Une recherche présentée par l’université catholique de Louvain-la-Neuve (UCL)1 et l’université de Gand (UGent)2 s’est penchée surl’activation du comportement de recherche d’emploi (ACR). Elle en effectue une évaluation « froide » qui omet cependant de poser un certain nombre de questions« qui fâchent ».
Soutenu par la politique fédérale et intitulé « Evaluation de l’activation du comportement de recherche d’emploi », le travail a étéréalisé par Bart Cockx (Ugent, UCL et IRES), Muriel Dejemeppe (Ires, UCL) et Bruno Van der Linden (FNRS, IRES, UCL). Centré sur les 25-29 ans, il a ainsi suivi un groupe d’un peuplus de 5 000 d’entre eux lors de la phase de lancement de l’ACR, en 2004. Ces jeunes, qui ont reçu leur première lettre d’avertissement émise par l’Onem entre juillet et octobre2004, ont été suivis dans leur parcours jusqu’en décembre 2006, le délai d’obtention des données et le temps nécessaire aux évaluations expliquant larelative ancienneté de l’échantillon. Notons enfin que seule la Flandre s’est vue gratifiée d’une évaluation des effets des entretiens suivant la lettre de convocation,les chiffres disponibles pour la Wallonie et Bruxelles se bornant à évaluer les effets de la seule lettre.
1. Avertissement
Le chômeur reçoit une lettre d’avertissement envoyée par l’Onem. Elle lui rappelle notamment son obligation de rechercher activement un emploi. Cet avertissement estenvoyé logiquement 8 mois avant le premier entretien d’évaluation.
2. Premier entretien d’évaluation
Le premier entretien d’évaluation a lieu après 15 mois de chômage si le chômeur est âgé de moins de 25 ans ou 21 mois de chômage si le chômeurest âgé de 25 ans ou plus. Lors de cet entretien, les efforts faits pour chercher du travail pendant les 12 derniers mois sont évalués. Si les efforts sont jugéssuffisants, un nouvel entretien est programmé 16 mois plus tard. Si les efforts sont jugés insuffisants, le facilitateur de l’Onem propose un plan d’action pour les mois àvenir.
3. Deuxième entretien d’évaluation
Un deuxième entretien a lieu au plus tard quatre mois après l’établissement du plan d’action, afin d’évaluer si le chômeur a respecté son pland’action.
Si c’est le cas, un nouvel entretien a lieu douze mois plus tard. Dans le cas contraire, le chômeur risque une sanction limitée temporaire (quatre mois), qui peut consister en uneréduction du montant de l’allocation ou une suspension du paiement de celle-ci. Il doit également s’engager dans un nouveau plan d’action.
4. Troisième entretien d’évaluation
Un troisième entretien a lieu au plus tôt quatre mois après l’établissement du deuxième plan d’action. Si celui-ci a été respecté, un nouvelentretien a lieu douze mois plus tard. Dans le cas contraire, le chômeur est exclu définitivement du bénéfice des allocations.
Des recours sont possibles devant la Commission administrative générale. Le chômeur qui n’est pas d’accord avec une décision de l’Onem ou de la Commission administrativedu travail peut aussi introduire un recours judiciaire auprès du tribunal du travail.
Quelques enseignements
Première conclusion de la recherche, « l’ACR augmente sensiblement le taux de reprise d’emploi des chômeurs et ceci même avant les entretiens individuels avec lesfacilitateurs et l’imposition d’une éventuelle sanction ». Ainsi, en Flandre, huit mois après l’envoi de la lettre et avant la vérification des efforts de recherche,le taux de transition vers l’emploi était de 10 points de pourcentage (pp) plus élevé qu’en l’absence de l’ACR, pour 5 pp à Bruxelles et 6 pp en Wallonie. Desrésultats qui font noter aux chercheurs qu’un système de contrôle de la recherche d’emploi est plus efficace dans un marché du travail où les offres d’emploi sontabondantes. Ils notent également qu’en Wallonie, l’avertissement ne semble avoir d’effets positifs que pour les personnes les plus scolarisées et dans les arrondissements où lechômage est plus faible qu’ailleurs. En Flandre par contre, des effets positifs sont observés pour les plus scolarisés et les moins scolarisés, l’effet étantmême plus important pour ce dernier groupe.
