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Aides à l’emploi groupes cibles : Bruxelles lance sa réforme

Bruxelles va revoir le paysage de ses aides à l’emploi « groupes cibles ». Au programme : simplification et recentrage sur les Bruxellois.

Bruxelles va revoir le paysage de ses aides à l’emploi «groupes cibles». Au programme: simplification et recentrage sur les Bruxellois.

Après la Wallonie, place à Bruxelles. En janvier 2016, Éliane Tillieux (PS) – ministre wallonne de l’Emploi – proposait sa réforme des aides à l’emploi, notamment celles communément appelées «groupes cibles» (voir encadré). Cet été, c’est Didier Gosuin (Défi) – son collègue bruxellois – qui a levé le rideau sur ce qu’il comptait faire de ces mêmes aides dans la capitale. Il n’y a rien d’étonnant à ce que les deux Régions se suivent de près: les «groupes cibles» ont été transférés aux Régions après la sixième réforme de l’État. La fin de la législature approchant, il fallait donc qu’elles s’emparent de ce conglomérat de systèmes souvent compliqués. But de l’opération: les simplifier, améliorer leur lisibilité et en dégraisser le nombre. À Bruxelles, on passera ainsi d’une trentaine de dispositifs à une petite dizaine. Et surtout, on recentrera les survivants – parfois modifiés – sur des groupes bien définis: les jeunes de moins de 30 ans, les chômeurs «inoccupés de longue durée» (au moins douze mois d’inoccupation) ainsi que les demandeurs d’emploi et les travailleurs âgés (au moins 55 ans). Détail important: pour une majorité de ces mesures, il faudra que les personnes concernées soient bruxelloises, c’est-à-dire qu’elles soient domiciliées en Région de Bruxelles-Capitale et inscrites auprès d’Actiris. L’objectif est simple: recentrer les aides sur les habitants de la capitale. Ciao les navetteurs donc…

Les mesures groupes cibles aujourd’hui

Les mesures groupes cibles visent à favoriser l’insertion professionnelle de certains groupes aux caractéristiques précises: les chômeurs longue durée, les jeunes, les personnes peu qualifiées, les travailleurs âgés, etc. Jusqu’à aujourd’hui, deux outils peuvent être utilisés. Le premier d’entre eux consiste en des réductions de cotisations patronales de sécurité sociale. Ces réductions peuvent parfois être couplées avec un deuxième outil: l’octroi d’une allocation de travail par l’Onem ou d’une intervention financière du CPAS. On appelle cela une activation. Cette activation permet aux travailleurs de garder une partie de leurs allocations et aux employeurs de soustraire ce montant du salaire versé. À la suite de la sixième réforme de l’État, les Régions sont devenues compétentes pour régler les réductions de cotisations sociales des groupes cibles et l’activation des allocations de travail.

Bruxelles à l’honneur

Pourquoi se centrer sur les Bruxellois? La raison est très simple. Un certain nombre d’analyses et d’études – dont l’une d’entre elles a été confiée à la KUL-Hiva – mettent en avant un phénomène interpellant mais prévisible: 38% des moyens bruxellois en matière de groupes cibles concerneraient des travailleurs flamands et wallons. Le système de réduction de cotisations patronales jusqu’ici appliqué pour les travailleurs âgés profiterait ainsi à 58% de navetteurs. Quant aux réductions de cotisations patronales prévues dans le cadre du dispositif Activa, le «transfert» vers les autres Régions se monterait à 29%. Un luxe que Bruxelles – vu l’état de son marché de l’emploi à 18% de chômage – ne peut visiblement pas se permettre. «Ce qui nous intéresse, ce sont les 100 000 demandeurs d’emploi domiciliés à Bruxelles», nous dit-on au cabinet de Didier Gosuin. Mais comment faire pour ne se soucier que d’eux? En ne passant que par l’activation d’allocations, pardi. Pour rappel, beaucoup d’aides à l’emploi groupes cibles fonctionnaient jusqu’ici par le biais de deux outils. Le premier d’entre eux consistait en des réductions de cotisations patronales de sécurité sociale. Le deuxième se concrétisait sous la forme d’une allocation de travail en espèces sonnantes et trébuchantes. On appelle cela une activation (voir encadré). Problème: les réductions de cotisation ne se soucient pas de la provenance du travailleur. Elles profitent à l’entreprise, qu’importe l’origine géographique de son employé. Et ne permettent pas aux pouvoirs publics de centrer leur action sur les Bruxellois. Ce constat cruel a donc généré une décision… cruelle. Pour un certain nombre d’aides qui combinaient jusqu’ici réductions de cotisations et activation, on ne passera désormais plus que par une activation pure et simple. Même si le Conseil d’État aura probablement son mot à dire à ce sujet, le cabinet de Didier Gosuin espère en effet bien pouvoir prouver légalement que l’activation, elle, peut être limitée aux seuls Bruxellois. Notons que les moyens ne diminuent pas. Ce qui était jusqu’ici prévu pour les réductions de cotisations et les allocations sera mutualisé et affecté aux seules activations. On parle d’un budget de 216 millions d’euros pour l’ensemble des mesures prévues dans le cadre de la réforme.

