Dernièrement, la Région bruxelloise a adopté de nouvelles mesures en faveur des AIS (agences immobilières sociales) bruxelloises. En Région wallonne, certainesAIS s’interrogent sur leur avenir. Il est aussi question de créer une fédération des AIS wallonnes, afin de mieux défendre leurs intérêts communs.Néanmoins, il est bon de préciser qu’une AIS n’est pas l’autre, tant à Bruxelles qu’en Wallonie. Chacune a son histoire, son mode de fonctionnement et… son mode definancement. Ce dernier n’est pas sans conséquence pour la santé financière des AIS, qui se fragilise en particulier dans le Sud du pays. À cela s’ajoutel’arriéré locatif auquel paraissent confrontées toutes les AIS. Alter Échos s’est livré à une investigation auprès de quelques-unes d’entre elles : 4sur 14 en Région bruxelloise et 7 sur 21 en Région wallonne.
Région bruxelloise
Un subside bienvenu
D’une manière générale, le nouvel arrêté bruxellois relatif aux AIS est bien accueilli. Chille Deman, administrateur de l’AIS Quartiers (AISQ)1 :«L’arrêté est très positif, car il permet aux AIS d’intervenir dans les loyers. On peut travailler uniquement avec ce subside, sinon avant on devait jongler avec les ADILs(Allocations de déménagement, de loyer et d’installation). Maintenant, on ne tient plus compte des ADILs dans nos montages financiers. On arrive donc à un équilibrefinancier au sein des AIS. Le problème, ce sont les loyers maximums payés. Si on est confronté à une nouvelle hausse de loyers à Bruxelles, ledéséquilibre financier menacera à nouveau les AIS.» Ce constat est également partagé par Nathalie Casteleyn de l’AISB2. À l’AIS IRIS3, le subside vientcompenser la perte du subside du SIF (Sociaal Impulsfonds) de juin 2002, que l’AIS percevait en tant qu’organisation bilingue. Isabelle Jennes (IRIS) tient à préciser toutefois qu’ellea effectué un calcul du montant annuel par logement4 : «L’investissement public par logement est passé du simple au double. Mais, avec les quatre nouvelles AIS, il fautconsidérer que nous sommes dans une phase de lancement. Les subsides vont donc servir à dédoubler le nombre d’associations, pas forcément le nombre de logements.»Pour sa part, Pascal Naples, gestionnaire de l’AIS de Jette5 (AISJ), approuve les moyens supplémentaires, mais déplore les retards dans le versement de subsides.
Quotas, rentabilité et pression foncière
L’arrêté bruxellois impose aussi des quotas concernant la prise en gestion de logements appartenant aux communes ou aux CPAS : vingt logements maximum pour une AIS qui gère moinsde cents logements et 20 % au-delà. Chille Deman (AISQ) explique cette limite : «Il y a deux types d’AIS, les communales et les autres. La crainte était qu’une commune utilisel’AIS pour avoir des subsides supplémentaires pour ses propriétés communales.» Faisant chorus, Nathalie Casteleyn (AISB) souligne : «La priorité reste lelogement privé». Chez IRIS (76 logements6) et à l’AISJ (44 logements), la question ne se pose pas, puisqu’elles ne gèrent que des logements privés.
Parallèlement, la mesure fixe des exigences de «rentabilité». Elles ne semblent guère inquiéter les AIS déjà bien implantées.«Atteindre 50 logements dans un délai de cinq ans, c’est faisable, juge Chille Deman. En un an et demi, on doit arriver à 20 logements. Il reste donc trois ans et demi pourtrouver 30 autres logements. Pendant tout ce temps, on reçoit un subside forfaitaire : cela permet d’engager quelqu’un pour prospecter et payer les frais de fonctionnement. À celas’ajoute un subside par logement supplémentaire. Il faut des résultats et donc produire du logement. Une AIS qui n’a pas 50 logements après cinq ans, soit c’est qu’il y a de grosproblèmes sur le marché, soit c’est qu’elle est inefficace.»
