Ahmed Akim est directeur du centre de médiation des Roms et des gens du voyage. Il revient pour Focales sur son travail, sur la médiation et, bien sûr, sur les Roms et les gens du voyage.
Interview extraite du Focales n°24, Gens du voyage : la médiation, pour apaiser les tensions, avril 2016. A télécharger gratuitement ici.
Focales : Comment est né le centre de médiation des Roms et gens du voyage ?
Ahmed Akim : Au début des années 2000, en Belgique francophone, il n’y avait pas de lieu, pas de service qui avait la connaissance, la préoccupation ou même des informations au sujet des gens du voyage. Les autorités étaient confrontées à des interpellations d’édiles locaux, d’administrations, d’habitants ou de gens du voyage. Personne ne pouvait répondre à ces sollicitations. En 2001, on est venu me chercher car j’avais une expérience dans la médiation interculturelle. J’ai mis en avant la médiation, mais conçue sous un angle positif. C’est dans cette logique qu’a été créé le centre de médiation.
Focales : Qu’entendez-vous par « angle positif » sachant que les interpellations proviennent souvent de frictions entre habitants et gens du voyage ?
AA: L’idée est que la médiation s’axe moins sur la gestion de conflit que sur la création du lien. Le conflit en lui-même est assez ingérable car de nombreuses dimensions lui sont attachées. Une dimension émotionnelle, historique, politique, juridique. Nous tentons d’y répondre en faisant le lien entre autorités locales, habitants et gens du voyage; en travaillant la dimension individuelle, c’est- à-dire en faisant de l’accompagnement, par exemple pour les inscriptions à l’école ou les démarches administratives, et la dimension collective, via des campagnes de sensibilisation. Certes, nous produisons de l’information, de l’analyse, mais, très concrètement, lorsqu’un bourgmestre est face à des dizaines de personnes dans 50 caravanes, il attend quelqu’un pour entrer en contact avec eux. Notre principe est avant tout d’être présents physiquement.
Focales : C’est donc l’ancrage de terrain qui est primordial pour vous ?
AA: C’est une de nos caractéristiques. Nous n’avons jamais voulu nous transformer en observatoire sur les gens du voyage. Le biais est pourtant facile de se limiter à l’observation et à la production d’analyses en oubliant que les différents interlocuteurs souhaitent une présence de terrain. Nous ne représentons pas les gens du voyage. Nous nous soucions de leurs besoins, mais aussi des besoins des autorités et des riverains.
Focales : Votre effectif compte sept équivalents temps pleins, est-ce suffisant pour couvrir tout le territoire ?
AA: Au départ, nous ne couvrions que la Région wallonne. Aujourd’hui, nous travaillons sur tout le territoire de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Et, en effet, notre effectif est limité par rapport à l’ampleur de la tâche. On nous contacte souvent pour intervenir. Je tiens d’ailleurs à souligner le vide terrible de Bruxelles dans ce domaine. Absolument rien n’y est prévu pour les gens du voyage qui sont devenus, de fait, persona non grata dans toute la région. Si un groupe arrive, on les fait partir dans l’heure. Et la situation se dégrade car, il y a dix ans, il y avait au moins une forme de tolérance. En comparaison, la Région wallonne fait des efforts.
Focales : Comment définiriez-vous la notion de médiation ?
AA : C’est un service proposé par le médiateur qui se situe entre les autorités locales et une catégorie de la population. Le terme peut être abordé selon différents angles. La médiation recouvre la notion de « tiers » qui implique d’être indépendant. Certes, l’indépendance est relative, mais elle est nécessaire. Cela permet d’établir une relation égalitaire entre les parties et le médiateur lui-même. Ce qui est certain, c’est que nous voulons éviter le médiateur-écran, celui qui devient indispensable. Lorsque tout doit passer par lui, alors il ne crée plus le lien. Nous le concevons comme un facilitateur. La meilleure intervention, c’est quand il n’y a rien à dire. Parfois, la seule présence suffit à ce que cela se passe bien.
