Nous engloutissons chaque année 800 millions de pains et plus d’un milliard de sandwichs et autres pistolets en Belgique. Un produit incontournable dans nos assiettes, mais qui souffre aujourd’hui d’une industrialisation exacerbée et d’une qualité qui ne cesse de diminuer. Heureusement certains acteurs, comme Agribio1, s’engagent pour contrer ce mouvement. En promouvant la filière courte, Agribio entend court-circuiter le modèle économique de l’industrie agroalimentaire, privilégiant le local et le durable, mais aussi un engagement social qui implique d’autres acteurs de terrain et profite au consommateur final.
Comme dans bien des secteurs de notre système agroalimentaire, la qualité nutritionnelle des produits, le maintien de la biodiversité, la valorisation des savoir-faire et le fait de privilégier une production locale ne semblent pas être les priorités : c’est ce que la campagne « A quel pain se vouer ? », lancée par le Rabad (Réseau des acteurs bruxellois pour une alimentation durable)², tend à démontrer dans un rapport circonstancié sur la filière du pain (voir http://www.rabad.be).
Selon ce rapport, ce qui semble privilégié, c’est une agriculture intensive du blé panifiable essentiellement importé de l’étranger (seuls 5 % de la production céréalière belge sont consacrés à l’alimentation humaine), sélectionné pour sa productivité et dont la culture se base sur une utilisation massive d’intrants et autres produits de synthèse. La transformation du grain se réalise dans des meuneries industrielles qui donnent une farine expurgée des composés importants de la céréale (comme le son), et les procédés de fabrication du pain, eux aussi industriels, aboutissent à une piètre qualité nutritionnelle du produit fini. Sur un plan économique, la volatilité des prix des céréales et la spéculation sur les produits agricoles déstabilisent les agriculteurs confrontés à des variations de prix importantes et difficilement prévisibles.
Pour contrer cette lame de fond, certains agriculteurs s’engagent dans une voie différente, convaincus que le système agricole actuel, basé sur une productivité maximale, n’est pas tenable à long terme, tant pour la planète que pour le consommateur et l’agriculteur. Le défi de la coopérative Agribio, créée il y a dix ans à la ferme de Buzin (Havelange), a été d’inscrire ses activités dans un circuit complet. De la culture des céréales à la confection de pains, avec des distances les plus courtes possibles entre production, transformation et distribution, et une culture respectueuse de l’environnement. C’est aujourd’hui chose faite, explique Bruno Greindl, fondateur de la coopérative, dont le leitmotiv est très clair : « L’agriculture doit revenir à ses fondamentaux : nourrir le monde autour d’elle de manière saine et se réapproprier la maîtrise du produit, aujourd’hui aux mains de l’industrie agroalimentaire ». Agribio a également pris le parti de s’associer à la Ferme de Thioux³, une asbl active dans le domaine de la réinsertion sociale de personnes toxicomanes. La boulangerie, partagée par les deux structures, permet une production de pains de nuit et la participation des résidants de la Ferme de Thioux aux activités de boulangerie, afin de leur permettre une réinsertion progressive.
« L’agriculture doit revenir à ses fondamentaux : nourrir le monde autour d’elle de manière saine et se réapproprier la maîtrise du produit, aujourd’hui aux mains de l’industrie agroalimentaire » Bruno Greindl, Agribio
Une culture respectueuse du produit et de l’environnement
Lorsque Bruno Greindl, fermier plutôt intello, s’est lancé dans l’agriculture, il y a vingt ans, il s’est vite rendu compte de l’absurdité des procédés dits traditionnels : « Après l’épandage des produits phytosanitaires, je me rendais compte du désert de froment ainsi créé (plus d’insectes, plus de fleurs, plus d’oiseaux). C’est pourquoi j’ai choisi le bio même si, à l’époque, celui-ci véhiculait une image austère, qui continue d’être contaminée par certains partisans rabiques. Cultiver bio a radicalement transformé ma manière de travailler la terre : aujourd’hui, j’alterne cultures céréalières et prairies, je laboure le moins profond possible pour maintenir la vie microbienne. On a replanté des haies pour favoriser la biodiversité. Je n’utilise ni engrais chimiques, ni pesticides, conformément aux critères du label Ecocert. » Pour le choix des céréales (froment, épeautre, sarrasin et seigle), c’est la qualité boulangère qui a été prise en compte, mais aussi la rusticité des grains et leur adéquation à une culture biologique.
Agribio transforme ensuite cette matière première en farine. Auparavant, elle confiait son grain à des intervenants extérieurs, des meuneries (ou minoteries) industrielles, à haut rendement, dont les procédés techniques abîment le grain et produisent une farine à laquelle sont ajoutés émulsifiants, conservateurs et autres additifs. De plus, la baisse de la consommation de pain (près d’un tiers en 50 ans) a amené les minoteries à proposer de nouveaux produits (mélanges de farines, produits surgelés ou précuits), avec une recherche de rentabilité maximale, au détriment de la qualité. Pour ne plus dépendre de ce maillon de la chaîne, la coopérative dispose aujourd’hui de sa propre infrastructure de transformation : le grain est stocké dans un hangar construit en bois de pays. L’ensemble des céréales est moulu sur place, dans des moulins à meule de pierre qui respectent la céréale. Quelque 150 à 200 tonnes en provenance des terres d’Agribio sont transformées sur place, ainsi que la production d’autres agriculteurs céréaliers bio qui confient leur grain à la coopérative.