Le système de réduction de cotisations patronales jusqu’ici appliqué pour les travailleurs âgés profiterait ainsi à 58% de navetteurs.

Au rayon des aides concernées par cette modification, on retrouve la fameuse mesure Activa. On dit fameuse parce que cette aide avait atteint des sommets de complexité. «Rien que pour Activa, on avait un tableau à trois entrées, avec 25 cases», nous faisait remarquer Sébastien Pereau, secrétaire général de ConcertEs, en août dernier. À Bruxelles, ce sera désormais plus simple. Ce que le cabinet appelle un «Activa générique» sera accessible à tous les demandeurs d’emploi inoccupés depuis 12 mois inscrits auprès d’Actiris. Une petite révolution pour un système qui permettait à certains travailleurs d’y entrer souvent après 24 mois, 60 mois ou… un jour. «En prenant 12 mois, nous touchons 63% des demandeurs d’emploi inoccupés», justifie le cabinet. Notons qu’aucun critère de qualification n’est requis. Et que le travailleur devra se voir proposer par l’entreprise un contrat de six mois minimum pour que l’aide soit activée. Une aide qui prendra donc la forme d’une allocation de 350 euros par mois pendant les six premiers mois, 800 euros pendant les 12 mois suivants et à nouveau 350 euros pour les 12 derniers mois. On parle donc bien de deux ans et demi. Faisons remarquer que la période de 12 mois comme demandeur d’emploi inoccupé ne sera pas exigée dans certains cas. Sont concernés: les demandeurs d’emploi âgés de plus de 57 ans, les articles 60, les personnes ayant eu une occupation dans le cadre des contrats d’insertion, celles ayant réussi une formation en alternance ou une formation professionnelle, les demandeurs d’emploi de moins de 30 ans n’ayant pas les CESS, etc. Ceux-ci pourront bénéficier de l’Activa directement.

Attention: PTP et Sine, fusion!

D’autres aides sont concernées par la suppression des réductions de cotisations sociales. Il en va ainsi de la mesure PTP (Programme de transition professionnelle) et de la mesure Sine qui sont carrément fusionnées et «contingentées». On financera 1.000 postes dans le cadre du nouveau dispositif, pas plus. Pour rappel, SINE était jusqu’ici réservé aux opérateurs d’économie sociale et concernait les chômeurs complets indemnisés de plus d’un an ainsi que les bénéficiaires du RIS, sans diplôme du secondaire supérieur. Le dispositif PTP concernait quant à lui les chômeurs de longue durée et était réservé aux employeurs publics, aux asbl et au secteur non marchand. Le dispositif nouvellement mis en place permettra de créer des postes «au sein de structures répondant aux caractéristiques de l’entrepreneuriat social dans le cadre de programmes d’insertion visés par la future ordonnance relative à l’économie sociale et à l’entrepreneuriat social», d’après le cabinet. Il prendra la forme d’une prime unique annuelle de 30.000 euros pour une période de deux ans, renouvelable. Le dispositif sera accessible aux demandeurs d’emploi éloignés du marché du travail. Détail un peu troublant: il n’y aura pas de critères précis pour l’octroi de l’aide, mais bien une analyse de la situation sociale de la personne sur la base de critères tels que la durée d’inoccupation, le faible niveau de qualification, la santé, etc. Celle-ci devrait être effectuée par un travailleur social et attestée par Actiris.