Focales : La méfiance doit souvent être de mise entre ces groupes ?
AA: L’été dernier, nous avons été contactés à la suite de l’installation de près de 200 cara- vanes – environ 600 personnes – sur un terrain semi-public. Avant d’entrer sur le terrain, les autorités avaient peur de la rencontre, se demandaient comment cela se passerait. Je les ai accompagnées au milieu du groupe de gens du voyage que j’avais contacté au préalable. Très vite il a été question de la présence du groupe, des modalités de leur séjour, de la date de leur départ. Cela permet d’instaurer un minimum de confiance. Ce n’est pas gagné car, de leur côté, les gens du voyage ressentent aussi de la crainte. Des deux côtés, on craint ce qu’on ne connaît pas. À l’issue d’une discussion concrète, les gens sont partis avec le sourire. Mais, dans d’autres cas, je n’ai jamais triomphé de la méfiance, de l’angoisse lorsqu’elle est trop ancrée dans des a priori.
Focales : Cette position « tierce » implique de bien connaître cette catégorie de la population ?
AA: Quand j’ai commencé, on ne savait pas vraiment à qui on parlait. Nous projetions des images qui étaient à l’opposé de ce que sont les gens du voyage. On pensait qu’ils venaient de très très loin. Concrètement, lorsqu’on évoque les gens du voyage on parle de gens d’Europe occidentale qui ont comme particularité l’habitat mobile. Cela concerne environ 20.000 personnes en Belgique. Un chiffre qui ne dit pas grand-chose car il ne parle pas des milliers de gens qui traversent le pays et viennent de France, du Royaume-Uni ou d’Allemagne.
Focales : Sur les 20.000 personnes, vous parlez essentiellement de Belges…
AA: Oui, et lorsque j’ai commencé on analysait souvent l’enjeu comme une lutte séculaire entre nomades et sédentaires, comme un dé à « nos » modes de vie. Mais le pouvoir politique représente l’ensemble de la population, dans sa diversité, ce qui inclut les gens du voyage. C’est important et les autorités commencent à le comprendre.
Focales : Comme l’intitulé de votre centre l’indique, vous vous occupez aussi de populations roms…
AA : Dès 2002, certains services nous contactaient pour intervenir auprès de groupes qu’ils nommaient « gens du voyage ». Et, surprise, lors de mon intervention, je voyais que ces personnes n’avaient pas le même profil que les gens du voyage. Ils ne parlaient pas le français. N’avaient pas de caravane et disaient d’eux-mêmes qu’ils n’étaient pas des « voyageurs ». Ils mettaient en avant leur nationalité : Roumains, Slovaques, Serbes. À ce moment-là, comme ces populations ne sont pas nomades, nous n’intervenions pas. Mais les demandes se sont multipliées. On nous demandait de les accompagner à l’école, dans des hôpitaux, au Forem. Institutionnellement, nous avons alors décidé de travailler avec la population rom même s’ils n’ont rien à voir avec les gens du voyage, si ce n’est une histoire commune très lointaine et quelques traits linguistiques et culturels. Malgré tout, nous avons changé de nom et nous nous sommes mis à travailler avec les Roms en différenciant bien les deux projets, afin d’éviter de les mettre dans le même sac. Cette question a posé des difficultés au niveau européen où la catégorie « Roms » regroupe un peu toutes les minorités. En termes très pratiques d’efficacité des politiques publiques, il faut les distinguer car les problèmes sont différents. Rien n’est plus différent qu’un voyageur liégeois qui habite dans sa caravane et un Rom de Roumanie qui a des problèmes de séjour.
Focales : Au centre, vous formez aussi des médiateurs…
AA: La première fois que nous avons formé des médiateurs, c’était en 2012. Nous formons des médiateurs qui sont déjà sur place et ont besoin d’encadrement. Mais il y a un réel dé cit de postes de médiateurs. Souvent des médiateurs issus de communautés de gens du voyage ou de Roms font ça bénévolement. Ils aident à faire le lien.