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Activation : pour les personnes handicapées aussi

Dans le torrent médiatique qui a accompagné les négociations du dernier accord interprofessionnel et son accouchement au forceps par le gouvernement fédéral,certains points de l’accord ont été presque passés sous silence. Le dégagement d’une enveloppe de 5 millions d’euros pour une politique d’activation des personneshandicapées est de ceux-là. Qu’en est-il, quelques mois plus tard, alors que la secrétaire d’État aux Familles et aux Personnes handicapées, GisèleMandaila1 (MR), vient de dévoiler à la presse ses projets en la matière ?

13-09-2005 Alter Échos n° 193

Dans le torrent médiatique qui a accompagné les négociations du dernier accord interprofessionnel et son accouchement au forceps par le gouvernement fédéral,certains points de l’accord ont été presque passés sous silence. Le dégagement d’une enveloppe de 5 millions d’euros pour une politique d’activation des personneshandicapées est de ceux-là. Qu’en est-il, quelques mois plus tard, alors que la secrétaire d’État aux Familles et aux Personnes handicapées, GisèleMandaila1 (MR), vient de dévoiler à la presse ses projets en la matière ?

À certains égards, les conditions d’une politique d’activation efficace pour les personnes handicapées renvoient à des dimensions sortant du strict domaine de l’emploi– en cela, elles ne diffèrent de celles nécessaires pour les personnes valides que par une question de degrés. Ce sont, entre autres, des mesures globales en termes demobilité, d’accessibilité des bâtiments et des formations, d’accompagnement à l’autonomie qui sont nécessaires pour donner une chance de succès aux politiquesd’activation.

La Belgique, mauvaise élève

Or, selon des chiffres émanant de la Commission européenne2, la Belgique serait particulièrement mal placée en la matière, avec un taux d’emploi de 17% – pour 51 % aux Pays-Bas. Les tendances apparaissent donc assez nettement (et assez défavorablement en ce qui concerne la Belgique) même si, selon Michel Mercier3,professeur de psychologie aux Facultés de Namur et spécialiste des politiques d’intégration des personnes handicapées, ces chiffres doivent être pris avec despincettes. Les définitions et les catégorisations du « handicap » varient d’un pays à l’autre et rendent donc les comparaisons internationales un peu hasardeuses.

Pour Pascal Thiange, secrétaire politique de l’asbl ACIH-AAM (Association chrétienne des invalides et handicapés4), c’est d’un changement radical deréflexion que nous avons besoin pour réussir l’intégration de ce public dans l’emploi : « Il faut cesser de penser que c’est uniquement la personne qui esthandicapée et se rendre compte, comme l’ont par exemple intégré les politiques suédoises, que c’est aussi la société qui est handicapante. »

C’est partiellement à cette fin que devrait servir le Fonds visant à promouvoir l’accès à l’emploi des personnes handicapées mis en place cette année avecles 5 millions d’euros dégagés par l’accord interprofessionnel fédéral. Ce Fonds, géré paritairement par les partenaires sociaux, permettra l’engagement dece que le cabinet Mandaila appelle des « chasseurs de tête » chargés de l’accompagnement, la promotion et l’information sur ce sujet auprès des entreprises.

Des mesures principalement fiscales

Les récentes propositions de la secrétaire d’État sortent cependant de ce cadre et s’attaquent surtout aux pièges à l’emploi qui pèsent encore tropsouvent sur les personnes handicapées. La mesure phare est donc de nature fiscale et devrait être réfléchie avec les ministres Van den Bossche (Emploi – SP.A) et Demotte(Affaires sociales – PS). Il s’agirait d’augmenter l’abattement fiscal des revenus professionnels des personnes handicapées : cet abattement est pour le moment de 10 % mais GisèleMandaila souhaite le rendre progressif (100 % en-dessous de 2.400 euros, 75% entre 2.400 et 4.800, etc.). Un dispositif qui aura pour effet d’augmenter le différentiel entre travail etallocations, même pour les personnes à faible activité – qui pourraient cumuler, bien plus qu’actuellement, revenus professionnels et allocations de remplacement de revenu(ARR).

Avec un coût évalué à 10 millions d’euros, cette proposition devrait être prochainement présentée au Conseil supérieur national de la personnehandicapée. Plusieurs des membres de ce Conseil s’étonnent pourtant d’avoir été d’abord informés par la presse du contenu des politiques prévues. Lors de ladernière réunion du Conseil, le 5 septembre (qui suivait de trois jours l’annonce du projet dans Le Soir), les membres n’auraient d’ailleurs pas reçu d’informations plusprécises sur le détail des propositions.

Quant au contenu même, l’appréciation est mitigée. « Une mesure bienvenue, commente Gisèle Marlière, directrice de l’ASPH (Association socialiste de lapersonne handicapée5), mais qui n’aura pas autant d’effet qu’on veut bien l’annoncer. Si l’abattement est en effet fort bas en matière d’allocation de revenus deremplacement, il l’est beaucoup moins pour ceux qui bénéficient d’une allocation d’intégration [allocation cumulée, accordée aux personnes connaissant desproblèmes d’autonomie]. L’abattement y est de 18.400 euros. »

La proie pour l’ombre

Pour Gisèle Marlière, une mesure bien plus prioritaire aurait consisté à établir un système d’allocation provisoire pour les personnes qui quittentl’emploi sans avoir droit au chômage. Pour le moment, le délai légal d’attente pour que l’administration statue sur un dossier et décide, le cas échéant, deréattribuer les allocations, est en effet de 8 mois. Délai qui, dans les faits, n’est même pas toujours respecté… Dans ces circonstances, le choix du travailqu’effectuerait une personne handicapée bénéficiant d’allocations s’apparente souvent à une décision de « lâcher la proie pour l’ombre ».

