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Regard critique · Justice sociale

Sans-abri

Aide aux sans-abri: une réforme en demi-teinte

La nouvelle ordonnance relative à l’aide aux sans-abri a été votée au parlement bruxellois. On attend désormais les arrêtés d’application. Mais, si elle amène de grandes avancées, beaucoup jugent encore cette réforme imparfaite.

Grégoire Comhaire 19-03-2019 Alter Échos n° 472
Fire warfare : Incendiaries and flame throwers- United States. Office of Scientific Research and Development. National Defense Research Committee, issuing body 1946- Détail

La nouvelle ordonnance relative à l’aide aux sans-abri a été votée au parlement bruxellois. On attend désormais les arrêtés d’application. Mais, si elle amène de grandes avancées, beaucoup jugent encore cette réforme imparfaite.

La réforme du secteur de l’aide aux sans-abri est sur les rails. La nouvelle ordonnance a été votée en mai 2018 au parlement bruxellois. Le collège réuni de la Commission communautaire commune (Cocom) planche désormais sur les différents arrêtés d’application pour la mettre en œuvre.

Cette réforme était attendue depuis longtemps. En région bruxelloise, jusqu’à présent, aucun texte ne réglementait spécifiquement l’aide aux sans-abri. Celle-ci relevait de l’ordonnance de 2002 relative à l’aide aux personnes. Un texte dépassé, par rapport aux réalités de terrain. «De nombreux services n’étaient pas repris dans le texte, explique Christine Vanhessen, directrice de la Fédération des maisons d’accueil et des services d’aide aux sans-abri (AMA). On pense notamment aux projets de Housing First ou aux services d’accueil de jour.»

Nombreux étaient les acteurs en demande de reconnaissance et de subsides de la part des pouvoirs publics. La déclaration de politique générale de 2014 prévoyait donc cette réforme, laquelle a été opérée sous le giron des deux ministres de tutelle à la Cocom: Pascal Smet (SP.A) et Céline Fremault (CDH).

Rééquilibrage

Le texte, tel qu’adopté l’année dernière, réorganise la politique d’accueil des sans-abri, dans la capitale, en quittant le seul prisme de l’aide d’urgence, qui guidait les esprits jusqu’alors. «Il s’agit de rééquilibrer le travail d’action sociale par rapport à l’aide d’urgence», déclarait ainsi la ministre Céline Fremault, l’an dernier, dans les colonnes de la Dernière Heure. Le Samusocial prenait une part disproportionnée de l’enveloppe, estimait la ministre. Ce ne sera plus le cas désormais. D’autant que l’ancienne structure devrait laisser place à une nouvelle: le «New Samu social», qui prendra la forme d’une asbl de droit public répondant à un contrat de gestion en bonne et due forme.

Désormais, la nouvelle ordonnance organise la prise en charge des sans-abri à travers un parcours en plusieurs étapes. Toute prise en charge débutera par un enregistrement au sein d’un guichet central, baptisé «Brux’help», dont le rôle sera à la fois d’orienter la personne sans abri vers le service adéquat mais aussi de coordonner l’aide aux sans-abri. Brux’help constituera aussi une sorte de base de données à laquelle tous les services agissant en aval auront accès. Un peu comme un dossier médical global… Cette trajectoire s’inspire d’initiatives similaires observées à Amsterdam et à Londres par le pouvoir politique.

«Grosso modo, on commence par l’enregistrement dans la base de données, puis on passe à l’hébergement d’urgence, puis à la réinsertion en centre de jour puis enfin au logement, explique Christine Vanhessen. Cette idée de parcours n’est pas mauvaise en soi, mais nous la trouvons un peu simpliste. Il faut un peu plus de souplesse dans la vision des choses. Certaines personnes se retrouvent en effet en hébergement de jour sans être passées par l’hébergement d’urgence.»

Si le secteur salue globalement l’arrivée de cette réforme, les inquiétudes persistent, notamment en ce qui concerne ce fameux dossier globalisé et le partage des données personnelles. «Mais c’est dans l’ADN des travailleurs sociaux de se méfier de telles choses, avoue Christine Vanhessen. Pour l’instant, le système n’existe même pas encore. Nous sommes un peu dans le flou.»

«La nouvelle ordonnance donne une place prépondérante au ‘New Samusocial’. Elle lui accorde la prééminence sur les autres centres et dispositifs d’insertion.» Alain Maron, député régional Écolo.

Occasion manquée

Invité surprise dans le débat: le scandale du Samu social, qui éclate en juin 2017, et provoque l’ouverture d’une commission d’enquête, au sein du parlement bruxellois. «On aurait pu saisir l’occasion pour réaliser une vraie réforme qui prenne en compte les demandes du secteur», estime Alain Maron, député régional Écolo. «Malheureusement, c’est une occasion manquée. Dès le début, nous avons demandé que les représentants du secteur soient auditionnés devant la commission d’enquête, mais cela nous a été refusé.»

Le secteur sera finalement auditionné, mais en commission des affaires sociales. Le projet de réforme ne déviera pas pour autant de sa trajectoire. Au grand dam de l’opposition qui fustige un projet désincarné des réalités de terrain. «La majorité avait bétonné sa réforme depuis le début et n’a rien voulu modifier», poursuit Alain Maron. «Les demandes du secteur n’ont pas été prises en compte. Écolo-Groen avait également demandé un plan pluriannuel qui comprenne des objectifs chiffrés de diminution du nombre de sans-abri, des objectifs opérationnels, ainsi qu’une planification budgétaire indicative de répartition des moyens, comme cela se fait dans les pays à la pointe. Mais rien! Au final le texte a été adopté majorité contre opposition.»

Écolo ne se satisfait pas non plus des promesses de rééquilibrage annoncées par le gouvernement. «La nouvelle ordonnance donne une place prépondérante au ‘New Samusocial’. Elle lui accorde la prééminence sur les autres centres et dispositifs d’insertion. Le texte oblige le gouvernement à attribuer les moyens budgétaires qui seront estimés nécessaires par le New Samusocial, pour des places d’urgence. Pour les autres dispositifs par contre, ceux qui veillent à l’insertion et à la sortie de rue, on attribue les subsides ‘sous réserve des moyens disponibles’. On est donc toujours dans une prédominance de l’aide d’urgence.»

Budget

Si le texte a bel et bien été voté, les arrêtés d’application se font toujours attendre. La première version de l’un d’entre eux, consacrée aux procédures d’agrément, a été adoptée en première lecture. Celui consacré à la création de Brux’help, et celui consacré au New Samu social, devraient arriver d’ici peu. «Mais on sent une certaine fébrilité de la part de nos ministres qui ont manifestement envie de boucler cette réforme avant la fin de cette législature», explique Christine Vanhessen.

Pour autant, de nombreuses questions restent en suspens. le secteur craint que l’enveloppe allouée ne soit pas suffisante car la Cocom travaille avec une enveloppe fermée. Le gouvernement annonce 35 millions d’euros par an. «Mais pour nous cette réforme n’est pas aussi ambitieuse qu’annoncé. Je ne suis pas sûre qu’avec une telle enveloppe, on puisse financer efficacement tous les services qui ont en besoin», craint Christine Vanhessen.

Grégoire Comhaire

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