Un investissement dans l’humain
Si une partie de la farine est vendue comme telle, près de la moitié de la production « subit » depuis l’an dernier une dernière transformation maison, grâce à la collaboration de la Ferme de Thioux, situé à quelques kilomètres de Buzin, sur la commune de Porcheresse. La Ferme de Thioux, c’est une communauté thérapeutique qui propose un parcours de vie et un travail de réinsertion à des personnes dépendantes (alcool, drogues, médicaments…). C’est la rencontre l’an dernier entre Agribio et Laurent, le boulanger de la Ferme de Thioux, qui a permis une collaboration win-win : en échange d’une utilisation durant la nuit pour l’usage d’Agribio, l’atelier de boulangerie s’est doté d’un four professionnel au gaz, ce qui permet aux résidants des Thioux de s’exercer sur du matériel pro en journée. Encadré par Eric Maes, éducateur spécialisé et boulanger de profession, Yassine, Franz et les autres apprennent à se responsabiliser en produisant le pain qui sera sur les tables de la communauté. Comme l’explique Eric Maes, « nous recevons également la visite de consommateurs désireux d’acheter le pain d’Agribio et soucieux d’encourager notre démarche ». La nuit, c’est Laurent qui succède aux pensionnaires. Tous utilisent la farine venue directement de la ferme de Buzin, produisent un pain au levain, bio bien sûr, sans additifs et auquel on a laissé le temps de lever sans artifices.
Ce sont quelques sept tonnes de pains et autres viennoiseries qui sont ainsi produits chaque mois et ensuite commercialisés, en vente directe ou acheminés dans des dépôts à Namur, en Gaume ou encore à Bruxelles. Une boucle bouclée qui fait de plus en plus ses preuves.
Des projets à venir
Grâce à de nouveaux coopérateurs-investisseurs, la ferme de Buzin devrait prendre de l’expansion dans les mois à venir. Très excité par ce projet, Bruno Greindl arpente la ferme en expliquant comment une nouvelle boulangerie va prendre place, tout à côté de la meunerie, permettant ainsi de travailler in situ le grain jusqu’au pain. Pour aborder cette nouvelle évolution, Bruno Greindl va s’entourer de nouveaux coopérateurs-investisseurs.
Pour la gestion quotidienne, il est assisté depuis 2009 de Christophe Portier, chargé de la gestion et du développement des produits, mais aussi de Pascal à la meunerie, Laurent à la boulangerie et un autre collaborateur pour les livraisons. Agribio reste avant tout une petite équipe. Côté rentabilité, Bruno Greindl étonne toutefois quand il énonce ne pas faire de plan financier, mais plutôt expérimenter. Un luxe que les subsides au bio et d’autres ressources permettent sans doute, mais qui interroge sur la « durabilité » du modèle économique.
Grâce à de nouveaux coopérateurs-investisseurs, la ferme de Buzin devrait prendre de l’expansion dans les mois à venir. Très excité par ce projet, Bruno Greindl arpente la ferme en expliquant comment une nouvelle boulangerie va prendre place, tout à côté de la meunerie, permettant ainsi de travailler in situ le grain jusqu’au pain. Pour aborder cette nouvelle évolution, Bruno Greindl va s’entourer de nouveaux coopérateurs-investisseurs. Pour la gestion quotidienne, il est assisté depuis 2009 de Christophe Portier, chargé de la gestion et du développement des produits, mais aussi de Pascal à la meunerie, Laurent à la boulangerie et un autre collaborateur pour les livraisons. Agribio reste avant tout une petite équipe. Côté rentabilité, Bruno Greindl étonne toutefois quand il énonce ne pas faire de plan financier, mais plutôt expérimenter. Un luxe que les subsides au bio et d’autres ressources permettent sans doute, mais qui interroge sur la « durabilité » du modèle économique.
1. Agribio, Buzin :
– 5 à 5370 Havelange
– tél. : 083 63 41 70
– GSM : 0494 90 90 47
– courriel : info@agribio.be
– site : http://www.agribio.be
2. Rabad :
– adresse : rue Montserrat, 28 à 1000 Bruxelles
– tél. : 0488 99 44 88
– courriel : info@rabad.be
– site : http://www.rabad.be
3. Ferme de Thioux :
– adresse : rue Albert Billy, 48 à 5370 Porcheresse
– tél. : 083 63 49 99
– courriel : secretariat@lafermedethioux.be
– site : http://www.lafermedethioux.be