Les aides à l’emploi en Wallonie vont être réorganisées. Les mesures «groupes cibles» sont particulièrement concernées. Les Aides à la promotion de l’emploi (APE) aussi. Mais qu’en pensent les secteurs concernés?
Cet article a été publié dans Alter Échos n°428 du 6 septembre 2016
D’une quarantaine à neuf. Le nombre d’aides à l’emploi en Wallonie va bientôt subir une sérieuse cure d’amaigrissement. On pense principalement aux mesures groupes cibles (voir encadré), dont le paysage va se trouver complètement chamboulé. Dites donc au revoir aux réductions de cotisations sociales «jeunes», «chômeurs de longue durée», «travailleurs âgés» ou encore «restructuration». Bye bye aussi les systèmes comme Activa ou Activa start. Enfin, vous pouvez également acter le fait que les fameux PTP (programmes de transition professionnelle) – combinant réduction de charges et activation des allocations de chômage – vont tirer leur révérence. Il faut dire qu’au fil des années, l’accumulation et la complexité de ces différents dispositifs avaient fait s’arracher les cheveux à bon nombre de membres de l’administration ou de travailleurs de structures bénéficiaires. «Rien que pour Activa, on avait un tableau à trois entrées, avec 25 cases», fait remarquer Sébastien Pereau, secrétaire général de ConcertEs, la plateforme de concertation des organisations représentatives de l’économie sociale. Ce fouillis va donc disparaître pour faire place à un système que le cabinet d’Éliane Tillieux (PS), ministre wallon de l’Emploi, espère plus lisible et plus facile à utiliser.
Les mesures groupes cibles visent à favoriser l’insertion professionnelle de certains groupes aux caractéristiques précises: les chômeurs longue durée, les jeunes, les personnes peu qualifiées, les travailleurs âgés, etc. Jusqu’à aujourd’hui, deux outils peuvent être utilisés. Le premier d’entre eux consiste en des réductions de cotisations patronales de sécurité sociale. Ces réductions peuvent parfois être couplées avec un deuxième outil: l’octroi d’une allocation de travail par l’Onem ou d’une intervention financière du CPAS. On appelle cela une activation. Cette activation permet aux travailleurs de garder une partie de leurs allocations et aux employeurs de soustraire ce montant du salaire versé.
À la suite de la sixième réforme de l’État, les Régions sont devenues compétentes pour régler les réductions de cotisations sociales des groupes cibles et l’activation des allocations de travail.
Notons que l’occasion a fait le larron. Les mesures «groupes cibles» ont en effet été transférées aux Régions après la sixième réforme de l’État, en plus d’autres systèmes tels que les articles 60 ou encore les APE. Il était donc tentant de faire le ménage et de réorienter les aides dans des directions souhaitées par le gouvernement. Le tout à enveloppe égale. Rien que pour les mesures disparaissant – on dit aussi «reformées» –, les montants évoqués s’élèvent à un peu plus de 377 millions d’euros. Des montants qui viendront alimenter les trois nouveaux dispositifs prévus en matière de groupes cibles. Ceux-ci concernent les jeunes de moins de 25 ans, les travailleurs âgés à partir de 55 ans et les chômeurs de longue durée, sans emploi depuis plus d’un an. Les six autres systèmes d’aides ayant survécu au grand nettoyage de printemps sont les APE, Sine, les articles 60/61, Sésame et les réductions de cotisations sociales pour le gardiennage d’enfants et les artistes. Neuf aides en tout auxquelles vient s’ajouter le fameux contrat d’insertion (voir encadré), partie intégrante du «Pacte pour l’emploi et la formation» (voir encadré) au sein duquel la réforme des aides à l’emploi est également intégrée. Attention: le fait que ces six dernières mesures aient «survécu» ne veut pas dire qu’elles ne vont pas connaître elles aussi quelques modifications. Des modifications qui crispent parfois certains intervenants, comme pour les APE.