Nathalie Casteleyn, elle, livre une réponse toute en nuance : «Avec les moyens qui nous sont donnés, on ne peut pas végéter, mais on ne va jamais supplier unpropriétaire de nous donner un bien insalubre en gestion. Par ailleurs, tout comme nous, la Région ne souhaite pas que les AIS deviennent des mammouths – ou des SISP. De plus, ilfaut être réaliste, nous perdons aussi des logements. Après une échéance de cinq ans, certains propriétaires décident de ne pas renouveler le mandatavec l’AIS.» Elle plaint toutefois les nouvelles AIS qui débutent, car la rentabilité des loyers privés constitue une forte concurrence. Isabelle Jennes (IRIS) remarqueaussi que certains propriétaires se retirent. «Mais si on veut prospecter pour étendre le parc, il faut du personnel supplémentaire», s’empresse-t-elled’ajouter.» Opinion à laquelle adhère Nathalie Casteleyn. Créée à l’initiative de la commune de Jette, l’AISJ souffre moins du manque de personnel.«Nous avons un bon soutien de la commune, explique Pascal Naples. Elle nous héberge – ce qui constitue des coûts en moins – et met à disposition de l’AIS uneassistante sociale, un ouvrier technique et un secrétaire.» Ce qui ne l’empêche pas de reconnaître que la pression foncière est très forte : alors que l’AISJn’existe que depuis la moitié de 2001, certains propriétaires lui ont déjà fait part de leur intention de ne pas renouveler l’expérience.
Arriéré locatif = risque d’expulsion
Compte tenu du public, les AIS sont confrontées à des arriérés locatifs. À l’AISB, cette créance locative ne cesse d’augmenter. «Cela se creusetrès vite parce que l’AIS paye toujours l’intégralité du loyer au propriétaire», commente Nathalie Casteleyn. Dans certains cas, les AIS n’ont d’autre choix qued’expulser la personne. À IRIS, l’arrièré locatif est inscrit au budget prévisionnel. Du côté de l’AISJ, on n’enregistre pas encore trop de problèmesà ce niveau. Pascal Naples : «Dès qu’un locataire ne paye pas un mois, l’AS va suivre la personne.»
Région wallonne
En Wallonie, il n’y a pas de quotas par rapport aux «logements publics». Le financement de base est de 3,3 millions de francs. Depuis 1993, ce montant n’a jamais étéindexé, ce que regrettent les AIS, car les coûts, eux n’ont jamais cessé de croître. De plus, il arrive systématiquement en fin d’année, ce quidéséquilibre dangereusement la trésorerie. Ces 3,3 millions servent à engager deux personnes pour 100 logements gérés. Au-delà de 150 logements, ilest possible d’engager une troisième personne ; et au-delà de 200, une quatrième. Une AIS qui démarre a pour obligation de gérer 20 logements dans les 3 ans. Parrapport à Bruxelles, il y a aussi une différence entre zone rurale, où sont privilégiées les maisons unifamiliales, et zone urbaine, où l’on trouvera surtoutdes appartements. La pression foncière joue aussi et les loyers offerts par les AIS ne peuvent concurrencer la hausse des loyers. Ce phénomène s’observe en particuli
er dans leBrabant wallon, du fait de sa proximité avec la capitale-région ; et dans les environs d’Arlon, à cause de la proximité du Grand-Duché de Luxembourg.
Sans les Provinces et les Communes, point de salut
Le dynamisme et la viabilité des AIS wallonnes semble dépendre fortement du soutien des Provinces et des Communes. Ainsi, les provinces de Namur, de Luxembourg et du Brabant wallonsoutiennent les AIS, au contraire de celles de Liège et du Hainaut. Au niveau communal, cela varie également.
L’AIS Gestion Logement Namur7 est une des quatre AIS de la province namuroise et existe depuis 1989. «Elle gère 200 logements – uniquement du marché privé –pour l’entité de la ville de Namur, commente son représentant Joël Schallenberg. En matière de gestion, on a atteint ce qu’on peut gérer en fonction d’un cadre de 5personnes. Il y a trois postes financés par la Région parce que nous atteignions entre 150-200 logements en 2002. Pour gérer correctement le parc, il faut dépasser lecadre prévu par la Région ou alors il faut dépersonnaliser. On reçoit 1,050 million de francs de la Ville de Namur et autant de la Province. C’est spécifiqueà la Province de Namur, qui a proposé de donner 10 FB/habitant, si la commune faisait de même. Le but est de susciter l’adhésion au projet au niveau local.»
Il y a trois ans, la Province de Luxembourg a décidé de créer une AIS-test au niveau provincial : l’AIS Arrondissement d’Arlon8. Elle lui octroie un subside d’encouragement de250.000 FB, un AS à mi-temps et une prime pour des travaux réalisés par le propriétaire. «Nous avons 30 logements (public pour l’essentiel). On devraits’étendre d’ici à la fin de l’année à l’arrondissement de Virton, annonce Frédérik Noël, pour avoir plus de possibilités et répondre aussià une demande de la part de propriétaires et de locataires dans la région. Sur Virton, on reprendrait aussi 10 logements gérés par une asblnon-agréée.»