Deuxième conclusion, en Flandre, lors des entretiens, « chaque évaluation négative des efforts de recherche provoque une augmentation supplémentaire du tauxd’embauche ». Ainsi, quatre mois après la première et la deuxième évaluation négative, l’effet sur le taux de transition vers l’emploi seraitrespectivement trois et quatre fois plus important qu’avant le premier entretien. Ce qui, en clair, au lieu des 10 pp plus élevés résultant de la lettre d’avertissement,donnerait 30 pp et 40 pp de taux de transition en plus. Un résultat qui s’explique, d’après les chercheurs, par « un taux de menace plus fort »…
Troisième conclusion, l’ACR aurait stimulé la participation aux formations. Huit mois après la réception de la lettre d’avertissement, le taux de participation auxformations était relevé de 4 pp en Flandre, 8 pp en Wallonie et 11 pp à Bruxelles.
Quelques précautions…
à la suite de ces conclusions pour le moins optimistes, les chercheurs prennent néanmoins quelques précautions. Ainsi, ces constats ne peuvent selon eux êtreimprudemment extrapolés aux autres tranches d’âges concernées ultérieurement (les moins de 30 ans ont été les premiers concernés par l’ACR).
Deuxièmement, même sous l’hypothèse que ces évaluations quantitatives puissent s’étendre à l’ensemble des tranches d’âge, l’ACR n’est, selon leschercheurs, qu’une composante de la lutte contre le chômage et ne peut avoir, dans sa forme actuelle, qu’un impact limité sur le chômage dans l’ensemble du pays. En 2009, lorsquetoutes les classes d’âge en dessous de 50 ans étaient concernées, 2,5 % des chômeurs complets indemnisés recevaient, par mois, la lettre d’avertissement. Uncontexte qui pousse les chercheurs à affirmer que l’ACR ne pourrait être « la panacée qui expliquerait la baisse de chômage » constatée entre2004 et 2008, plutôt due selon eux par une conjoncture favorable.
… et quelques recommandations…
Rayon recommandations, estimant que l’ACR et le contrôle de la disponibilité des chômeurs sont une contrepartie nécessaire d’une indemnisation illimitée deschômeurs en Belgique, les auteurs de la recherche notent que la procédure de l’ACR doit néanmoins être réformée. Il faudrait ainsi, premièrement,commencer le premier entretien d’évaluation plus tôt dans l’épi
sode de chômage.
Deuxièmement, il conviendrait de renforcer l’objectivité de la procédure d’évaluation. Afin d’éviter les erreurs à ce sujet, les chercheurs proposentnotamment la mise en place de balises claires pour les facilitateurs concernant la nature des preuves de recherche d’emploi considérées comme valides, sur les exigences de recherchepour des chômeurs « dans des situations ordinaires » et sur la manière d’évaluer les efforts réalisés. Ils notent également que lesfacilitateurs devraient pouvoir s’écarter de ces balises lorsque le chômeur se trouve dans une situation particulière.
Enfin, la recherche se penche sur une possible régionalisation complète du contrôle des chômeurs. Si elle pourrait selon elle présenter un avantage pratique, leschercheurs mettent toutefois en garde : les décisions des Régions dans l’interprétation des règles auraient des effets induits sur les dépensesfédérales de l’assurance chômage, sans que celles-ci n’en supportent le financement. Autre chose : en cas de régionalisation complète, les servicesrégionaux auraient à gérer la tension générée par le fait qu’ils concentreraient les missions de conseil, de contrôle et de sanction.
Oui, mais…
Si le constat global fait par la recherche au sujet de l’ACR semble pour le moins positif, certaines interrogations semblent tout de même de mise à son sujet. Un bon nombred’intervenants du secteur ne parlait d’ailleurs que de ça le 24 février, lors de la journée d’étude organisée sur le sujet au lendemain de la présentation dela recherche à la presse. En effet, si l’intitulé même de la recherche la cantonnait peut-être à rester dans les balises décrites plus haut et à selimiter à un registre très « orienté résultat », on peut tout de même se poser certaines questions. Ainsi, même si elle déclareavoir « (…) des indications que la perspective d’un contrôle (…) incite les chômeurs à accepter des emplois plus instables », la recherche ne se penchepas sur la question de la « qualité » des emplois ainsi décrochés. Contrat à durée déterminée ? Contrat àdurée indéterminée ? Intérim ? On ne le saura pas, même si concernant le salaire obtenu, la recherche concède que celui obtenu par le travailleurà la suite de l’ACR se voit raboté au maximum de 30 euros par mois.
De plus, même si la recherche appelle à objectiver les entretiens, pas un mot non plus sur le caractère discriminatoire observé de ceux-ci en ce qui concerne lespersonnes les plus fragilisées et dans l’incapacité de produire, voire de « fabriquer », des preuves de recherche, en comparaison avec des personnes plus« dotées » à ce niveau.