Outre ce système d’allocations provisoires, l’ASPH plaide également en faveur d’un renforcement du personnel du service « Personnes handicapées » au sein du SPFSécurité sociale – afin de permettre un traitement plus rapide des demandes d’allocations.

Du côté du cabinet Mandaila, on confirme l’intention de diminuer de deux mois le délai légal actuel d’examen du dossier – et donc de passer de 8 à 6 mois.Est également annoncée la mise sur pied d’un dispositif d’« allocations dormantes », auxquelles la personne handicapée aurait immédiatement droit dans le casoù elle se retrouverait sans emploi et sans s’être ouvert de droit à des revenus de remplacement. Serait ainsi évité « le syndrome proie-pour-l’ombre».

Des quotas qui n’en sont pas

Enfin, une des questions les plus sensibles en matière d’activation des personnes handicapées est, comme dans d’autres domaines, celle des quotas. Peu d’acteurs y sont formellementfavorables, notamment en raison de la connotation négative associée au terme et de l’inévitable stigmatisation qui rejaillirait sur les travailleurs ayant un handicap via un telsystème. Certaines mesures défendues s’y apparentent néanmoins, en maniant à la fois l’incitation et la contrainte, la carotte et le bâton.

Ainsi, une des propositions auxquelles réfléchit le cabinet Mandaila consisterait à demander aux entreprises d’engager une proportion déterminée de personneshandicapées (4 % par exemple). Celles qui seraient au-dessus se verraient récompensées par une prime, les autres pénalisées par une taxe compensatoire (ou desolidarité). Selon Michel Mercier, ce sont précisément les pays européens qui ont mis en place des systèmes apparentés aux quotas – Allemagne, France,Portugal – qui peuvent se prévaloir de la meilleure efficience (rapport entre coûts et résultats) en matière de mise au travail du public handicapé.

Si, pour lui, les mesures visant à combattre les pièges à l’emploi sont les bienvenues, elles n’agissent cependant qu’au niveau de l’offre de travail. Pour êtreefficaces, les politiques doivent également avoir un impact sur la demande émanant des entreprises. Cette demande peut évidemment être stimulée par un travail– de longue haleine – sur les représentations du handicap et des personnes handicapées, mais elle le sera plus sûrement et plus rapidement par l’imposition de quotas,fussent-ils soft.

On notera qu’en Belgique, des quotas existent pour la fonction publique, qui sont cependant loin d’être respectés. Le récent Plan diversité lancé par le ministrede l’Intégration sociale Christian Dupont (PS) notait que la fonction publique fédérale ne comptait que 0,8 % de travailleurs handicapés – alors même qu’unquota de 2 % y est institué6.

Du côté de l’ACIH, Pascal Thiange redoute que les quotas ne se révèlent contre-productifs dans la mesure où ils jettent la suspicion sur la véritableraison de l’engagement d’un travailleur. Selon Gisèle Marlière, au contraire, ce doute existe déjà pour tous les dispositifs incitatifs existant actuellement, notammentles primes régionales de l’Awiph (Agence wallonne pour l’intégration des personnes handicapées). À cet égard, l’imposition de quotas ne constituerait donc pas unchangement radical. De toute façon, la réflexion, telle qu’elle semble s’amorcer, explore des procédures beaucoup moins contraignantes que le quota strict et chercheraitplutôt une voie médiane entre imposition et incitation, primes et pénalités.

Quoi qu’il en soit de ces différences de vue, tant Pascal Thiange que Gisèle Marlière regrettent encore une fois que les mesures annoncées à la presse n’aientpas fait l’objet d’une consultation préalable des associations concernées.

Au-delà des enjeux politiques particuliers, se profile la question d’un véritable changement des perceptions du handicap. D’après Michel Mercier, le fait d’insister surl’activation des allocations pour les personnes handicapées contribue à sortir d’une représentation de la personne comme simplement inadéquate et victimisée. Dansles nouvelles classifications développées au niveau mondial, le handicap se voit défini comme la rencontre de déficiences non seulement de la personne, maiségalement de son environnement, et de la société en général (la « société handicapante » mentionnée supra).

De façon un peu paradoxale, la volonté d’activer les allocations des personnes handicapées – même si au cabinet Mandaila, on réfute le terme et lesconnotations de sanction qui lui sont attachées – permettrait de renvoyer en miroir la question de l’inclusivité et de l’« accessibilité pour tous » de nossociétés. Prises aux sérieux, ces politiques d’activation pourraient même contraindre la société à faire face à son caractèrehandicapant.

1. Cabinet Mandaila, Rue Lambermont, 2 à 1000 Bruxelles – tél. : 02 233 83 36.

2. Voir le site : http://europa.eu.int
3. Michel Mercier, FUNDP, Département de psychologie, rue de Bruxelles, 61 à 5000 Namur – tél. :081 72 43 99- courriel : michel.mercier@fundp.ac.be
4. ACIH-AAM asbl, chaussée de Haecht, 579, BP 40 à 1031 Bruxelles – tél 02 246 42 26 – courriel : acih-aam@mc.be
5. ASPH asbl, rue Saint-Jean, 32-38 à 1000 Bruxelles – tél : 02 515 02 65 – courriel : asph@mutsoc.be
6. Il faut cependant préciser qu’un certain nombre de travailleurs handicapés ne désirent pas être comptés comme tels et ont obtenu leur poste en dehors de toutsystème de quotas. Ceux-là ne sont pas repris dans les statistiques mentionnées.

Edgar Szoc

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