La réforme des aides à l’emploi fait partie d’une stratégie plus globale, le pacte pour l’emploi et la formation, signé à Namur le 30 juin dernier. Notons qu’un accord entre les partenaires sociaux et la ministre wallonne de l’Emploi, Éliane Tillieux (PS), avait déjà été trouvé sur la réforme des aides à l’emploi dès janvier 2016. Le pacte pour l’emploi et la formation comprend six pans:
– la réorganisation des aides à l’emploi;
– la création de places de stage pour les apprenants de la formation professionnelle en alternance;
– le renforcement de l’orientation professionnelle tout au long de la vie;
– la création d’un contrat d’insertion pour les jeunes;
– la réorganisation des incitants financiers à la formation continue des travailleurs;
– le renforcement des outils à disposition du dialogue social en Wallonie.
Le contrat d’insertion s’adresse au jeune qui, 18 mois après sa sortie de l’école, n’a toujours pas trouvé d’emploi. L’objectif est de lui offrir une première expérience professionnelle. Il devrait ainsi bénéficier d’un accompagnement pendant la durée d’un contrat de travail proposé via le Forem. Le montant du contrat d’insertion s’élèvera à 700 € par mois durant un an pour l’entreprise qui engage. Ce montant servira à payer le jeune travailleur, à charge pour l’employeur de mettre le complément de sa poche. La cabinet d’Éliane Tillieux précise aussi que, pour les structures bénéficiant de points APE, l’aide leur sera versée sous la forme d’une majoration de ces mêmes points. Un détail qui fait tiquer le non-marchand. À la lecture de l’avant-projet de décret relatif au contrat d’insertion, on se rend compte que cette manière de procéder risque d’être la seule voie de financement pour les opérateurs du non-marchand dans le cadre du contrat d’insertion. «Et les structures n’ayant pas d’APE, elles n’auront pas droit aux avantages liés aux contrats d’insertions? Devront-elles se couler dans le dispositif APE pour quelques points?», s’interroge Pierre Malaise, directeur de la Cessoc, l’organisation représentative des employeurs privés des secteurs sportif et socioculturel francophones et germanophones. Au cabinet Tillieux, on fait remarquer que la mesure a été introduite pour faciliter la vie du secteur non marchand. «Un secteur qui nous a fait part de ses réserves à ce propos, déclare le cabinet. Il ne s’agit pas de le mettre en difficulté, l’élément est donc en discussion.»
Une partie du financement du contrat d’insertion provient d’une fraction des moyens dégagés par la suppression des PTP et de la mesure «emplois jeunes dans le secteur non marchand».
Trois groupes cibles
En ce qui concerne les jeunes de moins de 25 ans, le système se basera sur l’activation d’une allocation de travail octroyée dès qu’ils entreront en poste. Celle-ci sera dégressive et limitée dans le temps. Elle se montera à 500 euros par mois pendant deux ans. Lors d’une troisième année, elle sera de 250 euros pour les six premiers mois et de 125 euros pour les six derniers mois. Notons qu’une condition de diplôme existe également. Les jeunes de moins de 25 ans sans CESS (certificat d’enseignement secondaire supérieur) entreront en ligne de compte dès leur premier jour d’inscription au Forem. Les jeunes détenteurs du CESS seront concernés après six mois de chômage. Quant à ceux porteurs d’un diplôme du supérieur, rien n’est prévu pour eux. Ils ne pourront bénéficier d’une aide à l’embauche qu’après un an de chômage, moment où ils tomberont dans la catégorie chômeurs de longue durée. Des chômeurs de longue durée qui bénéficieront d’un système identique à celui destiné aux jeunes: une allocation de travail de 500 euros. Sauf que la mesure est limitée à deux ans. Une première année à 500 euros, une deuxième selon la même dégressivité que pour les jeunes.
Pour les travailleurs âgés, on change d’outil: c’est une réduction de cotisations sociales qui sera octroyée. Son montant variera selon l’âge. Quatre cents euros par mois pour les 55-57 ans, 1.000 euros pour les 58-61 et 1.500 euros à partir de 62 ans. Le fait de passer par une réduction de cotisations se justifie par le fait qu’il s’agit de maintenir les travailleurs âgés à l’emploi plutôt que de les faire embaucher. Il est à noter que cette mesure ne concerne pas les travailleurs du non-marchand visés par le maribel social. Elle ne concerne pas non plus ceux qui officient en entreprise de travail adapté ou au sein d’ateliers sociaux.
