter le camp d’internement.Des policiers casqués empêchent d’approcher plus près. Sentiment de séparation, d’impalpable violence, d’isolement, d’oubli. Manifestationinterdite.
1. Collectif de résistance aux expulsions et aux centres fermés, rue de la Victoire n° 61, 1060 Bruxelles, tél. : 0479 85 34 98 – http://www.collectifs.net/ccle/ ;http://www.collectifs.net/comitedesoutien. Site portail reprenant les autres sites belges et européens : http://wwwfortress-europe.org ; ex. : No border, réseau européen :http://www.noborder.org
2. Ambassade universelle, av. F. Roosevelt, 66 à 1050 Bruxelles – http://www.universal-embassy.be, info@universal-embassy.be
3. http://www.librecirculation.tk, info@librecirculation.tk
4. Parcours citoyen : mstoffen@vub.ac.be