A ce propos, concernant le niveau d’études, on l’a vu, la recherche note qu’en Wallonie l’ACR tend à favoriser les personnes les plus scolarisées et ce, surtout dans lesarrondissements où le chômage est plus faible qu’ailleurs. En Flandre par contre, des effets positifs sont observés pour les plus scolarisés et les moins scolarisés,l’effet étant même plus important pour ce dernier groupe. Certes, mais le nombre d’offres d’emploi en Flandre est largement plus élevé qu’en Wallonie, ce qui peut expliquerle taux élevé de personnes à faible qualification trouvant de l’embauche. Ici encore, la question aurait pu être explorée de manière plus approfondie.
La taille restreinte de l’échantillon (1250 personnes à Bruxelles, 2500 en Flandre et 2400 en Wallonie) pose également question, comme le fait que l’impact des entretiensn’ait été mesuré qu’en Flandre.
Une étude d’économistes ?
A l’arrivée, l’impression qui prédomine est que l’on se retrouve avec une étude d’économistes, qui parle de chiffres, de coûts, de manière trèstechnique. Un constat qui n’est pas forcément mauvais et pourrait même être de nature à venir alimenter un débat tournant peut-être en rond dans ladénonciation du système sans proposer d’alternatives (voir à ce sujet l’article paru dans l’Alter Echos n° 272 du 18 mai 2009 : « Un « Plan B » pour le plan d’activation deschômeurs ? » ). Mais un constat qui montre aussi que cette recherche passe souvent sous silence, ou n’approfondit pas, les conséquences humaines de l’ACR. Undéfaut de taille si l’on envisage la réaction de Joëlle Milquet (CDH)3, ministre fédérale de l’emploi, à son sujet, en clôture de lajournée du 24.
Une Joëlle Milquet qui se félicitait du document et ne semblait donc pas trop s’inquiéter de ses manques. « Je me félicite de cette recherche de grandequalité, qui vient apporter quelque chose d’important puisqu’elle souligne le rôle positif de l’accompagnement et qu’elle émet une série de recommandations. »Des recommandations qui sont d’ailleurs dans la lignée de ce qui avait été mis sur la table dans la proposition de réforme du plan d’accompagnement des chômeurs(PAC) en mars 2010 (raccourcissement de la procédure, trajectoires spécifiques pour les personnes plus éloignées de l’emploi…). « Il y avait un accord,mais la chute du gouvernement a empêché sa mise en œuvre », explique Joëlle Milquet, avant d’envisager le futur du PAC : « Cette réglementation a sixans, elle doit être réformée. Il faut aller plus loin, avoir plus d’accompagnement, avec des moyens supplémentaires. [NDLR Concernant une éventuellerégionalisation] (…) je ne suis pas contre un contrôle de la disponibilité au niveau régional, mais il ne faut pas que cela ravive le débat. Dans un cadreoù chacun possède son autonomie, il faut appliquer le dispositif de la même manière. »
Une ministre qui dit néanmoins également avoir conscience de la réalité sociale entourant le sujet. « Il reste des problèmes, tout n’est pas rose etil reste des situations d’échec. Mais il y a des gens qui trouvent du travail, il y a un retour massif vers la formation. (…) La mise en place du PAC donne des résultats et acontribué à la fin d’un mythe où les allocations étaient un droit acquis à vie, sans tenir compte du fait qu’il y a des droits et des devoirs également pourles pouvoirs publics en termes de création d’emploi. Nous pouvons difficilement défendre un système illimité dans le temps s’il n’y a pasd’accompagnement. »
Le message semble d’ailleurs être bien passé dans la presse quotidienne : le jour même, le jeudi 24 février, le quotidien Le Soir titrait :« Pas inhumain, le suivi des ch&oci
rc;meurs »…
1. UCL :
– adresse : place de l’Université 1 à 1348 Louvain-la-Neuve
– tél. : 010 47 21 11
– site : www.uclouvain.be
2. Universiteit Gent Sint-Pieters :
– adresse : rue nieuwstraat 25 à 9000 Gent
– tél.: 09 264 31 11
– site : www.ugent.be
3. Cabinet de Joëlle Milquet, ministre fédérale de l’Emploi :
– adresse : av. des Arts, 7 à 1210 Bruxelles
– tél.: 02 220 20 11
– courriel : milquet@milquet.belgium.be
– site : www.milquet.belgium.be