Autre détail qui a son importance: une série de principes ont été pris en compte pour cette réforme. On en compte huit. On ne les évoquera pas tous mais certains sont intéressants, comme la portabilité des aides. Dorénavant, un travailleur ne verra plus ses aides s’interrompre s’il change d’employeur en cours de route. Ce qui n’était pas le cas avant. Autre principe important: il y aura une possibilité d’évaluation des aides à l’emploi. Celle-ci se fera notamment en concertation avec le GPS-W (Groupe des partenaires sociaux wallons), alimenté par le CESW (Conseil économique et social wallon). La réforme des aides «groupes cibles» devrait entrer en vigueur au 1er janvier 2017, d’après le cabinet d’Éliane Tillieux. Des mesures d’extinction pour les aides supprimées sont prévues. La plupart étant à durée limitée, elles continueront jusqu’à l’expiration du temps prévu. Pour les aides à durée illimitée, le cabinet Tillieux fait remarquer qu’on devrait s’orienter vers des périodes d’extinction de deux à trois ans.
Le club des survivants
Qu’en est-il des aides à l’emploi «survivantes»? Premier point important: pas touche à Sine, une mesure cruciale pour l’économie sociale d’insertion et des opérateurs comme les entreprises de travail adapté ou les entreprises d’insertion. Pour rappel, Sine – également transféré du fédéral aux Régions – permettait jusqu’ici de bénéficier d’une réduction de cotisations sociales. Le travailleur pouvait aussi bénéficier d’une allocation provenant de l’Onem ou d’une intervention financière du CPAS. Éliane Tillieux a donc décidé de maintenir la mesure. Seul changement évoqué jusqu’ici: on parle d’une «forfaitarisation» éventuelle du dispositif. Aux deux sources de financement actuelles – réduction de cotisations et allocation/activation – se substituerait une seule, sous forme de forfait.
Concernant les APE, même son de cloche. Ici aussi, cela discute de forfaitarisation. Rappelons que l’employeur bénéficiant du système APE dispose aujourd’hui de deux avantages: une aide de la Région wallonne sous forme de points ayant une valeur en espèces sonnantes et trébuchantes et une réduction de cotisations patronales de sécurité sociale. L’idée serait également de regrouper ces deux sources en une seule, forfaitaire. Autre idée sur la table: la création d’APE sous forme rotative, c’est-à-dire limitées dans le temps. Ils permettraient au gouvernement de mener une politique d’aide à l’emploi ciblée sur les besoins du moment. Une petite révolution pour un dispositif APE souvent utilisé comme un soutien structurel à l’emploi, singulièrement dans le secteur du non-marchand.
Une opinion?
Face à cette bonne pelletée de réformes, comment réagissent les différents secteurs et les syndicats? De manière générale, beaucoup d’intervenants soulignent le côté positif de la simplification effectuée. Rappelons que cette réforme des aides à l’emploi a impliqué le GPS-W, au sein duquel siègent notamment les syndicats et l’Unipso (Union des entreprises à profit social, employeurs) pour le non-marchand… Ce qui n’empêche pas ces intervenants – en compagnie d’autres – de mettre le doigt sur certains enjeux.
Concernant les aides groupes cibles, le non-marchand et l’économie sociale partagent un regret: la réduction «travailleurs âgés» ne sera pas accessible à des secteurs comme les établissements et services de santé (CP305.2), les services des aides familiales et aides seniors (CP318, 318.01, et 318.02), les maisons d’éducation et d’hébergement (CP319, 319.01, et 319.02), les entreprises de travail adapté et ateliers sociaux (CP327) ou encore le secteur socioculturel (CP329). «Dans notre secteur, ce ne sont que les entreprises d’insertion et quelques autres associations qui pourront bénéficier de cette réduction, souligne Sébastien Pereau. C’est dommage pour l’économie sociale dans son ensemble où la proportion de travailleurs âgés est légèrement plus importante que dans le secteur “classique”.» Un son de cloche que l’on retrouve aussi du côté de l’Unipso. «Nous avons des travailleurs vieillissants et l’ancienneté coûte cher, d’autant plus qu’elle n’est pas vraiment couverte par certaines aides à l’emploi. Avoir accès à cette aide groupe cible aurait donc été intéressant», nous explique-t-on. Du côté du cabinet d’Éliane Tillieux, on fait remarquer qu’une extension aux secteurs exclus jusqu’ici pourrait intervenir par après. Ce qui fait réagir l’Unipso. «Il y avait effectivement des promesses de simulation des coûts d’une telle extension. Mais nous ne l’avons pas encore vue.»
