Alex Houtart est le directeur CSR (Corporate social responsability) de BNP Paribas. Par ailleurs, il est également membre du conseil d’administration de microStart.
Alter Échos: Dites… qu’est-ce que BNP Paribas vient faire dans le microcrédit?
Alex Houtart: On s’est dit qu’il n’était pas logique d’être absent sur certains créneaux pour soutenir une économie. Il est normal qu’on finance les bons projets et d’autant plus ceux qui sont utiles. Cela fait partie du rôle d’une banque.
A.É.: Pourquoi pas sous votre enseigne alors?
A.H.: microStart est en grande majorité le projet de BNP Paribas, mais aussi celui de l’Adie (Association pour le droit à l’initiative économique) et le FEI (Fonds européen d’investissement). On aurait pu se lancer seul, mais pour une question de marché, on a eu peur que les micro-entrepreneurs n’osent pas pousser la porte de BNP Paribas. D’où une enseigne neutre.
A.É.: C’est quand même paradoxal de créer une structure parce que des prêteurs ne peuvent pas entrer dans vos banques…
A.H.: Ils peuvent le faire. Ils sont les bienvenus.
A.É.: Mais sur le terrain, pas une seule banque «classique» n’acceptera un allocataire social avec un projet d’entreprise…
A.H.: Eh bien, oui. Dans microStart, c’est BNP-Partibas qui prend tout le risque. On donne une ligne macrocrédit que microStart subdivise en petites lignes successives. Donc c’est bien BNP Paribas qui fait ces prêts, mais avec une autre enseigne parce qu’elle est plus attractive. De plus, l’Adie est soutenue par plusieurs banques. On réfléchit aussi à cette formule. À terme, nous pourrions ouvrir le modèle microStart à d’autres banques.
Enfin, isoler ce segment particulier permet aussi d’en retirer des données plus précises. Avec ces chiffres, nous pouvons alors décider jusqu’où aller et quelle marge d’argent trouver ailleurs puisque le microcrédit coûte et que le segment est déficitaire.
A.É.: Votre objectif est tout de même de vous «rapprocher le plus possible de l’équilibre». Comment?
A.H.: C’est le modèle particulier de microStart. Nous essayons d’atteindre l’équilibre pour le fonctionnement des agences. Il nous faut 1.250 crédits par an. On n’y est pas encore, loin de là. Avec ces prêts, les revenus de l’activité crédit financeraient les frais des agences, sans les frais centraux (le support transversal, informatique, la gestion des ressources humaines). Donc, on doit trouver des moyens publics ou privés. On essaie le plus possible de subvenir aux besoins non finançables par du volontariat d’entreprises. Une centaine de personnes pour l’instant accompagnent les entrepreneurs. C’est une des clés du microcrédit. Souvent, ces micro-entrepreneurs sont très bons sur le terrain, avec une idée précise de leur projet, mais il leur manque une formation de base.
A.É.: Si l’accompagnement est la pierre angulaire et que vous devez doubler votre nombre de crédits, sera-ce tenable avec une base aussi friable que le bénévolat?
A.H.: D’abord, toutes ces personnes donnent une après-midi ou deux par mois. En tout, cela doit former peut-être quatre ou cinq ETP. Ensuite, la plupart des modèles que je connais d’intégration, Duo for a job, Un toit deux âges, fonctionnent sur les mêmes principes. La plupart des coopératives à finalité sociale fonctionnent sur le bénévolat pour une raison très simple: les subsides sont de plus en plus rares.
Enfin, aujourd’hui, 95% des banquiers subissent les bêtises des 5% restants. Il devient très difficile de travailler dans le secteur pour quelqu’un qui a 30 ans de maison et qui est critiqué à longueur de journée dans sa famille, par ses amis, etc. Par le bénévolat, il continue son métier de banquier, mais avec un sourire et un merci en fin de journée. C’est tellement rare que les candidats se bousculent pour avoir un peu de reconnaissance. Je ne me fais pas de soucis pour trouver des volontaires.
A.É.: Cette image de la banque mercantile a dû inquiéter le secteur du microcrédit, plutôt attentif aux enjeux sociaux?
A.H.: Je n’étais pas personnellement là au démarrage, mais nous sommes en rapport avec Saw-B, Crédal ou Hefboom, et les réticences se sont vite estompées. On a des partenariats avec plusieurs acteurs sociaux comme Job yourself ou le CPAS de Charleroi qui a accueilli notre structure à ses débuts. L’ampleur de la nécessité fait que dix acteurs pourraient arriver et il y aurait de la place pour tout le monde. Il n’y a pas lieu d’agir en termes de compétition, d’autant que les acteurs historiques ne se positionnent pas exactement comme nous. Hefboom octroie des microcrédits bien plus importants que les nôtres et Crédal a une majeure partie de son activité dans les microcrédits à la consommation, même s’ils ont une bonne expérience dans les deux type de prêts.
A.É.: Le Réseau européen de la microfinance (REM), dans lequel microStart est très présent, voudrait lever le taux intérêt plafonné pour développer la microfinance. De quoi inquiéter?
A.H.: Le problème n’a rien à voir avec microStart. Il se fait simplement que Patrick Sapy, son directeur, est très actif aussi dans le REM. En Belgique, il n’est absolument pas question de lever le taux. Par ailleurs, dans les pays en développement, au Bangladesh par exemple, on peut atteindre des 30, 35% de taux d’intérêt. En Angleterre, ils le font déjà. Concrètement, cela ne représente pas une grande difficulté de remboursement pour l’emprunteur sur une petite somme. Peut-être un euro par mois. Pour les microcrédits qui ne trouvent pas de réponse dans les subventions, ce qui est évidemment le cas au Sud, cela permet au secteur de vivre. Mais en Belgique, il n’y a pas ce besoin.
A.É.: Ce n’est donc pas une demande de microStart.
A.H.: Certainement pas. L’objectif n’est pas d’arriver à faire du profit. Nous essayons de limiter les coûts via les bénévoles, de maîtriser le coût du risque et de limiter le besoin de faire appel à des subventions publiques, d’éviter de faire dans une enveloppe fermée des demandes d’argent, qui pourrait être utile ailleurs. On limite l’appel aux fonds publics au strict nécessaire. Avec des résultats exceptionnels, surprenants en termes d’intégration financière. 60% des personnes continuent leur activité, un des meilleurs scores de start-up que je connaisse. Et dans les 40% restants, 20% ont trouvé un job, pas celui de leur projet, mais celui-ci leur a mis un pied à l’étrier.
Notre dossier sur le microcrédit s’arrête ici sur le papier, mais se poursuit sur notre site web. Avec de nouvelles infographies et des articles complémentaires. L’occasion notamment de se pencher sur le versant sud du sujet. Le microcrédit se balade dans les travées des pays en développement depuis quarante ans. Avec quelle évolution et pour quelles leçons? La réponse en ligne sur www.alterechos.be