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Regard critique · Justice sociale

Citoyenneté

Alexis Deswaef: la politique de la suspicion

Centres fermés, saut d’index, autofinancement de la justice… Le programme du gouvernement Michel inquiète le milieu associatif. Alexis Deswaef, avocat et président de la Ligue des droits de l’homme (LDH), nous en livre une première analyse «à chaud».

Alexis Deswaef © Ligue des droits de l'homme

Centres fermés, saut d’index, autofinancement de la justice… Le programme du gouvernement Michel inquiète le milieu associatif. Alexis Deswaef, avocat et président de la Ligue des droits de l’homme (LDH), nous en livre une première analyse «à chaud».

«Les centres fermés seront étendus.» C’est écrit sans fard dans l’accord de gouvernement… Pour marquer la priorité de ce projet, le nouveau secrétaire d’État à l’Asile et à la Migration Theo Francken (N-VA) affirmait, ce lundi, au quotidien flamand De Standaard, que «100 places pourraient être créées» dans l’année… tout en évoquant la possibilité d’enfermer des familles avec enfants mineurs dans le centre fermé 127bis de Steenokkerzeel. À peine dévoilées, d’autres intentions de la «suédoise» suscitent également les craintes dans le milieu associatif. Notamment en matière de justice, de sécurité et de droits économiques et sociaux. Pour y voir plus clair, Amnesty, le Ciré et la Ligue des droits de l’homme ont passé au peigne fin le programme du nouveau gouvernement. Plusieurs mesures sont jugées négatives par la LDH: la transaction pénale «qui augure une justice de classe», la peine de sûreté «qui enlève tout espoir de réinsertion du détenu» ou encore la «tolérance zéro en matière de drogues». Tout un programme.

Alter Échos: À la lecture de l’accord de gouvernement, quelles sont vos premières impressions?

Alexis Deswaef: Les premiers constats mènent à une double impression. De manière transversale, nous voyons dans cet «accord de gouvernement» beaucoup moins de réformes que ce qui avait été annoncé. Nous pointons un manque d’imagination: le gouvernement entend répondre aux défis d’aujourd’hui avec des outils qui étaient déjà dépassés il y a vingt ans. Comme la tentative de réinstaurer une double peine sous couvert d’interdiction de séjour, ou de contrer les nuisances de la mendicité en réinstaurant l’interdiction du vagabondage… Tout ça, ce sont de vieilles recettes qui aujourd’hui pourraient mener à des politiques inefficaces. D’autre part, le gouvernement tend à considérer qu’un citoyen vulnérable est coupable de l’être – ou à l’inverse, que le bon citoyen n’a pas à encombrer l’État avec ses problèmes. En fin de compte, ce gouvernement se présente comme celui du bon sens, mais il s’agit davantage du bon sens du café du commerce que du véritable sens commun. Ce qui est un peu court pour gérer un pays.

A.É.: Sous le vernis du «bon sens», s’agit-il d’un programme plus sécuritaire qu’il ne paraît?

A.D.: Clairement. C’est particulièrement prégnant dans le volet justice, sécurité et police. Ça peut paraître anecdotique, mais le ministère de l’Intérieur devient officiellement le ministère de la Sécurité et de l’Intérieur, ce qui en soi est tout un programme. L’accord de gouvernement renforce aussi la séparation, décidément bien hermétique, entre les violences faites aux policiers et les violences policières. Si le premier phénomène est inacceptable et doit être combattu, le premier bilan de l’Observatoire des violences policières démontre la réalité des violences policières ainsi que la nécessité urgente, pour les autorités, de lutter contre les dérapages violents d’une frange des forces de l’ordre. Ces violences policières mènent au non-respect des droits les plus fondamentaux du citoyen. Or, le rôle de la police est justement de les garantir, en plus d’assurer la sécurité. Encore plus inquiétant: en cas de menace terroriste de niveau 3, il est prévu de faire appel à l’armée et de déléguer certaines missions de la police à des sociétés privées. Non seulement c’est inquiétant, mais aussi méprisant à l’égard de la police.

A.É.: Flexibilité, saut d’index… L’accord prévoit de nombreux gestes en faveur des entreprises. Quelles sont ses intentions à l’égard des populations précarisées?

A.D.: Le gouvernement paraît considérer que certaines franges de la population ne méritent pas les mêmes droits que le citoyen «correct»… L’accord est aussi plus sévère avec les plus fragiles de la société dans le volet socio-économique. Quelques exemples? Limitation dans le temps des allocations de chômage qui ne dit pas son nom, redéfinition du terme «emploi convenable», limitation du droit aux allocations d’insertion pour les jeunes, redéfinition restrictive de l’aide médicale urgente… Nous nous inquiétons aussi de l’approche par le gouvernement de la question du sans-abrisme: la déclaration mentionne la révision de la réglementation des squats en vue d’en accélérer l’expulsion. Plus loin, la logique de «bon sens» tend à repénaliser le vagabondage et la mendicité. Et donc à criminaliser l’extrême pauvreté. Ce gouvernement devra démontrer qu’il est celui de tous les citoyens et pas seulement de «ceux qui créent de l’emploi», de ceux qui ont le «mérite» d’avoir du travail. Mais aussi de ceux qui ont eu des coups durs ou qui ont dégringolé au bas de l’échelle sociale.