En Brabant wallon, on compte aussi une seule AIS9. Ses 94 logements (dont un seul public) sont localisés surtout à Nivelles et Jodoigne pour les centres urbains. «Les quatrecommunes de l’ouest de la province sont moins couvertes, alors que le besoin est important. C’est dû à une augmentation constante des loyers. Les propriétaires exigent plusd’argent, mais les subventions de la Région wallonne ne suffisent pas, insiste Nathalie Poelaert de l’AIS du Brabant wallon. Nous bénéficions toutefois d’une grosse subvention de5,5 millions de francs de la province. De plus, trois des quatre membres du personnel sont rémunérés par la province.»
L’AIS Mouscron, elle, comptait 71 logements (dont 43 privés) en janvier 2002. Outre le subside régional, elle bénéficie d’une aide indirecte de la commune :hébergement, infrastructure, aide comptable, etc. A Huy, l’AIS Meuse-Condroz10ýs’occupe de 56 logements. Financée uniquement par la Région, elle bénéficienéanmoins d’une aide du service technique des Habitations sociales de Huy, lesquelles lui avancent souvent l’argent nécessaire en attendant l’arrivée du subside. Tout comme l’AISprécédente, l’AIS Ourthe-Amblève (AISOA)11 ne bénéficie d’aucun soutien communal ou provincial. Les loyers élevés (surtout pour les petits logements)et les nombreux déplacements que le personnel doit effectuer dans cette zone rurale grèvent considérablement son budget. Son parc est constitué de 55 à 60logements.
Enfin, l’AIS Charleroi Logement12 compte quelque 100 logements, affectés à 75 % au logement d’insertion. Si elle ne bénéficie pas d’une aide provinciale, cette AIS peuttoutefois compter sur l’aide de la Ville de Charleroi et de son service Logement.
«Solutions» pour améliorer les problèmes de trésorerie
L’équilibre financier des AIS wallonnes est perturbé par deux facteurs : le retard dans le versement du subside et l’arriéré locatif qui ne cesse de croître. Pourles jeunes AIS, qui n’ont pas encore constitué des réserves comme leurs aînées, les débuts sont rudes.
Joël Schallenberg (Gestion Logement Namur) : «Au niveau budgétaire, nous sommes en équilibre financier pour 2002, mais nous étions au bord de la rupture. Pouratteindre les 200 logements, nous avons d’abord dû engager la personne. Le trou financier sera comblé par les bénéfices reportés des autres années (…)Si on veut pouvoir gérer plus de logements, il faudrait une intervention de la Région wallonne, la Ville et la Province ne sauraient plus vraiment suivre.» Petit à petit,l’AIS namuroise arrivé à faire payer les locataires, mais l’arriéré locatif reste.
De son côté, l’AIS du Brabant wallon déplore aussi la croissance de son arriéré locatif et souligne qu’elle ne pourrait tenir financièrement sans lesoutien de la province. À l’AIS d’Arlon, on tente aussi de limiter l’arriéré, tandis qu’à celle de Meuse-Condroz, on ne peut que constater son importance.
Pour sa part, Marc Bertholomé, président de l’AISOA, estime «impossible de trouver un équilibre financier parce que les conditions de revenus sont trop basses. Les AIS sontparfois envisagées pour des personnes dont la situation est pire que dans les sociétés de logement social, or les loyers sont beaucoup plus chers que dans le logement social. Ily a d’ailleurs une demande globale pour relever les plafonds de revenus. Il faudrait pouvoir aussi négocier le vide locatif avec le propriétaire.» Et de conclure : «Le butdes AIS est d’inclure pas d’expulser, mais parfois on y est contraint. Il faudrait mettre en place un vrai accompagnement social sur le mode d’une éducation permanente au logement.»
ü Mouscron, M. Degoes explique les méthodes pour régler l’arriéré locatif : «On est de plus en plus derrière les gens et on récupère deplus en plus d’argent depuis un an ou deux. On travaille par document de cession avec le bureau de chômage et le CPAS. C’est le chômage qui verse directement le loyer qui est ainsiprélevé à la source, avec l’accord du locataire. On s’arrange toujours pour que le loyer ne dépasse pas 30 % des revenus.» Il reconnaît cependant que le nombrede gens qui ne payent pas leur loyer augmente :«En général, on réagit au bout de 3 mois. Parfois, nous sommes obligés d’expulser, à cause du comportement deslocataires (dégâts, non-payement de loyers, etc.). L’AIS s’engage à remettre en état le logement. C’est nécessaire pour garder la confiance despropriétaires.» À Charleroi, trois aides sociales sont là pour régler les arriérés locatifs en dialoguant avec les locataires. L’action en justicevient en tout dernier lieu.