Autre point important: le secteur de l’économie sociale note avec satisfaction que le système Sine a été maintenu. Il fait également remarquer que la suppression du PTP aura des impacts très différents selon les Régions. En Wallonie, les PTP représentent ainsi 111 emplois… contre 374 en Région de Bruxelles-Capitale. Mais, plus globalement, Sébastien Pereau dit craindre que la réforme des groupes cibles ne vienne mettre de côté certains «cas particuliers» parmi les travailleurs. «Dans les Activa, pour les plus de 25 ans, il existait plusieurs catégories de durée d’inoccupation, pouvant aller de un an de chômage à cinq ans. Et les aides étaient plus longues pour les personnes ayant été au chômage plus longtemps. Aujourd’hui, avec une aide unique octroyable après un an d’inoccupation, qu’est-ce qui va pousser un employeur à engager une personne au chômage depuis cinq ans plutôt qu’une personne inoccupée depuis un an?», s’inquiète-t-il.
L’enjeu: les APE
Du côté du secteur non marchand, c’est sur les APE que l’attention se porte le plus. «L’enjeu principal, ce sont les APE plus que les groupes cibles, fait remarquer Pierre Malaise, directeur de la Cessoc, l’organisation représentative des employeurs privés des secteurs sportif et socioculturel francophones et germanophones. Dans la CP329.02, 52% des structures utilisent les APE, contre 3% pour les Activa, 2% pour les “jeunes travailleurs” ou encore 2% pour les PTP.» Concernant la forfaitarisation, «elle n’apportera rien si ce n’est toujours pas suffisant pour payer les salaires aux barèmes sectoriels, déplore Patricia Piette, secrétaire nationale CNE. Pour qu’elle soit intéressante, il faudra que les ministres fonctionnels soient obligés de compléter cet écart.» Rappelons que les APE sont utilisées depuis longtemps pour compenser les manques de financement – en provenance des ministres fonctionnels – de certains secteurs.
Si on sent donc une inquiétude liée à la forfaitarisation, c’est un autre point qui crispe l’ensemble du secteur: la création d’APE sous forme rotative. Pour beaucoup, l’intention d’Éliane Tillieux est claire: pérenniser les APE «structurelles» déjà existantes – ce qui est applaudi – mais aussi faire en sorte que toutes les nouvelles APE créées par après ne soient que des APE sous forme rotative, c’est-à-dire limitées dans le temps. Fini donc le soutien structurel au non-marchand. Ce qui est beaucoup moins apprécié. D’autant que des APE sous forme rotative pourraient favoriser des travailleurs moins qualifiés. Alors que le non-marchand a plus souvent besoin de travailleurs ayant un certain niveau de qualification. «Si on combine la forfaitarisation aux APE sous forme rotative, il n’y aura plus de création d’APE dans le secteur non marchand», prévient Patricia Piette. D’après l’Unipso, 500 équivalents temps pleins sont créés chaque année dans le secteur non marchand via les APE. Au cabinet Tillieux, on se veut rassurant. «L’objectif est vraiment de pérenniser les APE structurelles existantes, nous dit-on. Les APE sous forme rotative seront d’ailleurs financées par une autre enveloppe.» Quant au «risque» de ne plus voir la création que d’APE sous forme rotative, le cabinet fait lui aussi remarquer que les APE ont régulièrement été utilisées pour pallier les manques de financement structurel de la part des ministres fonctionnels de différents secteurs. Au point de parfois détourner les APE de leur fonction d’aide à l’emploi. Lisez entre les lignes: s’il faut plus de soutien structurel, ce sera aux ministres fonctionnels de mettre la main à la poche.
Notons que le secteur dispose encore d’un peu de temps. La réforme des APE devrait aboutir plus tard que celle dédiée aux mesures groupes cibles. Il faudra cependant faire vite: la fin de la législature n’est plus si éloignée que ça…
«Un pacte pour l’emploi et la formation en Wallonie», Alter Échos n°427, 14 juillet 2016, Julien Winkel.
En savoir plus
«Un pacte pour l’emploi et la formation en Wallonie», Alter Échos n°427, 14 juillet 2016, Julien Winkel.