En France, le gouvernement Macron vient d’annoncer la délivrance d’un chèque alimentaire de 100 euros (plus 50 euros par enfant) en faveur des 9 millions de foyers les plus modestes. Ce dispositif d’urgence, ponctuel, qui entend soulager les ménages les plus précaires face à l’inflation galopante, fait plutôt office de maigre sparadrap incapable de masquer la plaie béante de la précarité alimentaire. Cette initiative est bien modeste, aussi, au regard de la promesse électorale du président français d’un «chèque alimentation durable», proposition issue de la convention citoyenne sur le climat qui avait pour but «de permettre aux plus modestes d’acheter des produits de qualité». Macron a aujourd’hui accouché d’une petite souris, mais assure ne pas mettre au rebut cette idée de «chèque durable» dont il a, jusqu’ici, peiné à esquisser des contours clairs.
Ici comme en France, le chèque alimentaire fait couler de l’encre. Il avait fait parler de lui au plus fort de la crise Covid, alors que les files s’allongeaient aux portes des associations fournissant repas et colis alimentaires. «Il faudra qu’une fois pour toutes, nos décideurs comprennent qu’on est en 2020, et plus au Moyen Âge. Donner des colis aux pauvres relève d’une époque révolue, avait communiqué la Fédération des services sociaux au printemps 2020. Les volontaires et les services qui les distribuent font un travail remarquable, mais nous devons migrer vers un système plus progressiste et surtout moins stigmatisant. Les chèques-repas constituent une piste réelle qu’il faut activer urgemment.» Deux ans plus tard, la piste n’a toujours pas été explorée et, face à l’afflux de réfugiés ukrainiens, la question rejaillit, le secteur de l’aide alimentaire étant sous pression et confronté à des problèmes d’approvisionnement qui interrogent les modalités d’octroi de ces aides.
L’octroi de chèques, mensuels et d’un montant digne, aux personnes en situation de pauvreté aurait pourtant un mérite non négligeable, celui qu’elles puissent déterminer elles-mêmes ce qu’elles vont mettre dans leur assiette.
Le chèque alimentaire n’est pas neuf: depuis 1965, des chèques-repas sont distribués chaque mois à des milliers de travailleurs salariés dans notre pays; dans le secteur de l’aide sociale, certains CPAS délivrent des chèques alimentaires à leurs usagers; dans les centres d’accueil où les cuisines sont individualisées, une poignée de demandeurs d’asile parmi les plus anciens bénéficient de tickets-restaurants. Il n’est pas non plus une panacée: il ne remplace pas un relèvement des minimums sociaux; il n’a pas d’impact sur le modèle de production alimentaire; et il réduit la possibilité d’une «accroche sociale» avec les bénéficiaires.
L’octroi de chèques, mensuels et d’un montant digne, aux personnes en situation de pauvreté aurait pourtant un mérite non négligeable, celui qu’elles puissent déterminer elles-mêmes ce qu’elles vont mettre dans leur assiette. Une telle décision, qui semble si banale, reviendrait cependant à cesser de nier les sens, multiples, dont est porteur l’acte de manger. Vital, le geste de se nourrir dépasse largement sa seule fonction biologique, à savoir la satisfaction d’un besoin primaire ou l’ingestion d’aliments sains ou malsains. Mastiquer, ripailler, se goinfrer, casser la croûte ou picorer: il y a là quelque chose qui relève à la fois de l’intime tout en étant assurément social. Question d’ordre matériel – de budget et d’équipement –, manger est aussi une affaire de sociabilités, d’identités – familiales, sociales ou culturelles –, de rituels et de normes, et, tout simplement, de goûts et de plaisirs… En témoigne le dossier de ce numéro: «Alimentation: inégalités au menu».
En savoir plus
«L’alimentation bientôt intégrée dans la sécurité sociale?», Alter Échos n° 500, 3 février 2022, Julien Winkel et Pierre Jassogne.
«Toujours plus tributaires de l’aide alimentaire», Alter Échos n° 489, 17 décembre 2020, Cédric Vallet.
«Le Covid-19 étouffe le secteur de l’aide alimentaire», Alter Échos n° 483, avril 2020, Emilie Gline.