Conclusion
La pérennité des AIS dépend principalement du volume de subsides dont elles bénéficient, de la pression foncière locale, de leur capacité àrésorber leur arriéré locatif et de la qualité de leurs ressources humaines. En termes de subsides, la situation en Région wallonne est
plus critique qu’enRégion bruxelloise. Cependant, cette dernière connaît une forte pression foncière qui risque fort de manger toute revalorisation des subsides. Loin de ralentir, la haussedes loyers pourrait bien s’accroître avec l’élargissement de l’Union européenne, laquelle devrait entraîner l’arrivée de nouveaux fonctionnaires européens dansla capitale-région. En Wallonie, la pression foncière peut paraître moins importante, mais elle existe aussi. Dans certaines régions, comme Arlon et Ottignies, les loyersne diffèrent guère de ceux pratiqués à Bruxelles. Face à cette pression foncière, les AIS ne peuvent proposer des loyers qui satisfassent lespropriétaires privés.
Déjà, en Région wallonne, certaines AIS seraient prêtes à mettre la clé sous le paillasson. Bon nombre estiment insuffisant le subside que leur accorde laRégion wallonne et plaident pour sa revalorisation. À cela s’ajoute l’arrière locatif qui ne cesse de croître. Pour venir à bout de ce problème, la solutionla plus efficace serait vraisemblablement de renforcer l’accompagnement social des locataires, ce qui nécessite également des moyens et du personnel.
Afin de se faire entendre des pouvoirs subsidiants, les AIS wallonnes envisagent de se regrouper en fédération. Mais de nombreuses questions demeurent : faut-il se constituer enorganisation patronale ? Se fédérer au sein du Fonds wallon du logement – future faîtière sociale ? Ou en parallèle au Fonds ? Les AIS prônent toutefoisla politique de l’ouverture. «Il y a une volonté de dialoguer au niveau des AIS, mais elle n’est pas vraiment rencontrée au niveau du politique», conclut MarcBertholomé.
1 AISQ, Agence Immobilière sociale Quartiers, rue Gaucheret, 164 à 1030 Bruxelles, tél. : 02 203 46 95, fax : 02 203 46 98, e-mail : ais.quartiers@skynet.be.
2 AISB – Agence Immobilière Sociale à Bruxelles, rue Van Artevelde, 151 à 1000 Bruxelles, tél. : 02 262 32 43, fax : 02 268 34 13, e-mail : aisb.sikb@ais.irisnet.be.
3 IRIS, rue du Jardin des Olives, 6 à 1000 Bruxelles, tél. : 02 514 18 49, fax : 02 502 48 05, e-mail : asbliris@freegates.be.
4 Ce calcul devrait faire l’objet d’un article d’Isabelle Jennes dans le prochain numéro de la revue Article 23
5 AISJ – Agence immobilière sociale de Jette, chaussée de Wemmel, 102 à 1090 Bruxelles, tél. : 02 421 70 90, fax : 02 421 70 92, e-mail : aisj@yucom.be
6 Parmi ces 76 logements, 5 appartiennent au Foyer bruxellois et 1 se trouve sur le territoire de Vilvoorde. Ces 6 logements sont non subisdiables. IRIS – qui existe depuis 1981 – avaitpris en gestion ces logements avant l’existence même de l’ordonnance sur les AIS et a décidé de les garder.
7 Gestion Logement Namur asbl, rue Saint-Nicolas, 8 à 5000 Namur, tél. : 081 22 59 66.
8 AIS Arrondissement d’Arlon, square Albert 1er, 6700 Arlon. Bureau : rue de la Grand-Place, 2 à 6700 Arlon, tél.-fax : 063 22 11 81.
9 AIS du Brabant wallon, chaussée des Nerviens, 25 à 1300 Wavre, tél. : 010 23 61 35.
10 AIS Meuse-Condroz, avenue Batta, 16 à 4500 Huy, tél. : 085 25 38 83.
11. AIS Ourthe-Amblève, rue H. Lapaille, 24 à 4171 Poulseur, tél. : 04 380 90 69.
12 AIS Charleroi Logement, rue de Montigny, 101 à 6000 Charleroi, tél. : 071 86 22 03, fax : 071 86 22 06.
Archives
"AIS bruxelloises et wallonnes : un équilibre financier fragile"
Baudouin Massart
20-09-2002
Alter Échos n° 128
Baudouin Massart
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