D’un point de vue «macro», le constat est le même un peu partout et se résume grosso modo par un «OK, mais attention».

Toutes les réductions de cotisations sociales n’ont cependant pas disparu. Pour ce qui est des personnes âgées, le nouveau système se situe même dans la lignée des réductions groupes cibles «Travailleurs âgés» qui existaient jusqu’ici. Pourquoi maintenir des réductions de cotisations sociales? Parce que, dans le cas de travailleurs âgés, il ne s’agit pas vraiment de les mettre à l’emploi, mais bien de les y maintenir. Les réductions de cotisations sont donc plus opportunes. Elles concerneront aussi tout le monde, navetteurs compris, comme c’était le cas jusqu’ici. Il n’empêche, le dispositif sera tout de même modifié. S’il concernait jusqu’ici les travailleurs à partir de 54 ans, il s’adressera désormais bientôt à ceux âgés de 55 ans. Le salaire de référence trimestriel est également modifié, à la baisse cette fois. On passe de 13.401,07 euros à 12.000 euros. Les réductions seront de 400 euros par trimestre pour les 55-57 ans, 1.000 euros pour les 58-61 ans et 1.500 euros pour les 62-64 ans. Dans un deuxième temps, la limite d’âge devrait passer à 57 ans et plus. La réduction sera quant à elle de 1.000 euros par trimestre pour tout le monde.

D’autres mesures sont prévues dans le cadre de la réforme. Parmi elles, on compte les fameux contrats d’insertion (voir encadré) ainsi qu’une modification des articles 60 sur laquelle nous reviendrons.

Contrats d’insertion à Bruxelles

Depuis le 1er juillet 2016, tout jeune Bruxellois de moins de 25 ans inscrit chez Actiris depuis 18 mois est censé se voir proposer un contrat d’insertion par Actiris. Et quand on parle de contrat… on parle bien de contrat. Il s’agit d’une embauche à durée déterminée – douze mois – dans le secteur non marchand ou public. But de l’opération: donner au jeune une première expérience professionnelle et lui permettre d’acquérir certaines compétences. Avec, cerise sur le gâteau, la possibilité de venir contrer les mesures d’exclusion du chômage issues du fédéral. Douze mois de travail, c’est en effet suffisant pour récupérer ses droits… Et ne pas tomber au CPAS… Ce sont les communes qui vont être contentes. De leur côté, les employeurs ont aussi quelque chose à gagner puisque le système est basé sur le dispositif ACS. Ils bénéficieront ainsi d’une prime de 24.000 euros – pouvoirs locaux – à 27.000 euros – organismes publics ou asbl – par an et par jeune en plus de réductions de cotisations sociales.

Gaffe aux «effets induits»

Quelle est la réaction des syndicats et des différents secteurs face à cette réforme? D’un point de vue «macro», le constat est le même un peu partout et se résume grosso modo par un «OK, mais attention». «Il n’est pas anormal qu’un ministre bruxellois de l’Économie et de l’Emploi veuille que les moyens bruxellois aillent à des effets centrés sur les Bruxellois, note Philippe Van Muylder, secrétaire général de la FGTB Bruxelles. Mais il faudra bien faire attention aux effets induits.» Pour le syndicaliste, il ne faudrait pas que la disparition de bon nombre de réductions de cotisations sociales vienne mettre les entreprises en danger. Et fragilise ainsi l’emploi. Il faudra donc une période d’extinction progressive des anciens dispositifs.

«La visibilité que l’on a des effets de l’usage des mesures est assez faible à Bruxelles», Pierre Malaise, directeur de la Cessoc

Du côté de la CSC, on effectue le même constat. Tout en notant que l’activation d’allocations pour certains publics est «un bon outil». La réduction de cotisations sociales pour les personnes âgées, par contre, fait moins l’unanimité. «Entre les cas où ces aides constituent un effet d’aubaine pour l’employeur et ceux où la personne âgée est virée malgré elles, il y a peu d’évaluations quant à l’efficacité réelle de ce type de mesures», tempère Paul Palsterman, secrétaire régional bruxellois à la CSC.