A.É.: Certaines associations de compétences, dans les portefeuilles ministériels, paraissent tout aussi ambiguës…

A.D.: Le prisme pris par le gouvernement, dans différents volets, c’est la lutte contre la fraude. Avec un message très ambigu, parce que la fraude sociale – qui pèse beaucoup moins en chiffres que la fraude fiscale – semble davantage visée. Une fois de plus, il y a un a priori de suspicion à l’égard des plus faibles (voir encadré). Même chose pour les étrangers: celui qui viendra demander l’asile – donc la protection – en Belgique, se verra d’emblée parler de retour. C’est une autre constante: dans cette déclaration, on aborde presque toutes les problématiques humaines par le prisme de l’abus. On ne peut pas déterminer une politique générale en se basant sur des faits minoritaires.

A.É.: Reste-t-il quelques points positifs?

A.D.: Oui, certaines orientations en matière de justice semblent assez encourageantes, comme la lutte contre l’arriéré judiciaire, la promotion d’une plus grande proximité de l’institution judiciaire. D’autant plus qu’elles sont assorties de pistes concrètes. Il y a une volonté réelle de mettre sur pied deux commissions multidisciplinaires pour plancher sur une révision du Code pénal et du Code d’instruction criminelle. Il faut le saluer! Tout comme la volonté de développer des peines alternatives, de diminuer la surpopulation carcérale, les soins aux internés qui n’ont pas leur place dans les prisons, ou de lutter contre la criminalité financière… Mais il reste aussi beaucoup de choses vagues. Et il faudra demander au bourgmestre d’Anvers, qui se targue d’être l’architecte de ce droomregering, ce qu’il a voulu dire, par exemple, par «l’autofinancement» de la justice. Parce qu’en l’état, cela pose la question de l’indépendance de la justice.

A.É.: Suite à la révélation de ses propos, le secrétaire d’État à l’Asile et la Migration, le N-VA Theo Francken, a lu une courte déclaration dans laquelle il a présenté ses excuses. Est-ce suffisant?

A.D.: Il y a des ministres qui ont démissionné pour moins que ça. Au-delà des luttes partisanes, il y a un énorme problème de valeurs et de crédibilité. Comment peut-on être crédible dans sa fonction de secrétaire d’État à l’Asile et la Migration, quand on dit comprendre «la valeur ajoutée des diasporas juive, chinoise et indienne, mais moins celle apportée par la marocaine, congolaise et algérienne»? Le secrétaire d’État a un pouvoir discrétionnaire sur l’octroi des titres de séjour. Or, il a déjà émis des opinions qui touchent le cœur de ses fonctions. Il n’a plus l’impartialité ni même l’apparence d’impartialité que réclame la Cour européenne des droits de l’homme. Ce qu’il a dit sur la «valeur ajoutée» est beaucoup plus grave que d’aller boire un verre à l’anniversaire du fondateur du VMO.

Des amalgames dans les compétences ministérielles?

En politique, la communication a toujours servi d’arme à double tranchant. Mais en communication, la politique peut entraîner l’amalgame, voire l’apathie. Avant même d’avoir posé ses premiers actes, le nouvel exécutif semble vouloir flirter avec les ambiguïtés. Ainsi, le ministère de l’Intérieur devient officiellement le ministère de la Sécurité et de l’Intérieur, faisant craindre le «bruit des bottes» à l’opposition. Cela peut paraître tout aussi anecdotique, mais dans le nouveau gouvernement, la compétence Intégration sociale a été séparée de la Lutte contre la pauvreté.

L’Intégration sociale, c’est-à-dire le pouvoir dont dépendent principalement les CPAS, revient à Willy Borsus (MR), également ministre fédéral des PME, des Classes moyennes et de l’Agriculture. La compétence de la Lutte contre la pauvreté, quant à elle, a été attribuée à une N-VA, Elke Sleurs, une des quatre femmes du gouvernement. Dans le détail, Elke Sleurs est secrétaire d’État à l’Égalité des chances, aux Personnes handicapées, à la Politique scientifique, à la Lutte contre la pauvreté et… à la Lutte contre la fraude.

Pour Claude Emonts, président de la Fédération des CPAS wallons, cet amalgame est porteur de menaces. «Nous avons toujours dit que l’abus menaçait le droit. Mais associer la pauvreté à la fraude sociale, sous la même casquette, c’est pour le moins malsain.» Christine Mahy, secrétaire générale du Réseau wallon de lutte contre la pauvreté (RWLP), y voit une «porte ouverte aux amalgames et à la stigmatisation». «La Lutte contre la pauvreté aurait pu être associée à un ministère plus cohérent, comme celui de la Santé ou des Affaires sociales, souligne Christine Mahy. Au contraire, tout semble prolonger l’écriture de la déclaration de politique générale: à savoir une écriture avec un a priori de confiance et de défiance chaque fois qu’on parle des populations.» Sans doute faut-il y voir une nouvelle différence d’appréciation.

 

Rafal Naczyk

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