Nous en avons parlé dans Alter Échos à plusieurs reprises déjà, un arrêt de la Cour d’arbitrage du 22 juillet 2003 reconnaissait aux enfants depersonnes illégales le droit d’obtenir en Belgique une aide sociale des CPAS. Afin d’exclure tout détournement éventuel au profit des parents, l’arrêtprécisait que l’aide devait être limitée aux besoins propres à l’enfant et être accordée sous la forme d’une aide en nature ou d’uneprise en charge de dépenses : une partie du loyer, repas chauds à l’école, colis alimentaire…
L’État riposte
Le législateur, guidé par le postulat selon lequel des conditions de vie déplorables incitent les illégaux à quitter le territoire, a contre-attaque etadopté en décembre 2003 une loi précisant que l’aide due aux enfants concernés leur sera accordée uniquement à la condition qu’ilsrésident en centres d’accueil. En soi, cette initiative vidait déjà de sa substance l’arrêt de la Cour d’Arbitrage : qui allait se jeter dans la gueule duloup en rejoignant un centre officiel ? Dans un premier temps, la loi n’a cependant pas affecté les décisions des tribunaux qui, la déclarant inapplicable fauted’arrêté royal d’exécution, ont continué à imposer aux CPAS de secourir ces enfants.
En juin, l’arrêté royal qui faisait défaut est promulgué et en août1, une circulaire définissant les modalités d’application de lanouvelle réglementation est envoyée à tous les CPAS du Royaume (cf. Alter Échos n°170) : l’accompagnement des enfants par leurs parents en centre, prévoitla circulaire, ne pourra se faire que « lorsque leur présence est nécessaire au développement de l’enfant ». Pour les défenseurs des droits del’homme et en particulier des droits de l’enfant, c’est la consternation. Pour la première fois dans l’histoire législative belge, on considère que laprésence des parents n’est pas – sauf exception – nécessaire au développement de l’enfant.
La circulaire précise également que le CPAS, après avoir recueilli l’accord de l’enfant relatif à la proposition d’hébergement dans un centre,communiquera à l’Agence fédérale d’accueil des demandeurs d’asile (Fedasil) tous les renseignements concernant la famille pour permettre àl’administration de déterminer « si la présence des parents est nécessaire au développement de l’enfant ».
Sur le plan juridique, comme a pu le souligner le tribunal du travail de Liège, cette disposition contrevient à la Convention européenne des droits de l’homme (quiconsidère que le droit à la vie familiale comme un principe et non une exception) et à la Convention relative aux droits de l’enfant (qui prescrit également quel’enfant ne soit pas séparé de ses parents contre leur gré, à moins que cette séparation soit nécessaire dans l’intérêtsupérieur de l’enfant).
Une jurisprudence qui risque de mettre du temps
On pouvait donc légitimement penser que les recours allaient pleuvoir, or, pour l’instant, peu de recours ont été introduits, Ils l’ont étéprincipalement au tribunal du travail de Liège et de Bruxelles.
Trois ou quatre jugements depuis juillet 2004 ont déclaré le recours recevable2 et ont condamné les CPAS à couvrir une série de besoins de l’enfant : soinsde santé, logement, eau, gaz et électricité, alimentation hygiène et vêtements, déplacements (une liste détaillée de ce que recouvre chaquethématique est jointe au jugement)3 et le même nombre de recours ont été déclaré irrecevables. Selon Damien Dupuis, président de la section aidesociale du Bureau d’aide juridique de Bruxelles, les jugements ne s’appuient pas sur une jurisprudence, « un avis positif a par exemple été rendu en août 2004à Liège, ce qui n’a pas empêché des décisions négatives par la suite… Nous avons ainsi deux jugements positifs qui viennent d’êtrerendus par le même juge au Tribunal du travail de Bruxelles mais le président de ce même tribunal s’apprête à rendre un jugement négatif pour un autrerecours similaire sur le fond. Les décisions dépendent beaucoup de l’ouverture ou pas du juge. »
Selon Benoît Van Keirsbilck juriste au Service droit des jeunes4 « les jugements favorables reposent pour la plupart sur l’article 8 de la déclaration des droits del’homme (ndlr : cité plus haut) tandis que pour les jugements négatifs, le juge relève les contradictions mais argumente que le tribunal n’est pas là pourrelever les contradictions et examine les affaires au cas par cas demandant aux personnes de prouver que le centre fédéral d’accueil désigné par Fedasiln’accueillera pas l’enfant avec ses parents. Pour qu’une réelle jurisprudence se mette en place, il faudra attendre un arrêt de la Cour du Travail, de la Courd’Arbitrage et du Conseil d’État, et cela peut attendre plus d’un an. » Pour rappel, le SDJ a déposé un recours auprès de la Cour d’Arbitragecontre l’arrêté royal et la circulaire, les autres parties doivent encore déposer leur mémoire, et il faut s’attendre à ce que cela prenne une bonneannée avant que la Cour ne remette son avis. Pour le Conseil d’État où un recours a également été déposé, « il faut compter troisou quatre ans », avance Benoît Van Keirsbilck.
1. Paru au Moniteur belge du 1er juillet 2004.
Voir sur : http://www.ejustice.just.fgov.be
2. Dans la rubrique « Jurisprudence » du Journal droit des jeunes n°239 de novembre 2004, un jugement positif du Tribunal du Travail de Bruxelles datant du 5 août 2004 estreproduit.
3. BAJ de Bruxelles, section aide sociale, rue des Quatre-Bras, 19 à 1000 Bruxelles – tél. : 02 508 66 57 –
fax : 02 514 16 53 – Damien Dupuis, rue de Wynants, 23 à 1000 Bruxelles – tél. : 02 548 01 99 – fax : 02 514 19 73.
4. SDJ, rue du Marché aux poulets 30 à 1000 Bruxelles – tél. : 02 209 61 62 – fax : 02 209 61 60 –
courriel : bvk@sdj.be