À parler d’évaluation, un constat interpelle: il se trouve peu de monde pour réellement savoir vers où l’on va en termes d’impacts des nouvelles mesures. Et ce jusque dans les secteurs concernés. Alors qu’en Wallonie, on a parfois l’impression de disposer de plus d’années. «La visibilité que l’on a des effets de l’usage des mesures est assez faible à Bruxelles, explique Pierre Malaise, directeur de la Confédération des employeurs du secteur sportif et socioculturel (Cessoc). Peut-être est-ce dû au fait que le service d’études du Conseil économique et social à Bruxelles est moins doté que celui de la Wallonie?» Quoi qu’il en soit, Paul Palsterman dit en tout cas assumer cette situation. «Il est clair qu’à Bruxelles, on est un peu en insécurité à ce niveau, il est compliqué de prévoir l’effet de cette réforme sur l’emploi et le maintien d’activité économique à Bruxelles», explique-t-il. Avant de préciser que rien n’empêche une entreprise de sortir de Bruxelles de quelques centaines de mètres si d’aventure certaines mesures devaient l’embêter. Tout en continuant à bénéficier de l’influence socio-économique de la capitale… Dans ce contexte, le syndicaliste plaide pour un monitorage des effets de la réforme des aides à l’emploi groupes cibles. Des effets que la Confédération bruxelloise des entreprises non marchandes (CBENM) tente tout de même d’objectiver pour le secteur. Avec un petit stress au ventre. «Nous sommes préoccupés par la valeur totale de l’emploi dans le non-marchand, souligne Gabriel Maissin, conseiller à la CBENM. Nous comptons un grand nombre de structures avec beaucoup de travailleurs âgés et de navetteurs…» Le recul envisagé de l’âge des travailleurs pour pouvoir bénéficier d’une réduction de cotisations sociales inquiète. De même que le recentrage de beaucoup d’aides sur les seuls Bruxellois.

30.000 euros, c’est assez?

Du côté de l’économie sociale, on s’interroge aussi. Quoique. Avec 498 emplois PTP et 428 Sine à Bruxelles dédiés au secteur de l’économie sociale, ces deux mesures sont importantes pour les opérateurs de la capitale. Pour Sébastien Pereau, les 30.000 euros annuels prévus par le nouveau dispositif né de la fusion des PTP et des Sine pourraient donc constituer un joli pactole. Mais d’autres ne sont pas de cet avis. Luc Piloy est directeur de la mission locale de Forest. Une mission locale qui a notamment développé une initiative locale de développement de l’emploi (ILDE) active dans le secteur de la construction. Les deux structures comptent un certain nombre de travailleurs sous PTP. Pour lui, les 30.000 euros ne sont pas suffisants. «Par rapport aux barèmes de la commission paritaire 329.02 – NDLR, la sous-commission paritaire pour le secteur socioculturel de la communauté française et germanophone et de la Région wallonne –, cela me paraît trop court, surtout si les déductions de cotisations sociales sont supprimées, prévient-il. Beaucoup de PTP ne sont pas dans une activité productrice de revenus qui pourrait venir compenser le différentiel entre les 30.000 euros prévus et le coût salarial réel.» Il faudra donc bel et bien effectuer un monitorage…

D’autres mesures

D’autres mesures sont prévues dans le cadre de la réforme des aides à l’emploi groupes cibles à Bruxelles. Une prime à la formation jeunes de 5.000 euros pour les demandeurs d’emploi de moins de 30 ans n’ayant pas le CESS est prévue. Il faut pour cela qu’un programme de formation individuelle avec des opérateurs de formation agréés soit mis en place. Il faut également que l’entreprise mette en œuvre un contrat de travail à durée indéterminée. Un dispositif d’aide à l’emploi indépendant est également créé et vient notamment remplacer le complément de reprise de travail qui existait auparavant. Il permettra, sous réserve d’un encadrement par des professionnels, l’accès à une prime mensuelle dégressive sur six mois (1.000 euros, 800, 600, 400, 200, 0) permettant de créer un revenu mixte qui, au sixième mois, ne pourra plus être constitué que d’un revenu professionnel issu de l’activité d’indépendant. Un dispositif «Activa aptitude réduite au travail» est aussi prévu pendant trois ans pour les demandeurs d’emploi avec une aptitude réduite au travail. Il prendra la forme d’une allocation de 750 euros par mois pour une première année et de 600 euros pour les deux années suivantes.

Julien Winkel

Julien Winkel

Journaliste

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